«Nous assistons à une faillite monumentale de l’Eglise»

Publié le 19 mars 2019

Soeur Marie-Paule estime que le machisme existe dans l’Eglise comme dans la société. – © B.Hallet-cath.ch

Sœur Marie-Paule, bernardine au monastère de Collombey (VS), est «atterrée» par les scandales qui minent l’Eglise. Elle fait le constat amer d’une institution gangrénée par le pouvoir et le cléricalisme. Pour elle, aucun renouveau possible sans un retour à l’Evangile.


Un article original de Bernard Hallet paru sur cath.ch


On ne compte plus les cas d’abus sexuels commis sur des mineurs en Eglise à travers le monde. Récemment un documentaire diffusé sur la RTS a révélé que des religieuses étaient victimes d’abus sexuels, de viol et certaines d’entre elles contraintes d’avorter. Quelle a été votre réaction?

Sœur Marie-Paule: Je suis littéralement atterrée. A terre. J’ai eu des échos avant de visionner le reportage en question. On ne peut pas nier l’évidence. C’est un désastre sur le plan moral, humain et religieux. Quand je pense que Paul VI présentait l’Eglise comme «experte en humanité»… Il nous faut un peu d’humilité, vraiment!

La parole se libère mais il aura fallu beaucoup de temps.

L’affaire «Me too» s’étend à l’Eglise avec une dimension supplémentaire. En dénonçant les prêtres abuseurs, les religieuses et les victimes en général éprouvent l’impression de salir l’Eglise à laquelle elles veulent rester fidèles malgré tout. Un fait amplifié par les contraintes de devoir dénoncer et d’avoir honte d’admettre qu’elles se sont laissé abuser. Et de dire ce qui peut encore paraître impensable: qu’un prêtre puisse commettre de tels actes sans que la femme ne se rebelle.

Cela a-t-il été une surprise pour vous?

J’ai été surprise par l’ampleur du phénomène. J’ai entendu parler de pandémie. Aucun lieu n’est épargné. Nous assistons à une faillite monumentale de l’Eglise. Il faudra plusieurs générations pour que les paradigmes changent. En particulier, ce machisme très prégnant. Encore plus que dans la société civile. Avant d’entrer au monastère, j’ai fait des études d’ingénieur. Je me suis retrouvée dans un monde d’hommes. Depuis l’âge de 12 ans, j’ai étudié dans des classes scientifiques où nous étions une minorité de filles. J’en parle en connaissance de cause. J’ai expérimenté le côté machiste. Le machisme existe en Eglise mais aussi dans la société. Les gens en Eglise sont issus de cette société-là. L’Eglise fait partie de son temps.

Plus jeune que vos consœurs, vous avez connu une autre jeunesse avant de prononcer vos vœux…

Je me suis rendu compte que j’étais la seule du monastère à avoir vécu la mixité à l’école. Cela change le rapport à l’homme. La plupart des sœurs sont entrées à 18 ou 19 ans, dans les années 1950-1960, au monastère avec peu de formation. Mais la formation ne fait pas tout. On confond souvent la formation intellectuelle et la maturité affective. Cela demande du temps. Ce n’est pas parce qu’on est formée intellectuellement, qu’on est «adulte».

Pour la plupart des sœurs, l’homme était le père, Monsieur le Curé, peut-être le président de commune: que des figures d’autorité. A l’école, elles n’ont jamais eu de garçons dans leur classe ou dans la cour de récréation. Cela change complètement le rapport à l’altérité. Il en va de même chez les hommes: cette génération n’a pas connu la mixité non plus. Ils ont connu l’école de garçons, le séminaire, pour certains l’armée, qui n’était pas mixte, et n’ont vécu que dans ce milieu-là. C’est leur définition du monde. Aujourd’hui, on vit dans une mixité bienfaisante qui, je l’espère, va changer le rapport à l’autre. Dans les communautés religieuses, en tout cas jusqu’au Concile Vatican II, même un peu au-delà, régnait un certain infantilisme.

C’est-à-dire?

Les religieuses passaient directement de la tutelle du pater familias à celle de la mère abbesse. Comment, dans ces conditions, se former son identité propre, sa manière d’évaluer les choses? Je pense que le vœu d’obéissance a été très mal compris. On le voit dans le reportage de la RTS. L’obéissance religieuse ne doit pas être une obéissance aveugle. En tant que religieuse, j’ai le droit de me faire un avis et de l’exprimer.

