Qu’est-ce donc qui cloche au Parlement?

La formule du Parlement de milice, dont la Suisse est si fière depuis son introduction en 1848, est un trompe-l’œil. En fait les trois quarts des élus sous la Coupole fédérale sont des professionnels de la politique. Il devient de plus en plus difficile de concilier l’exercice d’un métier et le travail considérable d’un parlementaire. Certes la rémunération est convenable, surtout pour les assidus aux séances. Mais très insuffisante (33’000 francs par an) celle accordée pour s’appuyer sur quelqu’un qui puisse aider à débroussailler les dossiers, préparer le travail. La tentation est grande d’accepter divers mandats, conseils d’administration, instances faîtières de tous bords…
Pas étonnant donc que certaines professions soient surreprésentées. Les avocats, les chefs de grandes entreprises, les cadres d’organisations professionnelles et syndicales. Plusieurs tranches de la société ne trouvent pas ou peu de marche-pied dans ces travées. Les femmes (cela ne progresse plus), les jeunes, les «secondos», les ouvriers, les petits patrons…
On observe une certaine homogénéité dans la formation des membres de l’assemblée. Bonnes études universitaires, rarement dans l’apprentissage professionel, parcours à travers des associations, des appareils politiques, peu ou pas d’expérience de vie en tant que salarié ou cadre dans de modestes entreprises peinant à boucler le mois. Nous avons bien affaire à une élite privilégiée plus qu’à une véritable représentation populaire.
Certains politologues ont pointé une autre faiblesse du système. Les parlementaires, accaparés par leurs charges, la vie du parti, les discours ici et là, n’ont plus guère le temps d’établir un lien proche avec les citoyens et citoyennes. On leur parle sur les marchés avant les élections. Ensuite, sans le vouloir, on s’éloigne d’eux, on ne les écoute pas vraiment. Pas étonnant donc que certaines préoccupations du simple pékin ne remontent pas à Berne.
Un exemple. Les primes d’assurance-maladie virent au cauchemar des ménages. Depuis des décennies, ni le Conseil fédéral ni le Parlement ne parviennent à enrayer la spirale des coûts. Aveu d’impuissance mais refus de revoir le système à la base. Certaines voix socialistes, isolées, réclament une caisse unique. Quelques-unes osent dire que le montant à payer devrait être proportionnel au revenu, comme partout en Europe. Mais le débat ne démarre pas. Alors qu’un récent sondage indique que 60% des personnes interrogées (davantage en Suisse romande) sont favorables à ces deux changements fondamentaux. Mais rien ne bougera. Pourquoi? Parce que toutes sortes de lobbies, d’ailleurs opposés entre eux, ont mis le Parlement sous leur coupe, bloquent les réformes, excluent tout autre système. Le scénario se reproduit avec la loi sur le deuxième pilier qui donne bien des soucis aux assurés mais satisfaction aux assureurs. Mais là, au moins, le peuple s’exprimera l’an prochain par référendum sur ce sujet plus brûlant qu’il n’y paraît. On y reviendra.
Autre exemple? L’inflation. La plupart des gouvernements voisins ont au moins tenté de faire pression sur les distributeurs et les industriels afin qu’ils n’aillent pas au-delà de la réelle augmentation de leurs coûts. C’est si facile de faire valser les étiquettes. Souvent à raison, pas toujours. En Suisse, rien n’est fait au niveau politique. L’autorité censée veiller à la concurrence est impuissante face au duo des géants, Coop et Migros, qui donnent le rythme avec les trois quarts du marché alimentaire. Une telle domination serait impensable chez nos voisins. Ici cela ne fait pas un pli.
Le Parlement choisit même de se défaire d’un pouvoir. Par habitude, par confort. Il a celui d’élire les membres du gouvernement, très bien, mais en fait il ne l’exerce pas pour en démettre un. Ces messieurs-dames de haute volée décident eux-mêmes quand le moment arrive de partir. Un privilège unique au monde. Cette coutume n’a connu que trois exceptions dans l’histoire. Or il peut arriver qu’un ministre pédale à tel point dans la confusion, devenu si impopulaire, si inefficace, que son remplacement soit simplement raisonnable. Quasiment impossible car les partis au pouvoir se tiennent par la barbichette et cherchent d’abord à durer, à ne rien risquer. Cet entre-soi gouvernemental n’a plus grand-chose à voir avec une démocratie vivante et vigilante. Ainsi donc nous garderons un ministre des Affaires étrangères à la mine de chien battu, qui n’a aucun goût pour la politique internationale, qui court aveuglément derrière le «bon camp», qui n’aime pas voyager, qui cherche surtout à ne rien dire, à se protéger de toute critique… ce qui lui en vaut une pluie. Un champion de la procrastination. Avec le seul souci de rester en place, entouré de bénis-oui-oui plutôt que de diplomates chevronnés qui ont d’ailleurs tendance à prendre le large.
Pardon, chères élues, chers élus, votre compétence, votre ardeur ne sont pas en cause, mais comprenez que nous n’ayons pas grande envie de célébrer au champagne votre entrée dans cet échafaudage vieilli et compromis. Si loin de nos tracas quotidiens. Si loin de l’espoir d’une Suisse politique aussi innovante et attentive aux besoins que peut l’être son économie.
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