Putsch à Zurich

Publié le 9 septembre 2019
Non, le sérieux n'est pas toujours là où l'on croit. Cette chronique d'Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Mince, me voilà d’accord avec l’UDC. Enfin, sur un point: la controverse linguistico-politique qui a agité Zurich en cette fin d’été (24H et TDG du 30.8).

Je résume: une élue UDC de la Ville de Zurich, Susanne Brunner, veut savoir pourquoi une manifestation non autorisée a été, de fait, tolérée. Elle dépose une interpellation et voit sa copie refusée parce qu’elle a écrit «les manifestants» et non «les manifestant.e.s »: la formulation épicène est obligatoire au parlement communal zurichois.

C’est énervant de poser une question et de voir son interlocuteur ignorer le fond pour pinailler sur la forme. Ça peut même être très violent, genre:

— Papa, pourquoi tu tapes maman? 

— On ne dit pas «taper» petite idiote, on dit «frapper» maman.

Spontanément, ma sympathie va donc à Susanne Brunner. Et après réflexion? Aussi. Car la majorité rose-verte qui a retoqué son interpellation ignore quelques principes élémentaires de la vie des langues:

– La langue appartient aux gens qui la parlent et à personne d’autre.

– Il existe une norme linguistique, enseignée à l’école. Cette norme change, et pas d’un coup. Ainsi, en 2019, si je suis prof de français, je me dois d’expliquer à mes élèves pourquoi, dans certains textes, ils trouveront des pluriels collectifs au masculin et dans d’autres, au féminin/masculin épicène: actuellement, les deux usages coexistent. Et seul le temps dira si le nouveau parvient à s’imposer. Imaginez que, comme prof, je décide de trancher prématurément: de compter faux «les manifestants», ou, à l’inverse, «les manifestant.e.s». Vous entendez les cris des parents?

– Pour influencer l’évolution de la norme, des personnes peuvent collectivement revendiquer un usage et le faire savoir. Mais l’expérience montre que ça ne marche que si le groupe est soudé et convaincu – par exemple, un collectif militant, la rédaction d’un journal (pas trop grand, si possible…). Car les individus se rebiffent face à un usage imposé d’en haut. En matière de mots, on peut inciter, encourager. Pas obliger.

Un parlement démocratique est, par définition, le contraire d’un groupe soudé par les mêmes convictions. Lorsque la majorité impose le langage épicène comme norme unique, elle commet un putsch linguistique. 

Mais cette histoire me donne une idée: je propose que dorénavant, le Conseil communal de Lausanne refuse toute interpellation contenant des fautes d’orthographe. Voilà qui devrait régler le problème de la surcharge des élues. Et des élus.

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