© Mariposa Fa

Les boomers sont responsables de tous les maux de la terre, c’est bien connu. Un jugement mérité pour certains; pour d’autres, c’est moins sûr, exagéré, voire totalement injuste. Mais la critique acide des aînés est dans la nature de l’homme jeune, ça s’appelle tuer le père... et c’est sain tant que cela ne devient pas obsessionnel.

«Hier», pour ma part, je me moquais des défilés d’anciens combattants (ces inconnus qui ont donné leur vie pour préserver notre liberté), je vouais aux gémonies les censeurs de tout poil. Par définition, c’étaient «les vieux». Dépassés. Inutiles. Aujourd’hui, c’est moi le vieux, le boomer. Alors je veux au moins «tenter» de chuchoter que notre génération n’a pas fait que des bêtises. Ethiquement parlant. 

En premier lieu, les combats pour la liberté et pour l’égalité. Pour la fraternité, c’est raté.

Il reste beaucoup à faire en matière d’égalité, c’est entendu, mais voyez les progrès réalisés pendant cette génération boomer. Comparez la situation des femmes de 1960 à celle de 2020, ça n’est pas rien nom de Dieu! Et en ce qui concerne la liberté, itou. Je me souviens que Charlie Hebdo (son ancêtre), déjà lui, fut interdit parce qu’il avait titré, suite la mort du général: «Bal tragique à Colombey: 1 mort!» Et paf! Censuré! Contraire à l’ordre moral. Ce qui était «contraire à l’ordre moral» fondait la justification de la censure. Une forme de dictature de la liberté d’expression, on appelait ça les Ciseaux d’Anastasie. Eh bien ce sont les boomers qui ont fait voler en éclats cette dictature déguisée, pour le meilleur et pour le pire! Mai 68, Black Power, Flower Power aussi, manifestations contre l’imbécile guerre du Vietnam, Make Love not War, Hair – en comédie musicale, en film –, c’est les boomers. La jouissance décomplexée – et pas seulement masculine –, encore eux! Aujourd’hui on n’ose même plus monter dans un ascenseur si on n’est pas au moins trois pour se défendre en cas de procès, mais dans quel monde vit-on? Bien sûr les extrémistes de toutes sortes et les racistes gluants utilisent cette liberté à mauvais escient, mais interdit-on les couteaux en cuisine au prétexte qu’ils peuvent tuer dans la rue?

Arrêter la censure, arrêter la guerre. © DR

En marge de ces grandes valeurs, j’ai encore envie de parler de deux ou trois «petites choses» que la jeunesse doit aux boomers. D’abord, cet étrange rectangle lumineux dont on use et souvent abuse et qu’on appelle chez nous Natel et ailleurs portable… héhé ce sont les boomers qui l’ont inventé. Ils ont créé cet instrument dont personne ne peut plus se passer, celui-là même qui permet aux jeunes générations de les vilipender. Soit dit en passant, les boomers ont aussi inventé internet et les réseaux sociaux… sur lesquels ils sont parfois détestés. Dans un tout autre registre, ils ont construit les stations d’épuration. Aujourd’hui, nous baigner dans des lacs propres va presque de soi alors que quand j’avais vingt ans, les lacs étaient dits en état d’eutrophisation avancée (manque d’oxygène, mort des poissons) et il fallait nager en zigzagant entre les étrons et les capotes usagées. On pourrait bien sûr encore évoquer l’excellence du système éducatif, du système de santé, et de tous les systèmes qui font que notre société tourne plutôt pas trop mal, mais je m’arrête là, l’idée de cet article n’est pas de faire défensivement la liste des actifs favorables, mais de prendre du recul sur les critiques exagérées et d’instiller de la nuance dans le texte.

La fera et les perches frétillent de nouveau © DR / L’appareil est moderne, le geste est antique © M.F.

Dans toute activité humaine, il y a du bon et du mauvais. En 1953, Hergé écrivait On a marché sur la lune. En 1969, à l’aube des boomers, on l’a fait. En y envoyant des hommes, le président Kennedy a contribué à l’effet de serre autant qu’il a fait avancer la connaissance humaine, il a marqué son territoire géopolitique jusque dans l’espace autant qu’il a permis à des millions de gens de rêver. En faisant la guerre au Vietnam en revanche, pas grand-chose de bon à retenir, comme pour toutes les guerres. A propos de guerres, relevons que les boomers ont assuré la paix en Europe durant toute leur génération, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de ce continent! Une paix qui a créé de la prospérité, une prospérité qui a causé le réchauffement climatique. Les voies du bonheur sont un brin vicieuses!

Lever de terre depuis la lune… ou changer de point de vue © DR

Alors bien sûr qu’on le déplore, le réchauffement climatique, on s’en désole tous, mais n’y a-t-il pas parfois un double discours chez ces millions de jeunes procureurs qui prennent l’ascenseur pour monter deux étages, qui aiment le confort d’un SUV quand ils ont la trentaine riche et qui prennent l’avion pas cher pour flâner un week-end à Barcelone? Résultat, ça chauffe toujours et de plus en plus. Et au final, vers quoi nos enfants se dirigent-ils? Adaptation ou dystopie? Ce qui est sûr, c’est qu’un nouveau modèle de société doit être reconstruit, moins égoïste, plus respectueux. Sera-ce une réussite? «L’avenir nous dira ce que nous réserve le futur» comme l’a si bien exprimé un lauréat du Prix Champignac.

