Publié le 1 septembre 2023
Les boomers sont responsables de tous les maux de la terre, c’est bien connu. Un jugement mérité pour certains; pour d’autres, c’est moins sûr, exagéré, voire totalement injuste. Mais la critique acide des aînés est dans la nature de l’homme jeune, ça s’appelle tuer le père... et c’est sain tant que cela ne devient pas obsessionnel.

«Hier», pour ma part, je me moquais des défilés d’anciens combattants (ces inconnus qui ont donné leur vie pour préserver notre liberté), je vouais aux gémonies les censeurs de tout poil. Par définition, c’étaient «les vieux». Dépassés. Inutiles. Aujourd’hui, c’est moi le vieux, le boomer. Alors je veux au moins «tenter» de chuchoter que notre génération n’a pas fait que des bêtises. Ethiquement parlant. 

En premier lieu, les combats pour la liberté et pour l’égalité. Pour la fraternité, c’est raté.

Il reste beaucoup à faire en matière d’égalité, c’est entendu, mais voyez les progrès réalisés pendant cette génération boomer. Comparez la situation des femmes de 1960 à celle de 2020, ça n’est pas rien nom de Dieu! Et en ce qui concerne la liberté, itou. Je me souviens que Charlie Hebdo (son ancêtre), déjà lui, fut interdit parce qu’il avait titré, suite la mort du général: «Bal tragique à Colombey: 1 mort!» Et paf! Censuré! Contraire à l’ordre moral. Ce qui était «contraire à l’ordre moral» fondait la justification de la censure. Une forme de dictature de la liberté d’expression, on appelait ça les Ciseaux d’Anastasie. Eh bien ce sont les boomers qui ont fait voler en éclats cette dictature déguisée, pour le meilleur et pour le pire! Mai 68, Black Power, Flower Power aussi, manifestations contre l’imbécile guerre du Vietnam, Make Love not War, Hair – en comédie musicale, en film –, c’est les boomers. La jouissance décomplexée – et pas seulement masculine –, encore eux! Aujourd’hui on n’ose même plus monter dans un ascenseur si on n’est pas au moins trois pour se défendre en cas de procès, mais dans quel monde vit-on? Bien sûr les extrémistes de toutes sortes et les racistes gluants utilisent cette liberté à mauvais escient, mais interdit-on les couteaux en cuisine au prétexte qu’ils peuvent tuer dans la rue?

Arrêter la censure, arrêter la guerre. © DR

En marge de ces grandes valeurs, j’ai encore envie de parler de deux ou trois «petites choses» que la jeunesse doit aux boomers. D’abord, cet étrange rectangle lumineux dont on use et souvent abuse et qu’on appelle chez nous Natel et ailleurs portable… héhé ce sont les boomers qui l’ont inventé. Ils ont créé cet instrument dont personne ne peut plus se passer, celui-là même qui permet aux jeunes générations de les vilipender. Soit dit en passant, les boomers ont aussi inventé internet et les réseaux sociaux… sur lesquels ils sont parfois détestés. Dans un tout autre registre, ils ont construit les stations d’épuration. Aujourd’hui, nous baigner dans des lacs propres va presque de soi alors que quand j’avais vingt ans, les lacs étaient dits en état d’eutrophisation avancée (manque d’oxygène, mort des poissons) et il fallait nager en zigzagant entre les étrons et les capotes usagées. On pourrait bien sûr encore évoquer l’excellence du système éducatif, du système de santé, et de tous les systèmes qui font que notre société tourne plutôt pas trop mal, mais je m’arrête là, l’idée de cet article n’est pas de faire défensivement la liste des actifs favorables, mais de prendre du recul sur les critiques exagérées et d’instiller de la nuance dans le texte.

La fera et les perches frétillent de nouveau © DR / L’appareil est moderne, le geste est antique © M.F.

Dans toute activité humaine, il y a du bon et du mauvais. En 1953, Hergé écrivait On a marché sur la lune. En 1969, à l’aube des boomers, on l’a fait. En y envoyant des hommes, le président Kennedy a contribué à l’effet de serre autant qu’il a fait avancer la connaissance humaine, il a marqué son territoire géopolitique jusque dans l’espace autant qu’il a permis à des millions de gens de rêver. En faisant la guerre au Vietnam en revanche, pas grand-chose de bon à retenir, comme pour toutes les guerres. A propos de guerres, relevons que les boomers ont assuré la paix en Europe durant toute leur génération, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de ce continent! Une paix qui a créé de la prospérité, une prospérité qui a causé le réchauffement climatique. Les voies du bonheur sont un brin vicieuses!

Lever de terre depuis la lune… ou changer de point de vue © DR

Alors bien sûr qu’on le déplore, le réchauffement climatique, on s’en désole tous, mais n’y a-t-il pas parfois un double discours chez ces millions de jeunes procureurs qui prennent l’ascenseur pour monter deux étages, qui aiment le confort d’un SUV quand ils ont la trentaine riche et qui prennent l’avion pas cher pour flâner un week-end à Barcelone? Résultat, ça chauffe toujours et de plus en plus. Et au final, vers quoi nos enfants se dirigent-ils? Adaptation ou dystopie? Ce qui est sûr, c’est qu’un nouveau modèle de société doit être reconstruit, moins égoïste, plus respectueux. Sera-ce une réussite? «L’avenir nous dira ce que nous réserve le futur» comme l’a si bien exprimé un lauréat du Prix Champignac.

Après ces quelques exemples qui soulignent la complexité du jugement, l’ambivalence de chaque situation et la nécessité de la nuance, je conclurai cet article en passant le micro à Michel Polnareff qui a composé ce qui pourrait être l’hymne des bommers: «On ira tous au paradis… même moi!» Car après tout, après avoir honteusement profité des bontés de la Terre, on a bien l’intention de profiter de celles du ciel. Evidemment, j’aurais aussi pu citer «Love me, please love me!», mais il ne faut quand même pas trop en demander.

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