Triptyque autour de la place du «il» en terrain hostile – Volet 1

Publié le 1 avril 2022
Il faut battre l’homme tant qu’il est encore chaud - ainsi s’intitule le premier volet de cette exploration sur la condition de l’homme aujourd’hui. De dominant à émasculé, et si en 2022, la castration n’était pas chimique mais sociétale?

Woke woke woke, depuis quelques mois on le lit, on l’entend, on l’abhorre. J’espérais ne jamais avoir à l’écrire, mais puisqu’il faut bien appeler un chat une chatte et, par souci de clarté, oui il sera bien question du wokisme ou plutôt de ses victimes – les hommes. L’homme semble être devenu l’ennemi public numéro 1, une sorcière barbue à brûler, le bûcher est déjà allumé, mais par qui, par quoi, pourquoi? J’ai cherché à comprendre les raisons de cette hostilité, auprès de différents acteurs.

Amnesty International, que l’on attendrait ailleurs, se trouve pourtant sur ce terrain-là. L’ONG se définit comme militante «en faveur d’un monde où les droits fondamentaux de tous sont respectés». Quand elle prend position pour l’abolition de la peine de mort en Arabie saoudite, où l’exécution collective de 81 hommes le 12 mars, dont certains étaient condamnés pour de simples perturbations du tissu social, ou participations à des manifestations, on comprend son engagement. Mais en Suisse, peut-on vraiment parler de violation des droits fondamentaux lorsqu’un homme, aussi rustre soit-il, s’adresse à une femme? C’est en tout cas la position qui était défendue le 9 mars, lors du cours «Ne détournez pas le regard!» organisé par Amnesty à Lausanne.  

Je vous emmène avec moi:

Deux femmes et un non-genré sont là pour encadrer la soirée. Nous sommes une dizaine de participants, en cercle. Pour débuter, nous sommes invités à annoncer notre prénom, notre pronom et nos accords. Si vous ne saisissez pas tout de suite la mécanique, voici un modèle: «Bonsoir, je m’appelle Marcel, j’utilise le pronom iel, et les accords masculins et féminins.» L’exercice est particulier, il demande de parler de soi à la 3ème personne, alors que personnellement, avant de me définir en «elle» je me définis en «je». 

Puis, on nous distribue un fascicule – la déclaration universelle des droits de l’homme. Dans notre petit tour de présentation, on doit chacun choisir l’un des articles du livret et expliquer pourquoi. Une personne choisit le 2 «Interdiction de toute discrimination» et déplore qu’il n’y soit pas question de genre. 

Les acteurs jouent une première scène, celle d’un homme et une femme qui se disputent. Ils sont en couple. Il lui reproche «de s’habiller comme une pute et allumer tout le quartier». Nous sommes observateurs, puis nous devons analyser les raisons pour lesquelles il serait difficile d’intervenir. On nous explique que des psychologues ont théorisé la raison du manque d’intervention chez les témoins d’une agression. Il est fait référence à une affaire qui a eu lieu en mars 1964. Une femme s’est faite violer, pourtant 38 personnes ont vu ou entendu l’agression. Personne n’est intervenu. La femme a finalement été tuée. Il s’agit de «l’effet du témoin», on se dit que les autres ont déjà appelé les secours, et on met dans la balance les problèmes potentiels qu’on encourt si on intervient. 

La deuxième scène se déroule dans le tram. Là, un homme aborde une passagère qu’il ne connaît pas. Il devient insistant, elle ne sait plus comment s’en dépêtrer. Ces deux mises en situation nous permettent de tester des techniques d’intervention. On constate que la surprise et l’absurde peuvent bien fonctionner, alors que la morale pas du tout. 

Je dois reconnaître que dans l’ensemble, le bilan de la soirée est positif, on apprend vraiment quelques astuces, à condition de considérer qu’il est de notre devoir d’intervenir. Car si nous avions des victimes et des bourreaux, en nous immisçant, nous devenons les sauveurs du triangle dramatique de Karpman (analyse transactionnelle), une géométrie dont on cherche généralement à sortir.

Mais au-delà de la quadrature du cercle, c’est l’idéologie et le vocabulaire employé qui interrogent. «Entre mecs cis, il peut y avoir une escalade de violence». Ou encore «Filmer les flics en train de commettre des violences policières est toujours une bonne chose» comme l’affirmait l’un des protagonistes du cours.

Avant de partir, j’ai demandé à la coordinatrice de la soirée, pourquoi ne traiter que des violences faites aux femmes. Elle m’a répondu que c’est un choix conscient. Pour le moment ils estiment plus important d’aborder ce qu’ils considèrent être la majorité. Ils ont d’ailleurs recueilli le témoignage de 4’500 femmes en Suisse. Il en ressort notamment que 56% des sondées ont déjà été harcelées dans la rue. Mais combien d’hommes sont victimes de violences gratuites dans ces mêmes rues? On n’en sait rien, et vraisemblablement on s’en fiche. 

Pourtant, dans son magazine n°72 publié en février 2013, la Section suisse d’Amnesty International publiait un article intitulé «Quand le sexe fort est battu» et soulevait déjà que nous disposons de deux enquêtes représentatives de la violence envers les femmes en Suisse, mais qu’aucun homme n’a été interrogé. «L’image du mâle dominant, ancrée dans les esprits, rend son statut de victime impensable» écrivait Feriel Mestiri. Il est regrettable de constater que presque 10 ans plus tard, rien n’a changé. Pourtant il y avait déjà matière à se questionner. L’article faisait référence à un sondage mené tous les cinq ans auprès de 23’000 personnes depuis 1999, par l’Institut de la statistique du Québec. Le résultat révèle que hommes et femmes sont à égalité dans le recours à la violence physique. 

Les Helvètes seraient-ils épargnés? J’ai contacté Serge Guinot, fondateur et responsable de l’association Pharos à Genève. Depuis plus de 15 ans, il accompagne les hommes victimes de violence. A la question – Les hommes détiennent-ils le monopole de la violence? Il répond sans hésitation «Non! Dans le cadre du couple, 28% des victimes de violences conjugales sont des hommes. La violence n’est pas l’apanage d’un genre, l’être humain est capable de violence.» Des chiffres qui sont certainement sous-évalués, car le sujet reste tabou. «Pour les hommes, ce qui est difficile c’est d’être cru sans que ce soit minoré» explique Serge Guinot. 

D’après l’Office fédéral de la statistique, sur la période allant de 2009 à 2021, 686 femmes et 306 hommes ont été victimes d’homicides ou de tentatives d’homicide.

Ici, on ne parle même pas des bagarres où des hommes sont pris à partie parce qu’ils portent des lunettes, ou ont prétendument regardé l’agresseur avec trop d’insistance. Des chiffres qui, si on s’y intéressait, indiqueraient clairement que les hommes aussi doivent être protégés. 

Même si le phénomène reste minoritaire, devons-nous l’ignorer? Dans une société qui n’érige que les minorités en icônes, ce serait le phallus qui se mord la queue. Mais nous n’en sommes plus à une hypocrisie près. 

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