Pas touche à Yverdon!

Publié le 18 septembre 2018

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D’aussi loin que je m’en souvienne, mon statut d’Yverdonnoise a toujours été accueilli avec un haussement de sourcils et des remarques désobligeantes. Malgré sa position géographique qui en fait un lieu incontournable de Suisse romande, son site préhistorique inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, ou encore ses bains thermaux, Yverdon a mauvaise réputation. Explications et témoignages.

En 2007, la RTS – alors encore appelée TSR – dédiait un Mise au point à Yverdon, osant un parallèle avec le Bronx, un des arrondissements les plus «chauds» de New York. Des échauffourées entre la police et des jeunes de la ville avaient alors motivé ce reportage qui dressait un portrait peu glorieux du chef-lieu nord-vaudois. En 2014, après le décès d’un adolescent frappé par un autre sur la place Bel-Air, le quotidien 24heures titrait «Yverdon veut redorer son image noircie par la violence». Depuis des années, les faits divers de la ville sont mis en exergue par les gros titres d’une presse pas toujours soucieuse de prendre du recul.

Aujourd’hui, la problématique de la migration s’est ajoutée aux défis des autorités yverdonnoises, et la présence de dealers installés à la place de la gare influe sur le sentiment d’insécurité des pendulaires et des habitants, à tort ou à raison… La création d’un poste de police sur les lieux semble relever d’une manœuvre politique plutôt que d’un véritable moyen de lutter contre le problème, puisque celui-là est ouvert aux heures de bureau et que les agents n’ont qu’une marge de manœuvre restreinte lors des interpellations. «Il sert surtout à rassurer les commerçants qui ont demandé une présence policière à la gare, explique Jean-Daniel Carrard, syndic d’Yverdon et ancien directeur des polices du canton de Vaud. Quand les agents peuvent être présents, cela disperse les dealers, mais cela ne suffit évidemment pas à régler le problème.» 

Pour le syndic, la réputation d’Yverdon est injustifiée et les incidents sont en baisse.

Que ce soit du fait d’actes délictueux de la jeunesse de certains quartiers, ou du trafic incessant qui s’y déroule, Yverdon peine à se débarrasser de sa réputation de «ville dangereuse.» Pour le syndic, la réputation d’Yverdon est injustifiée et les incidents sont en baisse, selon les chiffres de la police.

Longtemps considérée comme une ville ouvrière, à cause de ses nombreuses usines, Yverdon a également inauguré la première ligne de chemin de fer de Suisse romande, en 1855. Autant d’images pas forcément glamour qui se sont accumulées depuis fort longtemps et dont la ville peine à se défaire, malgré son Y-Parc qui accueille 160 entreprises, fleurons de la technologie et de l’innovation.

Depuis les années 2000, où elle ne comptait que 23’000 habitants, Yverdon connait une croissance régulière jusqu’à accueillir aujourd’hui un peu plus de 30’000 résidents, dont 43% d’étrangers, ainsi que 2000 chômeurs et demandeurs d’emploi, contre environ 10’000 à Lausanne.

Levée de boucliers

Cependant, la mauvaise réputation d’Yverdon est inversement proportionnelle à la fierté et à la motivation de ses habitants pour l’en défaire. Ils sont nombreux à se démener quotidiennement pour améliorer l’image de la capitale du Jura-Nord vaudois. S’ils ne bénéficient pas toujours d’une communication suffisante de la part de la Municipalité, de nombreux événements sont organisés dans la Cité thermale tout au long de l’année. «Nous avons notre site internet, nous distribuons des flyers, éditons des communiqués et tentons d’accroître notre présence sur les réseaux sociaux, mais c’est vrai que nous pourrions peut-être faire plus, reconnaît Jean-Daniel Carrard. L’idée d’un panneau d’affichage tournant à la gare a été évoquée.»