Après ces quelques exemples qui soulignent la complexité du jugement, l’ambivalence de chaque situation et la nécessité de la nuance, je conclurai cet article en passant le micro à Michel Polnareff qui a composé ce qui pourrait être l’hymne des bommers: «On ira tous au paradis… même moi!» Car après tout, après avoir honteusement profité des bontés de la Terre, on a bien l’intention de profiter de celles du ciel. Evidemment, j’aurais aussi pu citer «Love me, please love me!», mais il ne faut quand même pas trop en demander.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Bonnes vacances à Malmö!

Les choix stratégiques des Chemins de fer fédéraux interrogent, entre une coûteuse liaison Zurich–Malmö, un désintérêt persistant pour la Suisse romande et des liaisons avec la France au point mort. Sans parler de la commande de nouvelles rames à l’étranger plutôt qu’en Suisse!

Jacques Pilet
Politique

Les BRICS futures victimes du syndrome de Babel?

Portés par le recul de l’hégémonie occidentale, les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud — s’imposent comme un pôle incontournable du nouvel ordre mondial. Leur montée en puissance attire un nombre croissant de candidats, portés par la dédollarisation. Mais derrière l’élan géopolitique, l’hétérogénéité du groupe révèle des (...)

Florian Demandols
Politique

Pologne-Russie: une rivalité séculaire toujours intacte

La Pologne s’impose désormais comme l’un des nouveaux poids lourds européens, portée par son dynamisme économique et militaire. Mais cette ascension reste entravée par un paradoxe fondateur: une méfiance atavique envers Moscou, qui continue de guider ses choix stratégiques. Entre ambition et vulnérabilité, la Pologne avance vers la puissance… sous (...)

Hicheme Lehmici
Politique

Quand la religion et le messianisme dictent la géopolitique

De Washington à Jérusalem, de Téhéran à Moscou, les dirigeants invoquent Dieu pour légitimer leurs choix stratégiques et leurs guerres. L’eschatologie, jadis reléguée aux textes sacrés ou aux marges du mysticisme, s’impose aujourd’hui comme une clé de lecture du pouvoir mondial. Le messianisme politique n’est plus une survivance du passé: (...)

Hicheme Lehmici
Culture

La France et ses jeunes: je t’aime… moi non plus

Le désir d’expatriation des jeunes Français atteint un niveau record, révélant un malaise profond. Entre désenchantement politique, difficultés économiques et quête de sens, cette génération se détourne d’un modèle national qui ne la représente plus. Chronique d’un désamour générationnel qui sent le camembert rassis et la révolution en stories.

Sarah Martin
Culture

Stands de spritz et pasta instagrammable: l’Italie menacée de «foodification»

L’explosion du tourisme gourmand dans la Péninsule finira-t-elle par la transformer en un vaste «pastaland», dispensateur d’une «cucina» de pacotille? La question fait la une du «New York Times». Le débat le plus vif porte sur l’envahissement des trottoirs et des places par les terrasses de bistrots. Mais il n’y (...)

Anna Lietti
Politique

Les penchants suicidaires de l’Europe

Si l’escalade des sanctions contre la Russie affaiblit moins celle-ci que prévu, elle impacte les Européens. Des dégâts rarement évoqués. Quant à la course aux armements, elle est non seulement improductive – sauf pour les lobbies du secteur – mais elle se fait au détriment des citoyens. Dans d’autres domaines (...)

Jacques Pilet
Politique

Honte aux haineux

Sept enfants de Gaza grièvement blessés sont soignés en Suisse. Mais leur arrivée a déclenché une tempête politique: plusieurs cantons alémaniques ont refusé de les accueillir, cédant à la peur et à des préjugés indignes d’un pays qui se veut humanitaire.

Jacques Pilet
Culture

Un selfie dans l’ascenseur

Notre obsession du selfie n’est pas purement narcissique, il s’agit aussi de documenter notre présent par le biais d’un langage devenu universel. Quant aux ascenseurs, ce sont des confessionnaux où, seuls, nous faisons face à nous-mêmes.

David Laufer
Philosophie

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud
Culture

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet
Culture

A Iquitos avec Claudia Cardinale

On peut l’admirer dans «Il était une fois dans l’Ouest». On peut la trouver sublime dans le «Guépard». Mais pour moi Claudia Cardinale, décédée le 23 septembre, restera toujours attachée à la ville péruvienne où j’ai assisté, par hasard et assis près d’elle, à la présentation du film «Fitzcarraldo».

Guy Mettan
Economie

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud
HistoireAccès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

Sciences & Technologies

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Les biais de pensée de la police, et les nôtres

Pourquoi, à Lausanne, un policier a-t-il aimablement serré la main du chauffard qui avait foncé délibérément dans une manifestation propalestinienne? Au-delà des polémiques politiques, il s’agit sans doute avant tout d’un de ces biais cognitifs comme nous en avons tous.

Patrick Morier-Genoud