Que reste-t-il de nos illusions?

Publié le 25 juin 2018
«Les catastrophes économiques, je connais, j’ai vécu ça au Pérou où la situation a poussé ma mère à l’exil. Mais ce qui se passe au Venezuela est encore plus grave. Je n’ai jamais vu une chose pareille.» C’est ce que nous disait il y a quelques jours à la rédaction, Doménica Canchano Warthon de retour d’un reportage au Venezuela. C’est littéralement ce qu’on appelle un «point de vue»: il éclaire et enrichit le récit que notre journaliste nous a livré dans la série d’articles parus ces derniers jours. Il donne une mesure plus concrète de ces mots – inflation, pénurie, violence – qui, vus d’ici, peinent à dépasser l’abstraction. Nous avons suggéré à Doménica, en guise de post-scriptum à son reportage, de partager son point de vue avec les lecteurs. Cri du cœur d’une Latino-américaine éprouvée dans sa capacité à espérer.

Dans la nuit du 8 août 1990, ma mère, ma sœur et moi, blotties sous notre toit de chaume, avons écouté à la télévision le discours d'un homme en cravate annonçant l'augmentation du prix du lait, du sucre et du pain, entre autres. Trois produits qui, dès le lendemain, deviendraient un luxe et que nous ne pouvions désormais plus nous permettre. Il s’agissait alors du ministre péruvien de l'économie. Son discours a pris une dimension tragique dans une phrase qui en a fait frémir plus d’un: «Que Dieu nous aide».

Août 1990: le discours du ministre péruvien de l'économie Hurtado Miller.
Six mois plus tard, ma mère a décidé de partir pour l'Italie, laissant ses enfants au Pérou. Cette nuit-là, j’avais 10 ans, j'ai compris le sens du mot «inflation», les conséquences du phénomène et, bien que ma mère ait travaillé dur, j’ai aussi compris qu’il existait des forces au-dessus de nos têtes qui nous empêchaient de vivre dignement.
L'hyperinflation, la récession et la pauvreté, des problèmes qui frappent aujourd’hui de plein fouet le Venezuela, nous rappellent de manière significative ce que le Pérou a vécu il y a plus de 30 ans. Dans un autre contexte certes, dans une autre conjoncture politique, mais le résultat implacable est devenu une scène récurrente.
Après ce discours, les effets ont été immédiats: il y a eu une augmentation généralisée des prix et une pénurie d'aliments de base. Les mères ont saccagé des magasins pour nourrir les enfants, les agriculteurs se sont mis en grève, il y a eu des manifestations dans les rues, la hausse du prix de l'essence, des denrées alimentaires et la dévaluation de la monnaie péruvienne. Les prix se sont envolés, le nombre de zéros du Inti a explosé, des sacs ont dû être utilisés pour transporter l'argent. Dans les hôpitaux, il n'y avait plus ...

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