L’Etat veut nous aider? Ne chipotons pas!

Publié le 14 janvier 2022
On peut adresser toutes sortes de critiques au Conseil fédéral. Mais aussi lui savoir gré de voir le déclin du journalisme et de tenter d’y remédier. La loi sur le soutien aux médias soumise au vote le 13 février a des défauts, mais sur le fond, elle tombe à point nommé. Les journaux sont toujours moins nombreux, leur pagination diminue. Franchement, quels que soient les reproches qu’on peut leur faire, n’est-ce pas inquiétant? De nouvelles plateformes, comme celle-ci, émergent. Mais elles ont besoin de soutiens. Or il est prévu de leur venir en aide.

Nous n’avons pas l’habitude, à BPLT, de prendre position avant une votation. Notamment, et c’est tant mieux, parce que nous sommes de diverses opinions. Mais là, nous n’allons pas cracher dans la soupe. Un oui à la loi nous permettrait un plus grand professionnalisme, des approfondissements plus ambitieux. Or nous tombons pile-poil dans les critères prévus pour le renouveau des médias à caractère informatif.

L’audiovisuel est massivement soutenu. La redevance va à la SSR et aussi aux télévisions et radios locales. Pourquoi n’y aurait-il rien pour l’écrit? Qu’il apparaisse sur papier ou sur écran, il est indispensable à l’information et au débat. Or il est aujourd’hui, comme la lecture, en recul. Certes le livre, bonne nouvelle, se porte bien. Mais raconter le quotidien, réfléchir un peu à ce qui nous arrive, cela exige la maîtrise des mots. Si possible bien articulés entre eux. Renoncer peu à peu à écrire et à lire, se contenter d’un déferlement d’images et de sons, c’est accepter un déclin culturel.

«Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver», aurait dit Goebbels. En Suisse, alléluia, l’Etat, les cantons, les communes sortent des millions. Par centaines. Et les fondations privées aussi. Nous sommes sauvés, nous ne sombrerons pas dans le crétinisme. Mais le journalisme ne nourrit-il pas aussi la culture au sens large? Pourquoi ne pas le soutenir aussi?

 Les journaux, entend-on beaucoup et surtout ces temps, sont conformistes et dociles. Pas faux. Mais si l’on exige leurs sursauts, il faut leur en donner les moyens. Or les rédactions se ratatinent. La faute aux éditeurs qui préfèrent s’enrichir avec des plateformes commerciales. La loi serait un rappel à leurs responsabilités. Et ce signal secouerait aussi la morosité des journalistes qu’inquiète l’évolution de leur métier, pourrait leur donner un peu de courage et de mordant. Quant aux titres indépendants et régionaux qui luttent pour leur survie, ils trouveraient là une bouffée d’air plus que bienvenue.

Le déclin de la presse s’accompagne, ces dernières décennies, d’un élargissement spectaculaire de l’espace digital. Une fois maîtrisés par leurs usagers, les réseaux sociaux sont utiles, nous l’avons dit. Mais ils ne suffisent pas. Le travail journalistique reste indispensable… et apprécié. A preuve, le succès des plateformes de qualité, comme Infosperber, Republik, Heidi.news… et la nôtre, si vous permettez cette immodestie. Avec leurs défauts et leurs atouts, mais elles sont bien là, et un coup de pouce fédéral pourrait permettre de faire mieux encore. En toute indépendance des éditeurs zurichois.

Et indépendance face à l’Etat? Bien sûr! Imaginer que des sbires fédéraux vont manipuler ces rédactions farouches est absurde. La liberté d’esprit, quand on l’a bien chevillée, ne se laisse pas bousculer. A preuve, la scène culturelle, massivement subventionnée, ne peut être accusée de se mettre aux ordres «d’en haut». 

Autre objection, cette aide irait surtout aux groupes de presse. Pour une part importante, en effet, surtout à travers le cofinancement de la distribution matinale des journaux. Mais au rythme où diminue le nombre des abonnés au papier, cette somme se réduira sans doute. Et puis même si cet aspect peut irriter, ce n’est pas une raison de balayer un projet qui donne par ailleurs des chances au nouveau journalisme.

Essayons au moins. L’aide est prévue pour une durée de sept ans. Après quoi, nos jeunes boutiques à mots seront, espérons, assez fortes pour s’en passer.

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