Des paysans thaïlandais travaillent en Suède pour des salaires de misère

Publié le 21 juillet 2023
Plus de 6'000 saisonniers thaïlandais cueillent actuellement des baies en Suède. Une enquête remarquée montre que beaucoup sont exploités.

Pascal Sigg, publié sur Infosperber le 17 juillet 2023, traduit par BPLT


Chaque été, des hommes et des femmes de Thaïlande s’envolent pour la Suède afin de cueillir des baies dans les forêts, du matin au soir. Que le commerce des myrtilles sauvages suédoises ne se déroule pas toujours proprement, cela est connu depuis son origine. Pour autant, une équipe du journal Dagens Nyheter s’est récemment rendue en Thaïlande et a fait sensation. Elle a découvert que 14 agences de placement proposaient ces emplois. Et a rencontré 77 anciens travailleurs qui se sont envolés pour la Suède l’année dernière.

«Je n’ai plus rien», a déclaré une paysanne aux journalistes suédois. Elle avait espéré pouvoir rembourser ses dettes, contractées en Thaïlande, en travaillant en Suède. Mais au lieu de cela, elles ont augmenté.

La perspective d’un coup de pouce

Les travailleurs interrogés étaient des saisonniers originaires des régions les plus pauvres de Thaïlande. Souvent agriculteurs eux-mêmes, ils avaient planté leur riz lorsque les baies sauvages mûrissaient en Suède – et n’avaient donc plus rien à faire chez eux. Le travail d’été en Suède leur permettait de renflouer les caisses du ménage, de financer les rénovations de la cabane ou d’offrir une formation aux enfants.

Mais lorsqu’ils ont signé leur contrat de travail, dans de longues files d’attente, sous la pression du temps et de la concurrence, et seulement à l’aéroport de Bangkok, ou qu’ils se sont endettés pour payer leur vol vers Stockholm, beaucoup d’entre eux ne savaient pas exactement ce qui les attendait.

Certains devaient cueillir au moins 4’000 kilos de baies pour recevoir un salaire. Et ceux qui recevaient un salaire étaient payés en fonction de la quantité de baies cueillies. Les travailleurs qui tombaient malades et ne cueillaient donc rien pendant trois jours consécutifs devaient rentrer chez eux à leurs frais et sans salaire.

Les saisonniers assument seuls les risques

De plus, les cueilleurs devaient payer au préalable en moyenne 41’000 couronnes suédoises (environ 3’350 francs) pour pouvoir travailler en Suède pendant deux mois et demi. Cet argent leur a été facturé pour les vols, l’administration, le logement et la nourriture.

L’année dernière, un agriculteur de 40 ans a cueilli six tonnes de baies et a gagné 13’000 couronnes (1’000 francs) après toutes les déductions. Les cueilleurs s’attendaient à gagner environ 30’000 couronnes (environ 2’500 francs) en deux mois et demi, toutes déductions faites. Mais beaucoup d’entre eux ont travaillé jusqu’à 18 heures par jour et n’ont gagné qu’une fraction de cette somme.

Dagens Nyheter a rencontré 36 ouvriers et ouvrières employés de la même entreprise thaïlandaise. Leur salaire avant le retour: 500 couronnes, à peine 25 francs. Ils se sont tous endettés.

Double contrat de travail

L’astuce illégale des entreprises de placement thaïlandaises: les doubles contrats de travail. L’un des contrats est présenté aux autorités suédoises de l’immigration. On y trouve un salaire garanti, une assurance maladie, des heures de travail légales. L’autre – un contrat d’adhésion – régit la relation de travail.

Les entreprises suédoises de commerce de baies achètent les fruits cueillis et les revendent aux détaillants. Elles réalisent un chiffre d’affaires de plusieurs millions et font mine de ne rien savoir. Le directeur d’une de ces entreprises estime certes que les cueilleurs devraient gagner davantage. Mais il rejette aussi la faute sur le commerce de détail. Ses prix sont tout simplement trop bas.

Des autorités inactives

Les autorités suédoises sont en fait au courant de cette situation depuis longtemps. En 2019, un rapport de l’Etat avait constaté que près de la moitié des saisonniers ne touchaient pas le salaire minimum garanti. Et l’ambassade de Suède à Bangkok avait déjà tiré la sonnette d’alarme.

Mais le service des migrations ne contrôle pas suffisamment le secteur des baies et rejette la responsabilité sur la politique. Celle-ci veut agir. Pour la ministre de l’Egalité des chances Paulina Brandberg, qui a elle-même déjà travaillé en tant qu’agent de la force publique et a dirigé des enquêtes préliminaires sur la traite des êtres humains dans l’industrie des baies, il s’agit d’esclavage. Et la ministre de l’Immigration Maria Malmer Stenergard veut modifier fondamentalement le cadre réglementaire de l’immigration de travail.

La Finlande fait mieux

Par rapport à leurs homologues suédois, les autorités finlandaises prennent le problème au sérieux. C’est ce que rapporte Dagens Nyheter dans une enquête suivie. C’est notamment pour cette raison que la Finlande n’attend qu’environ 2’000 saisonniers cet été. En outre, l’agence finlandaise pour l’emploi offre aux cueilleurs un soutien qui fait défaut en Suède. Il existe ainsi une ligne téléphonique d’assistance que les saisonniers concernés par la traite des êtres humains peuvent appeler. En outre, l’agence finlandaise pour l’emploi inspecte les entreprises et vérifie si le salaire minimum est respecté. Elle dispose d’une équipe spécialisée dans le secteur des baies. C’est aussi pour cette raison que les cas d’abus sont beaucoup plus nombreux à être dénoncés en Finlande. Actuellement, une grande enquête policière est en cours pour trafic d’êtres humains.

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