Qui est vraiment responsable de l’éco-anxiété?

Publié le 16 décembre 2022

Manifestation « Grève pour l’avenir » à Genève, le 21 mai 2021. – © MHM55 / CC BY-SA 4.0

L’éco-anxiété fait aujourd’hui partie du vocabulaire courant en Occident. Ce trouble psychique fait de plus en plus de ravages dans populations qui se sentent impuissantes, déprimées, tristes voire en colère par rapport aux crises écologiques (réchauffement climatique, disparition de la biodiversité, pollutions, etc.). Comment ce sentiment négatif, ce trouble psychologique, s’implante-t-il toujours plus solidement?

Pour commencer, il est important de faire une précision: en l’état actuel des connaissances de la médecine et de la psychiatrie, l’éco-anxiété n’est pas reconnue comme une maladie. Cela signifie qu’il y a bien une construction sociale ou un quelconque phénomène de déconstruction ou de perturbation dans la société expliquant le développement de ce trouble mental. D’après les dernières recherches et statistiques effectuées dans le monde occidental, l’éco-anxiété touche particulièrement les jeunes, même si les chiffres exacts sont difficiles à estimer, tant le phénomène est structurel, social et diffus dans la population. Le professeur Tobias Brosch l’explique dans un entretien donné au site efficience21. L’éco-anxiété est donc un phénomène construit, produit de son époque et qui fait des ravages psychologiques dans une partie de la population occidentale avec des symptômes qui vont de la dépression à la paralysie sociale, en passant par la colère, la révolte ou le fait de se priver d’avoir des enfants, non pas par envie personnelle, mais par crainte de l’avenir et sentiment de ne pas pouvoir transmettre un monde meilleur à ses descendants.

Ce phénomène est aujourd’hui devenu un véritable enjeu de santé publique et surtout de société, tant il peut peser sur tous les aspects de la vie courante (carrière professionnelle, vie de famille, espérances et projets d’avenir, etc.) Si l’inquiétude quant à la qualité de notre environnement pour les années à venir peut servir de multiplicateur motivationnel pour les citoyens sensibles à cette problématique, elle peut aussi servir le contrôle social de la population dans une période de crises systémiques et de troubles sociaux économiques. L’exemple de la crise Covid en est une parfaite illustration: la peur et l’anxiété peuvent être de fabuleux alliés pour conditionner une partie de la population à adopter des comportements allant dans le sens de la concorde civile, du soutien aux pouvoirs en place et de la soumission aux ordres dans les cas les plus extrêmes. 

Mais comment l’éco-anxiété s’est-elle propagée dans nos sociétés? Inutile de formuler une quelconque théorie complotiste derrière ce phénomène, il y a une explication à la fois relativement simple et parfaitement logique qui explique la diffusion de ce trouble: l’incohérence (ou l’inconséquence dirons-nous) des autorités au pouvoir ces dernières décennies. 

En effet, depuis de nombreuses années maintenant, les discours alarmistes concernant l’état de la planète sont devenus de plus en plus nombreux et relayés massivement dans les médias, particulièrement dans la sphère occidentale. La disparition de la biodiversité, les événements climatiques extrêmes, la pollution des océans, la fonte des glaciers… les exemples d’images, articles, reportages, annonces politiques, programmes de sensibilisation scolaires sont légions aujourd’hui et plus personne ou presque dans nos sociétés ultra-connectées n’ignore l’existence des problématiques environnementales. Un sentiment de catastrophisme permanent est distillé dans les médias, parfois de manière justifiée, d’autres fois moins. Le fait est que la population des pays dits «développés» est de plus en plus sensible aux problématiques écologiques, notamment par l’influence des médias.

D’un autre côté, une certaine frange des militants «écologiques» et des autorités font culpabiliser la population pour son absence d’efforts. Mais les individus sont également conscients que tout ne peut pas passer par eux et qu’une partie des solutions est dans les mains des autorités. Et que s’est-il passé de ce côté? Si l’on regarde bien, malgré quelques améliorations marginales, pas grand-chose. Pour preuve: aucune remise en cause du libre-échange, de la poursuite effrénée d’un modèle économique basé sur la consommation et la possession de biens, particulièrement pour les classes les plus privilégiées, promotion du modèle consumériste, exploitation de plus en plus intensive des ressources, etc. Cette incohérence entre le discours ambiant alarmiste sur les questions écologiques et l’inertie, voire la fuite en avant, de nos sociétés sur ces enjeux est à la base de cette massification de l’éco-anxiété chez les citoyens. On ne peut pas d’un côté expliquer aux citoyens la gravité et l’urgence des questions environnementales, leur dire qu’ils en sont en partie responsables, et de l’autre promouvoir la continuité d’un système qui est précisément à l’origine de la dégradation de l’environnement. L’incohérence et l’inconséquence des élites provoquent le découragement, la colère et l’impuissance.

Dès lors que le constat est posé, comment se prémunir contre l’éco-anxiété? Premièrement, il faut se déculpabiliser, ce qui ne veut pas dire être irresponsable. S’il est important, surtout en période de crise, de savoir adopter un comportement éco-responsable, il faut bien se dire que ce n’est pas de sa faute ni celle de sa famille ou ses amis si le monde est dans cet état, que les causes sont multifactorielles et systémiques. En revanche, les responsabilités existent et il est important de bien les identifier et de demander des comptes suivant la situation. Il est également important de savoir prendre de la distance par rapport aux discours dominants des médias traditionnels sur ces questions et de diversifier ses sources d’informations.


Pour aller plus loin sur ces thématiques et notamment certaines solutions qui sont mises en place au niveau thérapeutique, vous pouvez écouter l’interview du psychologue Grégory Dessart sur Radiolibre.ch, disponible en libre écoute.

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