René Burri, «le Picasso de la photo»

Publié le 7 février 2020
Le plus facétieux et charismatique des photoreporters suisses est à l’honneur au Musée de l’Elysée, dernier havre de ses vastes archives. Sous le titre «Explosion du regard», le parcours de vie de René Burri fait l’objet d’une exposition aussi colorée et divertissante que le personnage lui-même.

De lui on connait le portrait de Che au cigare, des rues de Sao Paolo coupées par l’ombre des gratte-ciels et de silhouettes improbables, de Picasso le regard malicieux et complice, de la rencontre historique de Nixon et d’Anwar el-Sadat devant les pyramides en 1974, de bordels coréens au début des années 60 et de chroniques visuelles de Le Corbusier.

René Burri a laissé derrière lui une œuvre immense dans laquelle les commissaires de l’exposition, Marc Donnadieu et Mélanie Bétrisey, ont puisé plus de 540 photos, collages, couvertures de magazine, lettres, cartes et même les documents d’identité du photographe-voyageur. L’ensemble, organisé par grands thèmes, donne à voir un hyperactif de l’image, mais également sa vie, à commencer par un dessin lorsque Burri était encore enfant.

«Cette exposition est à l’image de Burri, prévenait Tatyana Franck la directrice du Musée de l’Elysée en guise d’introduction à l’ouverture: elle est généreuse, comme lui!». Disparu en 2014 à l’âge de 81 ans, il laisse derrière lui l’image de l’éternel jeune homme doté d’un chapeau et d’une écharpe nouée autour du cou.

René Burri, Autoportrait, Coronado, Nouveau Mexique, États-Unis, 1973/1983

© René Burri / Magnum Photos. Fondation René Burri, courtesy Musée de l’Elysée, Lausanne

Le Picasso de la photo

«L’explosion du regard» est également l’explosion du talent d’un jeune homme qui se destinait au cinéma avant d’être happé par la photo et de publier son premier reportage dans LIFE magazine à 20 ans.

Burri est né à Zurich en 1933 d’un père suisse et d’une mère allemande. Son père cuisinier, passionné de photo, prêtera son appareil à son fils qui, à l’âge de 13 ans, réalisera sa première photo, celle de Winston Churchill en visite en Suisse à bord d’une décapotable. C’est à l’Ecole des métiers de Zurich qu’il entrera dans la photo, tout en acquérant un socle de compétences dans de multiples domaines, y compris le graphisme, le dessin et la peinture.

Donnadieu qualifie Burri de «Picasso de la photo» car il savait tout faire. «Burri connaissait tous les métiers! Il pouvait aussi bien réaliser des mises-en-pages graphiques que trouver les plus beaux titres au monde. Il pouvait tout se permettre, il n’était prisonnier de rien, comme Picasso».

René Burri, Juf, Suisse, 1967, le flou à l’avant-plan, une signature de Burri

© René Burri / Magnum Photos. Fondation René Burri, courtesy Musée de l’Elysée, Lausanne

Nous découvrons un «créateur compulsif» comme le décrit Pau Maynès Tolosa, le restaurateur de l’Elysée, qui admet que la préparation de l’exposition consacrée à Burri était inhabituellement facile car tout était si bien préservé. Le photoreporter gardait même les titres de transport de tous ses voyages. Comme Burri se baladait toujours avec une boîte de peinture aquarelle dont il se servait pour calmer ses nerfs lors de ses nombreux déplacements, les murs de l’Elysée sont illuminés d’images qu’il a lui-même colorées.

Le sésame suisse, son passeport

Entré à l’agence Magnum en 1955, Burri en devint un des piliers à partir de 1959. «Son passeport suisse et son don pour les langues – il en parlait quatre – était très précieux pour l’agence qui pouvait l’envoyer dans des pays où d’autres photographes ne pouvaient pas entrer. C’était notamment le cas en Égypte, Israël, la Russie et Cuba pendant des périodes d’énormes tensions», précise Marc Donnadieu.

Il souligne, en outre, une approche de la photo différente de ses camarades chez Magnum, dont certains, comme Henri Cartier-Bresson, «un génie intuitif» venait du monde des arts et d’autres de la photo pure. Burri resterait animé tout au long de sa vie (1933- 2014) par une approche formelle de l’image acquise auprès de ses professeurs Hans Finsler et Johannes Itten à Zurich et une créativité qui débordait dans tous les domaines qu’il touchait.

«Il ne faisait pas de la photo, précise Donnadieu, il racontait des histoires».

René Burri, Paris, France, vers 1953© René Burri / Magnum Photos. Fondation René Burri, courtesy Musée de l’Elysée, Lausanne

Clotilde Blanc-Burri, sa délicieuse et discrète veuve, disait à l’ouverture de l’exposition que René aurait sans doute été intimidé par l’exposition qui lui est consacrée.

«C’est normal, répond Donnadieu. Burri était un exhibitionniste précurseur des selfies qui adorait le théâtre et se mettre en scène, mais il est toujours resté très humble».

A voir absolument jusqu’au 3 mai.


René Burri, l’explosion du regard

Une rétrospective inédite sur l’ensemble de l’œuvre du photographe, issue du fonds de l’artiste, de ses archives personnelles et de celles de Magnum Photo.

Du 29 janvier au 3 mai 2020

L’avant dernière exposition – avant le départ de l’Elysée vers le pôle muséal de Plateforme 10 – en 2022 est gratuite.

http://www.elysee.ch/accueil

http://www.elysee.ch/fileadmin/user_upload/elysee/Expositions/Rene_Burri_2020/MEL_DP_FR_Rene_Burri_Explosion_du_regard.pdf

http://www.elysee.ch/expositions-et-evenements/expositions/rene-burri-lexplosion-du-regard/


René Burri, Xerox, Los Angeles, États-Unis, 1971, le photographe utilisait plusieurs appareils photo à la fois. © René Burri / Magnum Photos. Fondation René Burri, courtesy Musée de l’Elysée, Lausanne

René Burri, Brasilia, Brésil, 1960 © René Burri / Magnum Photos. Fondation René Burri, courtesy Musée de l’Elysée, Lausanne

René Burri, Quatre hommes sur le toit, São Paulo, Brésil, 1960

© René Burri / Magnum Photos. Fondation René Burri, courtesy Musée de l’Elysée, Lausanne

René Burri, Ministère de la Santé, Rio de Janeiro, Brésil, 1960 © René Burri / Magnum Photos. Fondation René Burri, courtesy Musée de l’Elysée, Lausanne

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