Zététique, tabous et sectarisme. Faut-il repenser l’esprit critique?

Publié le 16 février 2024
Dans mon dernier entretien sur Antithèse, j’ai échangé avec le Youtubeur belge Samuel Buisseret sur ce qu’est véritablement l’esprit critique. Ancien «complotiste» (selon ses dires), actuellement sceptique de posture, Samuel Buisseret émet aussi des reproches sévères à la communauté francophone défendant la zététique.

Qu’est-ce que l’esprit critique? L’esprit critique sert à augmenter la pertinence des raisonnements personnels, afin de produire des affirmations plus vraisemblables. Avoir un esprit critique revient à développer des méthodes pour mieux douter. Il ne sert donc pas à discerner le vrai du faux. Cela implique de prendre conscience que notre cerveau n’est pas fiable, et qu’il est sujet à de nombreux biais cognitifs et sophismes encouragés par la dérégulation du marché de l’information, qui crée des «bulles de filtres».

Le concept de «bulles de filtres» renvoie à la personnalisation des contenus sur internet, permise par la puissance des algorithmes. Ces derniers sélectionnent «discrètement» les contenus visibles par chaque internaute, en s’appuyant sur différentes données collectées sur lui. Chaque internaute accède ainsi à une version significativement différente du web. Il est installé dans une «bulle» unique, optimisée pour sa personnalité supposée, qui engendre un isolement culturel et intellectuel. Ainsi, le développement d’internet est une opportunité immense pour le public d’accéder à des contenus nouveaux et plus qualitatifs que dans les médias traditionnels. Mais il faut être conscient des dangers que recèle cet univers. Pour Buisseret, la zététique s’est développée en 2015 dans la sphère francophone en réaction à la dérégulation du marché de l’information, pour lutter contre les contenus fantaisistes produits en cascade sur le web.

Officialisme et biais de communautarisme

Une grande partie de l’entretien est consacrée au parcours biographique de Samuel Buisseret (il se dit «complotiste» repenti) et à sa critique du milieu sceptique francophone. En 2023, il a pris ses distances avec ce dernier, car y régnaient certaines idées devant être admises par tous. Exemple: impossibilité de questionner le mouvement «woke». Il n’a pas apprécié la nécessité de s’auto-censurer à ce sujet. Autre critique: l’adoption d’un ton dénigrant et souvent ad hominem envers certaines personnes extérieures au mouvement sceptique, notamment au sein de la chaîne YouTube La Tronche en Biais. Le dénigrement et l’argument ad hominem peuvent être utiles pour se défaire d’une emprise sectaire, mais c’est une méthode à utiliser avec parcimonie. Or, en raison du poids de la Tronche en Biais (292k abonnés), c’est devenu la norme dans le milieu sceptique.

Samuel Buisseret répond aussi aux accusations de conflits d’intérêts dans le milieu zététicien, qui critique très peu les informations officielles. Selon lui, cet «officialisme» provient d’un biais de facilité: les discours des «complotistes» seraient plus faciles à détricoter. Il explique aussi comment toute la communauté sceptique a pu partager les mêmes informations à partir d’une seule source interne, sans aller vérifier plus loin la pertinence des analyses initiales. Il donne pour exemple un article du blog Bunkerd sur le glyphosate, repris et partagé par toute la communauté sans en vérifier les informations. Ce que dénonce Samuel Buisseret est un biais de communautarisme, qui entraîne les zététiciens à tomber dans les mêmes travers que ceux qu’ils dénoncent. Mais Buisseret affirme, contrairement aux auteurs du livre Les Gardiens de la raison qu’il n’y a pas de soutiens provenant de l’industrie ou de l’Etat qui viendraient biaiser les analyses produites par ce milieu. 

La parapsychologie et les Ovnis

Samuel Buisseret évoque aussi la parapsychologie. C’est-à-dire l’étude des phénomènes inexpliqués mettant supposément en jeu les pouvoirs de l’esprit humain. Il explique que les phénomènes paranormaux existent bel et bien, et que la parapsychologie est une discipline scientifique proche des sciences humaines, avec ses propres publications répondant aux critères de scientificités (relecture par les pairs, etc.). Des études, certes critiquées, ont ainsi montré que, dans des conditions sévères (protocole Ganzfeld), de légères anomalies suggérant une communication télépathique ont été observées.

Samuel Buisseret est également ouvert aux témoignages relatant des expériences de morts imminentes ou la vision d’OVNI (lui-même raconte dans l’entretien en avoir vu un). Pour lui, le témoignage est le niveau de preuve le plus bas qui existe en science. Mais il est contraire à l’esprit critique de balayer d’un revers de la main ces derniers, surtout quand ils sont très nombreux et rapportés par des personnes crédibles (un pilote de l’armée américaine dans le cas des Ovnis). Il est clair, cependant, qu’il est impossible à l’heure actuelle d’expliquer ces phénomènes. En bon sceptique, il ne faut pas tomber dans la certitude et la conviction, mais suspendre son jugement en restant ouvert. Il faut savoir faire du hors-piste pour faire de grandes découvertes.


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