Paroles d’enfants et mots d’ados

Publié le 13 mai 2022
2022… la crise qui nous défrise, les attentats, les pandémies, les élections françaises, et tout le tralala. Nous sommes dans l’ère du tout connecté, mais «connecté» à quoi? Certainement pas au vrai. Les rencontres se font uniquement virtuellement, les apéros en visio, les débats stériles n’ont de cesse de polluer nos réseaux sociaux, les disputes se font par écrans interposés, plus personne ne prend le temps de se voir ou de s’appeler.

J’ai décidé de lever les yeux de mon clavier, de me déconnecter du faux pour me reconnecter au vrai. Je vais donc à la rencontre d’enfants et d’adolescents, à l’ancienne, je me déplace chez eux, dans leur environnement. Je leur pose des questions: comment perçoivent-ils le monde qui les entoure? Que pensent-ils de l’amour, de l’amitié, de la famille recomposée ou non? Aiment-ils lire ou préfèrent-ils regarder la télé? A quoi jouent-ils? De quoi parlent-ils? Ont-ils des peurs? Quel est leur plus merveilleux souvenir? etc.

Je les écoute attentivement, sans les couper. Avec leurs mots, avec leurs pensées pas encore formatées par le système, ils se livrent à cœur ouvert.

Touchants, attachants, drôles, francs, avec une imagination débordante, rien de tel pour mettre du baume au cœur. Aller à leur rencontre m’apporte beaucoup de joie et de bonheur, et cette joie et ce bonheur, j’ai décidé de les partager avec vous.

Nono, 10 ans

Il est grand pour son âge, ses cheveux sont châtain clair. Il est souriant, le regard malicieux. Il s’installe en face de moi. Il se dandine un peu sur sa chaise. Il n’a pas hésité une seule seconde à répondre à mes questions. Il trouve l’idée de l’interview «chouette». «On commence par quoi?», me demande-t-il. Dehors, le printemps pointe enfin le bout de son nez. On est fin avril 2022, à la campagne, dans un petit village de France. Il se présente simplement. «Bonjour je m’appelle Nono, j’ai dix ans et euh…voilà…».

Sur les années 70, 80, 90

Lorsque je l’interroge sur les années 70, 80 et 90, il me sourit, il pince ses lèvres, hausse les épaules. «C’est complètement un autre style, que ce soit musiques, films, livres ou styles vestimentaires. Et si on remonte encore plus loin, j’ai l’impression que les gens vivent en noir et blanc». Il parle des jeans à «bouche de canard», au lieu de pattes d’éléphant. Pour lui, les enfants des années 70, 80, 90, étaient livrés à eux-mêmes, plus débrouillards, avec des parents qui n’avaient même pas la possibilité de les joindre. Les téléphones portables n’existaient pas, les parents faisaient confiance à l’enfant. «Les enfants étaient beaucoup plus dehors en train de jouer vraiment loin, et tout. Ils se géraient tous seuls. Ils étaient très matures, comme je vous l’ai dit.»   

Sur l’avenir

Lorsque je lui parle du futur, il soupire, lève les yeux au ciel comme pour chercher la réponse au plafond. Pour lui, le futur sera à la fois bien, mais aussi catastrophique. Catastrophique à cause de la technologie. «Il peut tout arriver dans le futur. Moi le futur, c’est la technologie. Elle est déjà énormément avancée».

Il voudrait que la «modernité» se partage dans le monde entier. Chacun sa part, pour éviter les conflits, les guerres, les jalousies. Il ne faut pas que les choses négatives l’emportent sur les choses positives. Mais l’homme est ainsi fait, tantôt bon, tantôt mauvais. «Il faut garder le côté positif. (…) je ne sais vraiment pas si c’est possible ou pas. J’espère que ça va être possible, tu vois. Après j’sais pas. Je n’lis pas dans l’avenir alors je ne peux pas savoir s’il va y avoir quelque chose de catastrophique.»

