Quand l’Allemagne manipulait le djihad

Publié le 23 mai 2018
C’est une face méconnue de la Première guerre mondiale: l’Empire allemand a tout fait pour susciter une révolte religieuse des musulmans contre la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Le projet échoua. L’historien français Jean-Yves Le Naour publie un livre fouillé et étonnant sur le sujet: «Djihad 1914-1918» (Ed. Perrin). Un siècle plus tard, d’autres puissances occidentales ont joué avec le même feu en soutenant les mouvances islamistes contre l’Etat syrien. Il semble bien que ce soit aussi un échec. Y aurait-il des leçons à tirer du passé?

L’histoire
a commencé bien avant la guerre. En 1898, l’empereur allemand Guillaume II
débarque en grandes pompes à Constantinople et embrasse le sultan Abdülhamid II
dont les troupes ont massacré trois cent mille Arméniens chrétiens les années
précédentes. L’Allemagne cherche un
allié. La Turquie peut être un allié précieux, économique et politique. Le
monarque à l’ample moustache de Berlin ira aussi à Jérusalem et à Damas où il tient
un discours remarqué: «Les 300 millions de musulmans dispersés sur
la Terre peuvent être assurés que l’empereur allemand sera toujours leur ami et
leur protecteur».
Lorsque la France
et la Grande-Bretagne scellent leur entente en 1904, l’Allemagne s’inquiète et
étend son projet de mobilisation islamique au-delà du Moyen-Orient, en direction
des colonies françaises d’Afrique du nord. «Placer le cimeterre rouillé
de l’islam au service de la guerre moderne et mijoter dans le vieux pot du
djihad une soupe germanique d’un goût radicalement nouveau, tel est l’objectif
de Berlin», écrit Le Naour. Derrière cette ambition, un homme: le
baron Max von Oppenheim, né dans une famille de banquiers, fasciné par l’Orient,
bourlingue dans tout le monde arabe, apprend la langue, finance des fouilles
archéologiques en Syrie, envoie des centaines de mémoires à Berlin où il
préconise «l’insurrection islamique». Le personnage enturbanné,
nommé consul au Caire où il vit dans son harem, intrigue et inquiète les Anglais
et les Français. Georges Clémenceau écrit en 1913: «Je souhaite
ardemment que l’avenir puisse me donner tort. Nul n’ignore cependant qu’en cas
de guerre nous aurons sur les bras une formidable insurrection en Algérie et au
Maroc, sans parler de la Tunisie.»
Cela n’arrivera
pas. En 1914, la mobilisation des Nord-Africains se déroula sans heurts. L’A...

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