Récemment, la fête des Yodleurs et les Schubertiades ont animé la ville. Des festivals comme AlternatYv, Le Castrum, Antidote, la Dérivée ou encore Numerik Games participent à révolutionner l’attrait d’Yverdon, jusqu’à en faire un lieu prisé des festivaliers et de la jeunesse romande. Marc Attalah, en charge de l’organisation des Numerik Games, est également le directeur de la Maison d’Ailleurs, le musée de la science-fiction situé au coeur de la ville. Il fait donc partie des acteurs phares de l’identité culturelle d’Yverdon:

Mais cet investissement des Yverdonnois est particulièrement flagrant sur le groupe Facebook «T’es d’Yverdon si… », véritable agora virtuelle où se déroulent débats, prises d’information, partages et conversations en tous genres. Ses participants sont prompts à donner leur avis – pas toujours bien reçu – dans une sorte d’euphorie prolixe, pas toujours bien maîtrisée. Bref, les réseaux sociaux dans ce qu’ils ont de plus ingérables autant que fascinants: «Yverdon, c’est maintenant un melting pot de créativités et visions qui se croisent et se forment, s’organisent pour donner vie à un territoire longtemps abandonné au pessimisme des expatriés émigrés vers les grandes villes déjà brillantes», explique Mathilde Marendaz, une étudiante de 21 ans.

Un son de cloche à l’opposé de celui de Michel Fehr, 65 ans, qui a été commerçant pendant dix ans à Yverdon: «Un gros village qui tient plus de l’EMS que d’une entité vivante (…) Des commerces de proximité qui ferment à qui mieux mieux, étouffés par des loyers délirants et une clientèle de plus en plus clairsemée, remplacés par des gérances immobilières et autre agences inutiles question fun. Et surtout une police du commerce et son chef qui …comment le dire en restant poli? Prompte à verbaliser, étouffer dans l’œuf toutes tentatives de sortir de ces ornières creusées de vieux chemin de cimetière.»

«Il faut dégager toute la racaille de la gare! Quand on arrive dans une ville, et que on voit cette faune, l’image est donnée», s’énerve Nicolas Durussel, habitant d’Yverdon.

«Bien sûr Yverdon connaît des problèmes de deal de rue, de centre-ville dont les petits commerces ferment, etc., reconnait l’Yverdonnoise Dominique Olivary Guex. Mais d’une part c’est aussi le cas dans d’autres villes, d’autre part il y a ici beaucoup de jeunes qui proposent des choses nouvelles et qui y réussissent malgré les embûches d’un exécutif souvent très frileux. Moi je vois aussi une ville avec un potentiel énorme, des énergies, des envies de renouveau, des sensibilités aux problèmes actuels, des audaces, des courages, ajoute cette logopédiste fraîchement retraitée. Je vois des salles de spectacle remplies, un public qui peu à peu s’ouvre aux changements. Cette mauvaise réputation est aussi due à la fermeture d’esprit des villes plus importantes de la Suisse romande qui continuent de regarder Yverdon de haut. Rappelez-vous l’Expo 02, lieu culturel fabuleux, boudé par les Lausannois et les Genevois!»

Et Céline Piceni, éducatrice de l’enfance, d’ajouter: «Je ne connaissais pas trop Yverdon avant d’y habiter, ça fait maintenant cinq ans et je trouve qu’il y a plein de choses à y faire. Centre-ville avec plein de magasins les uns à côté des autres. Je ne me lasse pas de la place Pestalozzi et de ses terrasses. Il y a plein d’animations, de concerts, etc… juste génial. Joli jardin japonais près de la gare, au bord du lac avec tables de pique-nique, je trouve très sympa! Piscines à disposition. Super musée, la Maison d’Ailleurs etc… tant de choses à dire.»