Comment se sent-il dans la journée? Il ne s’est jamais posé la question. Il réfléchit. Et il me raconte qu’il lui arrive d’être énervé. Il s’énerve un peu lorsque maman ne veut pas lui acheter un manga, ou lorsqu’il ne peut pas regarder un film qui lui tient à cœur. Mais dans l’ensemble il est heureux. «J’suis toujours content de vivre. Je n’ai jamais trop d’énervement dans ma journée. J’suis normal.»  

Sur ce qu’il préfère dans la vie

Il aime à peu près tout dans sa vie. C’est un jeune garçon heureux, avec une famille aimante.  «Chaque jour c’est un peu plus sympa. Ce que je préfère dans la vie: les soirées en famille». 

Il me regarde, ses deux mains l’une dans l’autre posées sur les genoux, il sourit tout le temps. Ses yeux sont pétillants de vie. Lorsqu’il est seul, il réfléchit, il pense à la vie, il gère ses «problèmes».  «J’aime bien être seul, me faire mes propres idées. Quand je suis seul, je pense beaucoup, et lorsque j’ai des trucs à régler, dans ces temps-là je les règle. Ce n’est pas si compliqué que ça, je trouve toujours une solution aux problèmes, mais il y a des problèmes où il n’y a tout simplement pas de solutions». Il y a des problèmes qui n’ont pas de solutions, comme «casser un verre», il rigole. «A part dire « pardon », on ne peut rien faire, il n’y a pas de solution, quand on casse un verre, on ne peut pas le réparer totalement à part avec de la super glue». Et puis il y a les problèmes qu’il décide d’ignorer. «J’y mets à plus tard, mais c’est des problèmes qui ne nécessitent pas de s’en soucier.»  

Sur la lecture

Nono aime lire, il aime les romans fantastiques, les «vieux livres», mais il ne faut pas qu’ils soient trop gros, ni avec de grandes suites. Il dit qu’il est difficile. «L’Ile au trésor, j’ai beaucoup aimé. Y’a L’Alchimiste, ce n’est pas vraiment un livre culte, mais de nos temps il n’y a pas beaucoup d’enfants qui l’ont lu. J’ai lu plein de vieux livres. Jules Verne, par exemple, j’ai commencé à lire l’Ile mystérieuse, mais après j’ai vu que c’était vraiment gros et que les écritures étaient vraiment petites, alors je me suis dit que je vais attendre quelques temps.»

Nono n’aime pas les bd, mais il dévore les mangas «le manga c’est dans un autre univers, les bd c’est américain comme la plupart des livres, et pour moi, c’est tout le temps la même chose…le manga, ça change, c’est japonais, c’est une autre culture.» Il raconte L’Alchimiste, son livre préféré. «Dans ce livre, il n’y a rien de fantastique, rien de spécial. C’est juste un livre qui raconte l’histoire d’un jeune garçon et je trouve ça super de voir ce qu’il s’est passé dans son histoire.»

Il aime aussi Les gardiens de la cité perdue qu’il a terminé il y a quelques jours. «Ça parle d’une jeune fille qui est humaine et après elle découvre qu’elle est une elfe… c’est un autre monde. Dans ce livre ils disent que les humains sont séparés des elfes, et qu’ils ont créé des territoires. C’était il y a très longtemps, et peut-être que les humains ont gardé le secret.» Pour lui, les elfes existent, il a une imagination débordante.

Sur la télévision

Nono ne regarde pas les chaînes télé, car même si ses parents ont une télé, ils n’ont pas pris d’abonnement aux chaînes. Alors il regarde Netflix, des dessins animés, des séries. Il aime les Marvel, les films d’animations Pixar. Mais il regarde aussi des films avec des «vrais acteurs», des films qui ne sont pas de son âge, mais il n’a pas peur. «Je n’ai pas peur du sang, c’est quelque chose de naturel, dans tous les cas c’est du colorant». 

