Pourquoi la transition énergétique est une chimère

Publié le 2 février 2024
D'après le sens commun, il n'y a pas de doute: après les longs millénaires de l'âge du bois, l'humanité est entrée dans l'ère du charbon en 1800, puis dans celle de l'électricité et du pétrole en 1900 avant de passer à l'ère atomique en 1950 et enfin à l'ère des énergies renouvelables au début des années 2000. En attendant le passage annoncé à l'ère de l'hydrogène en 2050. Or rien n'est plus faux.

Savez-vous que la consommation mondiale de bois est passée de 2,5 milliards de tonnes en 1961 à 3,9 milliards en 2020? Que celle de charbon a pratiquement doublé entre 1960 et 2020, et qu’elle continue à augmenter malgré toutes les COP et autres billevesées sur la transition verte? Et qu’il en va de même pour le pétrole, le gaz et les autres sources d’énergie primaire classiques telles que l’hydraulique? Même le nucléaire tend à augmenter malgré les fermetures de centrales en Europe. Dans le mix énergétique global, 77% de l’énergie primaire vient du charbon, du pétrole et du gaz, l’éolien et le solaire fournissant moins de 5% du total.

Dans un livre très stimulant, l’historien des sciences et de l’environnement Jean-Baptiste Fressoz renouvelle l’histoire mondiale de l’énergie sans cacher la cendre sous le tapis. Il commence par démonter le «phasisme», à savoir cette manie de périodiser l’histoire humaine en étapes qui se succéderaient les unes aux autres. Dans la réalité de l’économie matérielle, il n’en est rien. 

L’apparition du charbon a eu pour conséquence de multiplier la consommation de bois, et non de la remplacer. Le besoin en bois de feu a légèrement diminué mais la consommation d’étais pour les mines et de poutrelles de chemin de fer a crû vertigineusement. Aujourd’hui le bois est toujours aussi prisé même si c’est à d’autres fins: fabrication de milliards de palettes et de millions de tonnes de cartons d’emballages et de papier, tandis que le bois de chauffage revient à la mode sous forme de pellets et de «biomasse».

Il en va de même pour les autres formes d’énergie primaire: le gaz sert à produire des engrais, le charbon à fabriquer du ciment et de l’acier, le pétrole divers plastiques, toutes productions qui explosent partout dans le monde, à défaut de finir dans les réservoirs des voitures, les chauffages centraux et les soutes des porte-containers. En ce sens, le passage au tout électrique n’est qu’une aimable plaisanterie. Derrière le vélo électrique se cache non pas un panneau solaire, mais une centrale à charbon et du pétrole de schiste.

La faute aux scientifiques qui ont pris l’habitude de montrer les évolutions passées et futures en volutes gracieuses, les fameuses «courbes en S», où l’on voit la consommation des différentes sources d’énergie décoller lentement, gonfler, atteindre un pic puis redescendre quand une nouvelle source apparait. Ou qui conçoivent des tableaux admirablement colorés additionnant les différentes catégories d’énergie dans le temps, mais sans mentionner les quantités consommées en chiffres absolus, lesquelles, elles, ne cessent de gonfler au fil des décennies.

A chaque début d’un nouveau cycle, le même miroir aux alouettes sert à apaiser les angoisses de pénurie énergétique et/ou de carbon(is)ation de la planète, les deux paniques ne s’excluant nullement. Hier, c’étaient les surrégénérateurs nucléaires qui devaient sauver la mise et nous éviter le retour à l’âge des cavernes. Des centaines de milliards y ont été engloutis en pure perte. Idem pour les carburants synthétiques à qui on prédisait un brillant avenir dans les années 1980 mais oubliés aujourd’hui. 

Le prochain miroir aux alouettes est déjà annoncé: l’hydrogène. La course aux subventions est lancée et les startups sont sur le pied de guerre. Pour un flop prévisible: étant donné les conditions de production de l’hydrogène, rare dans la nature et donc fabriqué avec de l’électricité issue de fossiles, et de son exploitation (l’hydrogène liquide doit être refroidi et conservé à -253 degrés), les chances d’en faire une source d’énergie primaire rentable et écologique sont quasi nulles.

En bon historien, l’auteur se garde de tomber dans la futurologie. Mais depuis que les recherches de Cesare Marchetti dans les années 1980 ont montré la prodigieuse inertie des systèmes énergétiques et la quasi-impossibilité de substituer une source d’énergie à une autre, le système capitaliste ne parvenant qu’à les additionner, ou au mieux à les stabiliser, les chances de parvenir à une transition énergétique, ou écologique comme on voudra, sont proches de zéro. 

Si l’on poursuit le raisonnement jusqu’au bout, cela signifie que les chances de contenir le réchauffement climatique et de décarboner l’économie mondiale sont elles aussi infimes, toutes les forces du système se conjuguant, au sein du GIEC et des autres instances énergétiques et climatiques, pour éviter toute mesure sérieuse en faisant miroiter des solutions technologiques – hydrogène, enfouissement du carbone, centrales solaires extraterrestres – aussi délirantes que futiles (car prodigieusement coûteuses en énergie cachée…) et justifier ainsi une procrastination qui risque de nous coûter d’autant plus cher qu’on aura trop tardé.

Conclusion toute personnelle: plutôt que de gaspiller nos forces à contrer le réchauffement climatique et à se battre pour savoir si son origine est d’ordre anthropique ou naturel; plutôt que de faire semblant de limiter les émissions de CO2 et de continuer à croire à d’impossibles transitions énergétiques, il serait temps d’accepter l’implacabilité des faits. Notre combat n’en sera que plus efficace et l’environnement nous en sera davantage reconnaissant.


«Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie», Jean-Baptiste Fressoz, Editions du Seuil, 416 pages.

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