Triptyque autour de la place du «il» en terrain hostile – Volet 3

Publié le 15 avril 2022
Le masculinisme, une réponse du sexe charmant au wokisme dominant – ainsi s’intitule le 3ème volet de cette exploration sur la condition de l’homme aujourd’hui. Si le féminisme est né du patriarcat, le masculinisme est-il une réponse d’opposition faite aux femmes, ou un réflexe de survie face au raz-de-marée woke? Démonstration.

On l’a abordé dans le volet 1, le patriarcat semble être l’ennemi public numéro 1. Alors je suis partie à sa recherche, au plus près du diable lui-même, cet hétéro cisgenre. Il donne aux femmes le goût de la révolte et réduit les hommes occidentaux d’aujourd’hui, à des reliques du passé. Est-ce que le mâle du XXIème siècle est un oppresseur du pronom «Elle»? Ou est-il victime des abus de ses ancêtres, dans une époque où il ne fait pas bon être «Il»?

Les femmes n’y ont-elles que gagné? Nous étions des princesses, nous sommes devenues des enragées, poils aux jambes, regard noir. Ils étaient princes charmants, chevaliers servants, ils sont devenus chiens galeux, indésirables libidineux.

Certaines vont jusqu’à vouloir les émasculer, revendiquant l’usage substitutif d’un sex toy, plutôt que jouir des joyaux de l’ennemi. Le «compagnon» made in China est non violent lui au moins. Pourtant, je doute qu’on puisse ressentir la même tendresse dans les piles d’un vibromasseur, que celle dont peuvent nous honorer les élans du cœur d’un joli couillu. Ces viriles héroïnes préfèrent envisager le recours à la banque du sperme que s’encombrer d’un buveur de bière qui a la claque facile les soirs de foot. 

L’or blanc d’un donneur est comparable à l’argent numérique, dématérialisé donc virtuel, sans visage, sans odeur. Au bout du bout, c’est comme un bâtonnet de poisson, on ne sait même plus ce que c’est, mais au moins on peut le consommer sans mauvaise conscience. Est-ce vraiment la société dont nous voulons?

Oui, siffler une femme dans la rue n’est pas au sommet de la délicatesse mais, en fin de compte, nous ne sommes que des animaux pensants qui, à force de vouloir réinventer la roue, ne font que tourner dedans et brasser de l’air. Si on continue ainsi, la peine-menace en réponse à un compliment dans la rue sera bientôt la prison.

Si j’étais un homme aujourd’hui, je serais pantois. Je me verrais refuser des places au sein d’une direction, d’un conseil d’administration en raison de mon chromosome Y, mais je trouverais encore le moyen de légitimer cette préférence féminine. Je ferais mon possible pour une répartition équitable des tâches à la maison, malgré quoi, ma femme resterait toujours insatisfaite. Je me dirais moi-même féministe, progressiste. Mais il y a des limites et nous les avons allègrement dépassées.  

Je suis une femme et je regarde médusée une société qui se déchire sur de faux problèmes. Je suis une femme et ce simple fait me confère le «droit» de dire tout haut ce que beaucoup d’hommes pensent tout bas. «Mon sexe ne fait pas de moi un agresseur, mon sexe ne fait pas de moi un misogyne. Je suis un fils, je suis un mari, je suis un père, j’aime les femmes, je les respecte. J’ai mon propre référentiel oui, ce qui fait que peut-être je ne saisis pas toujours toutes les difficultés que les femmes rencontrent. Mais je ne me définis pas par mon seul sexe ou ma seule orientation sexuelle, je fais partie d’un ensemble et je ne comprends pas cet acharnement.» Les hommes et les femmes sont complémentaires. S’ils l’oublient, s’égo-centrent, ne font plus preuve d’empathie, ils se déclarent la guerre.

L’œuf ou la poule

Qu’est-ce qui a donné vie à ces mécanismes? Qui était là en premier, l’œuf ou la poule? Corrélation ne signifie pas causalité, l’exemple des trottoirs mouillés et du parapluie l’illustre bien. Les deux sont corrélés, mais l’un ne cause pas l’autre. Ce sont deux conséquences d’un troisième facteur qui est la pluie. 

Le psychologue genevois Adrien Bauer, a accepté d’apporter son éclairage sur les origines subconscientes de ce phénomène. «Le masculinisme est ancien. Dans les années 70, on observait déjà des regroupements d’hommes déboussolés par la rapidité du déploiement du féminisme. Le masculinisme n’est donc pas une réponse au wokisme mais un mouvement synergique au féminisme. De base, le féminisme s’exprime pour mettre en valeur la femme, et le masculinisme pour mettre en valeur l’homme. L’un et l’autre peuvent s’élever en synergie. Fatalement, des mouvements dérivant de ces deux courants ont adopté une démarche inverse.» 

Une origine que semble confirmer l’auteur Françoise Niel Aubin, pour qui «la raison d’être du masculinisme n’a jamais été autre que de réagir contre le féminisme, il est d’ailleurs apparu juste après lui, certains hommes considérant alors que le féminisme n’avait pas lieu d’être, et qu’il constituait alors, comme ils le pensent encore aujourd’hui, une atteinte vis-à-vis de leur statut d’homme, et plus précisément, vis-à-vis de leur virilité». D’ailleurs, dans son ouvrage Masculinisme elle cherche à lutter contre le déni des uns et des autres, pas pour nourrir l’opposition mais au contraire, ériger des passerelles entre nous et, nous accepter avec nos différences. 