Sur l’amour

En ce qui concerne l’amour, il ne sent pas tellement concerné. «L’amour, je m’en fiche un peu, je suis célibataire depuis pas mal de temps. Ça ne m’a jamais vraiment intéressé». 

Par contre l’amour des proches est quelque chose d’essentiel pour lui, de porteur, de naturel. C’est normal d’aimer sa famille. «Les personnes proches je les aime. Les parents t’ont éduqué, ils sont toujours avec toi, du coup, la chose que tu peux faire, c’est de leur donner de l’amour. Ça vient naturellement cet amour-là. Dès ton plus âge, ils se sont amusés avec toi, ils t’ont taquiné, donc l’amour il vient tout seul au final». 

Sur l’école

Nono n’a pas fait de très grosses bêtises, mais une succession de petites bêtises… «A l’école, j’ai toujours travaillé, mais je parlais beaucoup». Il assume toutes ses bêtises. 

En parlant de l’école, il aime ça, car il apprend plein de choses et qu’il se fait des copains. Mais il trouve que les professeurs ne soutiennent pas suffisamment les élèves. «Ce qui va faire le bon professeur, c’est la manière dont il va t’apprendre les choses.» Puis il voudrait que les professeurs répondent à toutes les questions des élèves, même si parfois ça déborde un peu du cours. «Parfois, ils ne répondent pas à toutes mes questions. Mais je n’ai pas eu de très mauvais professeurs. Après je ne demande pas des professeurs en or.»


J’ai passé un excellent moment avec Nono, et je compte bien passer d’autres très bons moments avec d’autres enfants et adolescents. J’espère que cet entretien vous aura plus autant qu’il m’a plu… Ecouter les enfants, les regarder jouer, les entendre rire, rien de tel pour apporter un peu d’espoir dans cette société qui parfois nous donne le bourdon.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Intelligence artificielle: les non-dits

On nous annonce une révolution avec l’arrivée invasive et fulgurante de l’IA dans nos vies, nos modes d’apprentissage et de production et, surtout, la mise à disposition de l’information immédiate et «gratuite» sans effort, objet central ici. Or nous ne mesurons aucunement ce que cela signifie vraiment.

Jamal Reddani

Transidentité: tapage exagéré?

Selon le site d’information lausannois «L’impertinent», l’intérêt démesuré des médias pour la transidentité relèverait d’une stratégie.

Jacques Pilet
Accès libre

Combien de temps l’humanité survivrait-elle si l’on arrêtait de faire des enfants?

Suffit-il de calculer l’espérance de vie maximale d’un humain pour deviner combien de temps mettrait l’humanité à disparaître si l’on arrêtait de se reproduire? Pas si simple répond l’anthropologue américain Michael A. Little.

Bon pour la tête

Deux écrivains algériens qui ne nous parlent que de l’humain

Kamel Daoud, avec «Houris» (Prix Goncourt 2024) et Xavier Le Clerc (alias Hamid Aït-Taleb), dans «Le Pain des Français», participent à la même œuvre de salubre mémoire en sondant le douloureux passé, proche ou plus lointain, de leur pays d’origine. A l’écart des idéologies exacerbées, tous deux se réfèrent, en (...)

Jean-Louis Kuffer
Accès libre

Salutaires coups de fouet sur l’Europe

L’entrée fracassante de Trump sur la scène mondiale secoue le monde, l’Occident avant tout. Les Européens en particulier. Comment réagiront-ils dans les faits, une fois passés les hauts cris? L’événement et ses suites leur donnent l’occasion de se ressaisir. Pas tant sur l’enjeu militaire, pas aussi décisif qu’on ne le (...)

Jacques Pilet
Accès libre

La machine à milliardaires qu’est le private equity

L’économie mondiale produit une nouvelle génération de super-riches. D’où vient leur argent et qui paie les pots cassés, cela reste flou. L’exemple de Partners Group, qui jongle avec les entreprises et les milliards, laisse perplexe. L’économie réelle n’a que peu de place dans ces activités. La finance fiction est bien (...)

