Trois défaites de l’arrogance

On allait voir ce qu’on allait voir: lors de sa nomination comme Premier ministre britannique le 5 septembre dernier, Liz Truss arrivait au 10, Downing Street bardée de certitudes ultra-libérales: baisses massives d’impôts, déréglementations, et dépenses accrues pour faire face à la crise de l’énergie. Et comme on l’a vu, en moins d’un mois de direction effective du pays, elle a dû prendre la porte la queue entre les jambes, défaite par la vive réaction des marchés financiers qu’elle prétendait servir.
Oups, ce n’était pas prévu
On allait voir ce qu’on allait voir. Lorsqu’il a lancé ses troupes à l’assaut de l’Ukraine le 24 février dernier, Vladimir Poutine était certain que l’affaire serait réglée en trois jours, avec des troupes accueillies en triomphe dans les rues de Kyiv, de Kharkiv et d’ailleurs, écrasant moralement, au passage, ces décadents d’Occidentaux. Presque neuf mois plus tard, son armée a essuyé trois retraites dont une débandade, elle est embourbée dans le Donbass, la Russie est au ban des pays riches et son dictateur est même privé de présence au G20, le club des puissants. Rattrapé par la faiblesse de son armée et de son pays et par les capacités de mobilisation de ses adversaires prétendument incapables du moindre geste sérieux.
On allait voir ce qu’on allait voir. Lorsqu’il lance ses candidats à l’assaut du Congrès et des divers postes à responsabilité dans les Etats lors des élections de mi-mandat le 8 novembre aux Etats-Unis, Donald Trump fait dans l’emphase qu’on lui connaît. Il jure qu’une «vague rouge» va déferler sur les Etats-Unis. Que cette «vague» républicaine sera l’expression de la volonté du bon peuple américain de balayer les élites corrompues de Washington et d’ailleurs. Et que la vraie Amérique, la sienne, reviendra au pouvoir, avec lui à sa tête naturellement. Les électeurs en ont décidé autrement, se prononçant au contraire pour un partage du pouvoir entre les deux principales forces politiques du pays et lançant un appel au consensus et à l’apaisement. Les électeurs n’ont de toute évidence pas accepté qu’on leur force ainsi la main.
La fin de l’homme fort?
Ces trois exemples d’échecs qui ont eu la planète entière pour témoin sont les derniers développements de l’effondrement des visions, des stratégies et des croyances lorsqu’elles résultent de l’aveuglement de leurs initiateurs et non pas de la réalité des faits. Liz Truss voulait défier les lois de l’économie, l’économie l’a rappelée à l’ordre. Vladimir Poutine voulait montrer qu’il était le plus fort, et le rapport de force s’est révélé à lui. Donald Trump croyait pouvoir dicter les choix des électeurs américains. Et ces derniers lui ont rappelé que ce sont les urnes, et pas lui, qui commandent.
Les trois dirigeants ont cru que l’idéologie pouvait supplanter les valeurs démocratiques ou les lois du marché. Ils ont cru à l’aphorisme selon lequel les problèmes compliqués ne pouvaient être résolus que par des solutions simplistes. Ils ont cru à leur propres promesses. Ils ne sont évidemment pas les seuls à s’être laissés aveugler par leur propre puissance! Que dire de Jaír Bolsonaro, qui a cru qu’il suffisait d’insulter et de menacer ses adversaires sur les réseaux sociaux pour remporter une élection présidentielle au Brésil? De Sam Bankman-Fried, qui croyait qu’il suffisait d’accabler un concurrent pour sauver sa plateforme de négoce des cryptomonnaies FTX de la faillite début novembre? D’Urs Rohner, qui présumait de la force de Crédit Suisse qu’il a présidé, au point de décourager les vrais contrôles de risque internes, au point de plonger la banque dans une crise profonde en octobre?
Leurs échecs marquent-ils celui de l’idéologie de l’homme fort (ou de la femme aux idées fortes)? Rien n’est moins sûr. La planète compte de nombreux dictateurs ou dirigeants autoritaires que rien ne semble vouloir faire partir, comme Xi Jinping ou Recep Tayip Erdogan. Mais les revers planétaires de Madame Truss et de MM. Poutine et Trump ont montré que les peuples, lorsqu’ils ont le choix, ne se laissent pas emporter par leurs arguments simplistes. Les peuples, quand ils peuvent s’exprimer, sont d’abord demandeurs de solutions concrètes à leurs problèmes. Ils sont attachés à la préservation de leurs droits démocratiques et à la paix. Ils ne veulent pas des slogans arrogants et déconnectés des réalités de la vie.
Madame Truss, MM. Poutine et Trump, et tous leurs partisans et suiveurs, nous vous souhaitons un retour sur Terre pas trop douloureux.
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