Défenseurs de taille

En charge de la page Facebook «T’es d’Yverdon si… » pendant quelques années, la conseillère communale Aurélie-Maude Hofer connaît bien sa région, sa ville et les drôles d’oiseaux qu’on peut parfois y croiser: «Oh, on en a eu des polémiques et des drames qui ont fait surgir le côté émotionnel des membres du groupe, des événements tristes, d’autres racistes, des drôles, etc…  C’est comme ça dans tous les groupes « t’es d’… si! » (…) Vous savez on gère les conflits mais souvent on nous écrit en messages privés et ça peut aussi se poursuivre en menaces. C’est très difficile émotionnellement.» Avant de rejoindre le conseil communal d’Yverdon, Aurélie-Maude Hofer a tenté de lui insuffler sa soif de changement: «Cette ville fourmille de choses à faire en semaine et les week-ends et j’étais personnellement déçue d’apprendre leur existence  une fois les événements déjà passés en ouvrant le journal. J’ai donc décidé que cette page pouvait avoir comme fonction première d’informer et de renseigner les Yverdonnois sur leur ville, ce qui ne pouvait que lui faire du bien. Grâce à beaucoup d’acteurs associatifs et culturels les choses avancent dans le bon sens et on parle de plus en plus de notre belle ville autre que dans les « faits divers ».»

«Heureusement aujourd’hui, je crois que beaucoup de jeunes sont très attachés à leur ville et fiers d’y habiter.»

Pour Cesla Amarelle, conseillère d’Etat en charge de la formation, de la jeunesse et de la culture, qui habite à Yverdon, la ville revêt de multiples visages: «une cité technologique et numérique, de formation, de culture ainsi qu’une ville carrefour.» Quant à la mauvaise image d’Yverdon à l’extérieur, Cesla Amarelle se risque à une explication: «Il y a peut-être le fait qu’elle soit la seconde ville du canton de Vaud en termes de nombre d’habitants, entraînant ainsi un léger complexe face à la capitale qu’est Lausanne, suppute-t-elle. A l’époque, celui qui voulait faire des études partait d’Yverdon pour Lausanne, et c’était vu comme valorisant. Heureusement aujourd’hui, je crois que beaucoup de jeunes sont très attachés à leur ville et fiers d’y habiter. Par ailleurs, et comme d’autres villes d’une certaine importance, Yverdon est confrontée à des problématiques typiquement urbaines, comme celles d’actes violents ou du deal de rue. Elle est néanmoins une ville aimée de ses habitants pour la qualité de vie qu’on y trouve, ainsi que pour la convivialité de ses espaces publics.»

Yverdon sinon rien!

Yverdon, c’est une ville qui développe des torrents d’efforts pour sortir de sa léthargie et résister aux assauts des préjugés. C’est une ville multiculturelle suffisamment grande pour abriter des myriades de projets en tous genres, mais suffisamment petite pour permettre à ses habitants de développer ce sentiment d’appartenance qui nous rend tous un peu moins inquiets.

Loin du poncif de l’habitante qui défendrait sa ville à corps et à cris, je pense faire partie de ces citoyens qui ne comprennent pas la stigmatisation dont elle est victime. Pour moi, Yverdon est terre de solidarité et d’audace. Plus on la décrie et plus elle fera preuve de ténacité. Cette image de «ville dangereuse» me semble, comme à la plupart des Yverdonnois, totalement surréaliste.

Certes, la cité thermale est dotée d’un «sacré caractère» – à l’image de ses habitants, mais si certains sont toujours un peu réticents à y mettre les pieds, ceux qui la connaissent ont bien du mal à la quitter.


En 2014, suivant l’impulsion de plusieurs autres villes dans le monde, Yverdon-les-Bains a invité ses citoyens à tourner son propre clip sur la chanson Happy, de Pharell Williams. Voyez plutôt:


A venir à Yverdon: l’exposition Je suis ton père de la Maison d’Ailleurs (jusqu’au 14 octobre), la nuit du court-métrage (28 septembre), ainsi que le 35ème anniversaire du Musée de la Mode (jusqu’au 30 septembre).


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