Je suis allée plus loin dans la discussion avec Adrien Bauer qui, dans sa pratique, observe de plus en plus d’hommes qui ne trouvent pas leur place dans la société. «Ils manquent de repères et ne savent pas être des hommes, ont peur de s’affirmer, peur d’être accusés à tort (#metoo, #balancetonporc). Leurs compagnes ne les voient pas comme des hommes mais comme de grands adolescents dont elles doivent s’occuper et qu’elles traitent de machos. Ils sont, pour certains, victimes de violences psychologiques, verbales, physiques (en augmentation depuis la pandémie) et n’osent pas réagir pour des questions de fierté masculine, honte, peur des représailles des « social justice warrior ». De nos jours, la plupart des hommes adhèrent au féminisme, c’est-à-dire qu’ils reconnaissent son existence, son utilité et ses revendications fondamentales comme l’égalité des sexes, l’égalité salariale, l’égalité des chances. Quand ils sont pris à partie par des accusations wokistes ou féministes, leur système de la peur peut s’activer. Ils se sentent alors menacés d’être inadaptés pour la société et donc rejetés. Personne ne leur a enseigné la posture adéquate pour s’adapter. Cette peur peut les amener à se défendre, ce qui va confirmer le stéréotype de l’homme violent» observe le psychologue. 

Un cercle vicieux

On est loin du cercle vertueux précédemment évoqué, on dérive même vers des radicalisations dangereuses des deux côtés. «Le mouvement incel (involuntary celibate) s’en prend aux femmes mais également aux hommes qui ont du succès avec les femmes (dits normies dans leur jargon). Et le mouvement néo-féministe s’en prend aux hommes mais également à certaines femmes qui ne se reconnaissent pas là-dedans. Ce qui est paradoxal c’est que pour être féministe, la femme peut être amenée à exploiter d’autres femmes. Elle n’a pas le temps de garder les enfants, faire le ménage, la lessive. Elle confie ces tâches à d’autres personnes qui, si elles sont des femmes, n’ont plus le temps de se permettre d’être féministes.» ajoute le thérapeute. 

Il m’importe de ne pas céder au néo-féminisme dont les postulats sont notamment que «la nature n’existe pas, les différences entre les hommes et les femmes sont des différences artificielles qui sont à la fois causes et conséquences de l’oppression des femmes» et que «le féminisme est bénéfique aux femmes et les antiféministes sont nécessairement contre elles» comme le décrit très bien Julien Rochedy dans son livre L’amour et la guerre – répondre aux féministes

Néanmoins, il m’importe aussi de remercier celles grâce à qui je peux voter aujourd’hui, notamment l’Union suisse des ouvrières, qui est la première association à avoir demandé le droit de vote en 1893. La vision de l’époque était que «c’est en assurant le bien-être de la famille et en contribuant au sens moral de la communauté que les femmes légitiment leur participation dans un espace public dominé par les hommes» peut-on apprendre en visitant l’exposition temporaire «Le sexe faible?» au Château de Morges.

Entre les groupements féministes, incel, woke, LGBT, le trait commun c’est l’invention d’un jargon propre à leur cause. Nous sommes au cœur d’une guerre intestine, dans l’un des sillons de la guerre de l’information, au même titre que les fake news à l’ère de la communication. Dans cette société où on prend les mots comme on prenait les armes, on se bat contre un ennemi intime «phallusé». On agite un drapeau pour détourner l’attention de ce qui est vraiment important. On voit à l’œuvre la stratégie du «Diviser pour mieux régner» mais à qui profite le crime? Pour répondre à cette question, il faudrait bien plus que trois volets. Si tout passe par les mots et qu’on en invente des nouveaux, utilisons les mêmes outils, mais faits d’estime, de bienveillance et d’unité. La force de la femme n’est pas son bellicisme, on gagnerait bien plus à régner par la douceur.

Dans le canton de Vaud, sur sept conseillers d’Etat, cinq sont des femmes. Une majorité réitérée aux dernières élections. Ce ne sont pas les hommes qui ont empêché les femmes de devenir maçon, carreleur, storiste, en réalité elles n’ont aucune autre limite que celle qu’elles se fixent. C’est bien plus facile de devenir enseignante, journaliste, et crier «haro sur le baudet», scander dans la rue que le patriarcat nous brime!

Si aujourd’hui, je ne suis pas PDG d’une grande entreprise, c’est soit parce que jusqu’ici je ne l’ai pas voulu, soit à cause de croyances limitantes. Cessons de rendre la société responsable de nos échecs.

Il est utopique de penser qu’on peut dominer une majorité par une coalition de minorités qui ne défendent pas les mêmes intérêts. D’ailleurs les femmes ne sont pas une minorité, elles représentent la moitié de la société. A elles, à nous, d’occuper dignement cette place, sans céder à l’obsession victimaire ou à la haine. 

Finalement la femme est un macho comme les autres, et il faut commencer par se mettre au clair avec soi-même avant de prétendre changer le monde.

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