Qu’est-ce donc qui cloche au Parlement?

Publié le 17 novembre 2023
Tout a été dit sur le résultat des élections fédérales. Renforcement de la droite avec la poussée de l’UDC, affaiblissement de la gauche dû à la défaite des Verts. Mais encore? En réalité ce Parlement entrant ressemblera comme deux gouttes d’eau au sortant. Par l’origine sociale, par les professions, par les accointances des élus. L’écart entre leurs préoccupations et celles d’une grande part de la population, pas nouveau, se creuse encore. Etonnez-vous que la politique suisse n’enthousiasme guère le grand public.

La formule du Parlement de milice, dont la Suisse est si fière depuis son introduction en 1848, est un trompe-l’œil. En fait les trois quarts des élus sous la Coupole fédérale sont des professionnels de la politique. Il devient de plus en plus difficile de concilier l’exercice d’un métier et le travail considérable d’un parlementaire. Certes la rémunération est convenable, surtout pour les assidus aux séances. Mais très insuffisante (33’000 francs par an) celle accordée pour s’appuyer sur quelqu’un qui puisse aider à débroussailler les dossiers, préparer le travail. La tentation est grande d’accepter divers mandats, conseils d’administration, instances faîtières de tous bords…

Pas étonnant donc que certaines professions soient surreprésentées. Les avocats, les chefs de grandes entreprises, les cadres d’organisations professionnelles et syndicales. Plusieurs tranches de la société ne trouvent pas ou peu de marche-pied dans ces travées. Les femmes (cela ne progresse plus), les jeunes, les «secondos», les ouvriers, les petits patrons…

On observe une certaine homogénéité dans la formation des membres de l’assemblée. Bonnes études universitaires, rarement dans l’apprentissage professionel, parcours à travers des associations, des appareils politiques, peu ou pas d’expérience de vie en tant que salarié ou cadre dans de modestes entreprises peinant à boucler le mois. Nous avons bien affaire à une élite privilégiée plus qu’à une véritable représentation populaire.

Certains politologues ont pointé une autre faiblesse du système. Les parlementaires, accaparés par leurs charges, la vie du parti, les discours ici et là, n’ont plus guère le temps d’établir un lien proche avec les citoyens et citoyennes. On leur parle sur les marchés avant les élections. Ensuite, sans le vouloir, on s’éloigne d’eux, on ne les écoute pas vraiment. Pas étonnant donc que certaines préoccupations du simple pékin ne remontent pas à Berne.

Un exemple. Les primes d’assurance-maladie virent au cauchemar des ménages. Depuis des décennies, ni le Conseil fédéral ni le Parlement ne parviennent à enrayer la spirale des coûts. Aveu d’impuissance mais refus de revoir le système à la base. Certaines voix socialistes, isolées, réclament une caisse unique. Quelques-unes osent dire que le montant à payer devrait être proportionnel au revenu, comme partout en Europe. Mais le débat ne démarre pas. Alors qu’un récent sondage indique que 60% des personnes interrogées (davantage en Suisse romande) sont favorables à ces deux changements fondamentaux. Mais rien ne bougera. Pourquoi? Parce que toutes sortes de lobbies, d’ailleurs opposés entre eux, ont mis le Parlement sous leur coupe, bloquent les réformes, excluent tout autre système. Le scénario se reproduit avec la loi sur le deuxième pilier qui donne bien des soucis aux assurés mais satisfaction aux assureurs. Mais là, au moins, le peuple s’exprimera l’an prochain par référendum sur ce sujet plus brûlant qu’il n’y paraît. On y reviendra.

Autre exemple? L’inflation. La plupart des gouvernements voisins ont au moins tenté de faire pression sur les distributeurs et les industriels afin qu’ils n’aillent pas au-delà de la réelle augmentation de leurs coûts. C’est si facile de faire valser les étiquettes. Souvent à raison, pas toujours. En Suisse, rien n’est fait au niveau politique. L’autorité censée veiller à la concurrence est impuissante face au duo des géants, Coop et Migros, qui donnent le rythme avec les trois quarts du marché alimentaire. Une telle domination serait impensable chez nos voisins. Ici cela ne fait pas un pli.

Le Parlement choisit même de se défaire d’un pouvoir. Par habitude, par confort. Il a celui d’élire les membres du gouvernement, très bien, mais en fait il ne l’exerce pas pour en démettre un. Ces messieurs-dames de haute volée décident eux-mêmes quand le moment arrive de partir. Un privilège unique au monde. Cette coutume n’a connu que trois exceptions dans l’histoire. Or il peut arriver qu’un ministre pédale à tel point dans la confusion, devenu si impopulaire, si inefficace, que son remplacement soit simplement raisonnable. Quasiment impossible car les partis au pouvoir se tiennent par la barbichette et cherchent d’abord à durer, à ne rien risquer. Cet entre-soi gouvernemental n’a plus grand-chose à voir avec une démocratie vivante et vigilante. Ainsi donc nous garderons un ministre des Affaires étrangères à la mine de chien battu, qui n’a aucun goût pour la politique internationale, qui court aveuglément derrière le «bon camp», qui n’aime pas voyager, qui cherche surtout à ne rien dire, à se protéger de toute critique… ce qui lui en vaut une pluie. Un champion de la procrastination. Avec le seul souci de rester en place, entouré de bénis-oui-oui plutôt que de diplomates chevronnés qui ont d’ailleurs tendance à prendre le large.

Pardon, chères élues, chers élus, votre compétence, votre ardeur ne sont pas en cause, mais comprenez que nous n’ayons pas grande envie de célébrer au champagne votre entrée dans cet échafaudage vieilli et compromis. Si loin de nos tracas quotidiens. Si loin de l’espoir d’une Suisse politique aussi innovante et attentive aux besoins que peut l’être son économie.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

Tchüss Switzerland?

Pour la troisième fois en 20 ans, le canton de Zurich envisage de repousser au secondaire l’apprentissage du français à l’école. Il n’est pas le seul. De quoi faire trembler la Suisse romande qui y voit une «attaque contre le français» et «la fin de la cohésion nationale». Est-ce vraiment (...)

Corinne Bloch
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête

Jean-Stéphane Bron plaide pour une diplomatie «de rêve»

Plus de vingt ans après «Le Génie helvétique» (2003), puis avec l’implication politique élargie de «Cleveland contre Wall Street» (2010), le réalisateur romand aborde le genre de la série avec une maestria impressionnante. Au cœur de l’actualité, «The Deal» développe une réflexion incarnée, pure de toute idéologie partisane ou flatteuse, (...)

Jean-Louis Kuffer