Bon pour la tête

L’embarras de nos enterrements

Mon père aimait les rites. Au bout de 93 ans d’une vie marquée du sceau de la chance, il s’en est allé paisiblement, laissant pour nous éclairer de maigres instructions pour ses funérailles. Fidèles à leur auteur, celles-ci mettaient le rite liturgique au premier plan, et le défunt au second. (...)

David Laufer
Accès libre

Quand le cinéma se fait trans

«Close to You» enregistre la transformation de l’actrice hollywoodienne Ellen Page («Juno») en l’acteur Elliot Page. Après sept ans de silence, le revoici donc dans l’histoire d’un trans canadien qui retourne dans sa famille après une longue absence. Mais malgré cette plus-value d’authenticité, ce petit film indépendant, sensible et bien (...)

Norbert Creutz
Accès libre

40 ans de traitement médiatique du viol: du fait divers au procès de la domination masculine

Parce qu’il met en cause 51 hommes de tous âges et de toutes professions, le procès des viols de Mazan tend à être présenté comme celui de la « domination masculine ». Alors que le viol a longtemps été considéré comme un problème d’ordre privé et individuel, cette interprétation sociologique marque une profonde (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Le paysage contrasté de l’énergie vitale. Entre spleens et élans

Tout un pan de l’Europe péclote. La France d’abord, prise de vertige devant ses déficits abyssaux, paralysée par le cirque des ambitions politiciennes. L’Allemagne officiellement entrée en récession, sa légendaire industrie menacée par les coûts de l’énergie, les délocalisations aux Etats-Unis et la concurrence chinoise. Alors que la face sud (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Comment le cerveau reconnaît-il les gens?

Entre les super-reconnaisseurs et les personnes incapables de reconnaître un visage, nous ne sommes pas égaux quant à la reconnaissance des visages. Plongeons dans le cerveau pour comprendre ce mécanisme essentiel à notre vie sociale.

Bon pour la tête
Accès libre

Les guerres et nous

Avec quelle désinvolture vivons-nous, pour la plupart, ces jours menaçants. On s’est «habitué» aux conflits sanglants. Mais là, ils n’en finissent pas d’enfler, de s’étendre. Quels sont les ressorts profonds de cette escalade infernale? Les décideurs ont leurs visées. Et les opinions publiques, même fort loin des fronts, pourquoi et (...)

Jacques Pilet

Iran, la révolte des femmes

Avec «Les Graines du figuier sauvage», Mohammad Rasoulof signe un puissant réquisitoire contre le régime des mollahs iranien, en s’inspirant du mouvement des femmes qui avait fait suite au meurtre de la jeune Mahsa Amini par des «gardiens de la révolution». Mélange de frontalité et de subtilité, ce film qui (...)

Norbert Creutz
Accès libre

Au Moyen Age, l’état amoureux était parfois synonyme de maladie

Au Moyen Age, on définissait l’amour de différentes manières. D’un point de vue religieux, dans les textes bibliques et la littérature édifiante, il était synonyme de voluntas, c’est-à-dire de dévouement à l’autre. Mais l’amour était aussi synonyme de passion ou d’eros, conséquence de l’idéalisation de la personne aimée.

Bon pour la tête
Accès libre

Para athlètes: «Inspiration porn» et stéréotypes, le difficile accès aux sponsors

Alors que les Jeux paralympiques de Paris 2024 débutent, tous les athlètes participants n’ont pas bénéficié de sponsors, malgré l’importance cruciale de ce soutien pour s’engager pleinement et sereinement dans leur carrière sportive.

Bon pour la tête

Philip Nitschke: Mr Bunny et le suicide

Le médecin australien Philip Nitschke a conçu un certain nombre de dispositifs pour aider au suicide, parmi lesquelles la capsule Sarco qui a récemment défrayé la chronique. Ceci lui a valu les surnoms de «Docteur Mort» et «Elon Musk du suicide assisté». Vu l’acharnement de Nitschke et le fait que (...)

Boas Erez