Je trouve qu’il est sain d’être rebelle pour un temps quand on entre dans l’institution. Je m’alarme quand je vois une personne qui se coule entièrement dans le moule sans émettre la moindre opinion. Cela traduit une forme de démission: «je fais ce qu’on me dit, je vais où on me dit d’aller sans la moindre objection, si sensée soit-elle.»

Ces prédateurs sont très habiles à repérer ces personnes-là, susceptibles de se laisser subjuguer par la fonction et par des paroles. Quelqu’un qui aura une saine maturité ne se laissera pas manipuler.

En évoquant les scandales sexuels, Mgr Ravel, archevêque de Strasbourg, parle d’un «cancer métastasé de l’Eglise». Vous partagez cet avis?

Oui, ce «cancer métastasé» se situe au niveau du pouvoir. Tout part de là. Qu’on parle de pédophilie, d’agression sexuelle sur les religieuses, les mineurs, on se trouve chaque fois dans un abus de pouvoir. On retrouve un désir d’emprise sur l’autre. Le pape François a raison lorsqu’il dit de combattre à tout prix le cléricalisme, cette manière de poser le prêtre au-dessus de la mêlée. Il faut renverser ce paradigme.

A titre anecdotique mais symptomatique, je me souviens de la Journée de la vie consacrée (à Baar [ZG], le 24 juin 2015, ndlr), le cardinal Braz de Aviz, (préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, ndlr) a répondu à une religieuse sur la question de la position des femmes dans l’Eglise. En plaisantant, il avait tourné la question en dérision: «Pourquoi cherchez-vous du pouvoir?» Sa réponse n’était ni perverse, ni consciente. On a vu une attitude de supériorité masculine qui a le savoir, donc le pouvoir. En d’autres termes, lorsqu’un homme veut être prêtre et qu’il obtient une position importante, c’est un don de soi. Dans le cas d’une femme, on l’assimile à une prise de pouvoir. Cela induit des comportements naturels de supériorité. Les premières femmes théologiennes sont encore en vie aujourd’hui. Ce n’est donc pas si ancien.

Avec une telle crise, ne court-on pas le risque de la caricature et de voir certains qui se comportent bien, être emportés par le tsunami?

Exactement. On tombe dans un cliché déplorable: aujourd’hui on est prêtre donc on est suspect. C’est malheureux. Justice doit être rendue mais il ne faut pas lancer une chasse aux sorcières. Je connais beaucoup de prêtres et je peux témoigner que la grande majorité est irréprochable. J’ai entendu des gens dire qu’ils n’envoyaient pas leur enfant au catéchisme parce qu’ils ne voulaient «qu’ils se fassent abuser par un prêtre». C’est terrible.

Cette crise sera-t-elle salutaire pour l’Eglise?

Toute crise n’est pas salutaire. Elle pose une question. Tout dépend de la manière dont on va y répondre. Qu’est-ce que je vais faire de ça? Est-ce que je quitte l’Eglise? Je me suis posé la question. Je n’ai plus envie de me réclamer de cette Eglise. Ce n’est pas l’Eglise de Jésus-Christ mais celle d’un certain pouvoir, d’une certaine conception du prêtre. Chaque fois que j’ai eu une période de crise dans ma vie religieuse, je me suis dit: «C’est pour Jésus que je suis là, pas pour autre chose». Au 16e siècle, l’Eglise a traversé une crise aussi grave que celle d’aujourd’hui. Les petites gens l’ont sauvée. Ils ont continué à prier malgré des prêtres incultes, autoritaires et qui avaient des mœurs dévoyées. Nous vivons la même situation aujourd’hui.

Quelles sont vos raisons d’espérer?

Un retour à l’Evangile, exempt de toute compromission. Une purification va faire tomber de son piédestal cette Eglise toujours prompte à donner des leçons. L’Eglise va repartir de la base: c’est-à-dire de l’Evangile et d’une vie de foi qui sera attentive aux autres. Autre motif d’espérer: on dispose d’une grande offre de formations en théologie et accessible à tous. Cela représente un grand nombre de personnes qui sont en dehors de la hiérarchie ecclésiale et très bien formées. On n’a pas attendu cette crise-là pour qu’elle se développe. J’y vois l’œuvre de l’Esprit-Saint.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Politique

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Politique

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger
Politique

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Microsoft s’enrichit sur le dos des Palestiniens

Selon des révélations étayées par des sources issues de la multinationale américaine et des services secrets israéliens, un cloud spécial a été mis en place pour intercepter les communications de millions de Palestiniens. Des données qu’Israël utilise pour mener sa guerre de représailles ethniques dans la bande de Gaza et (...)

Bon pour la tête
Politique

La géopolitique en mode messianique

Fascinés par le grand jeu mené à Anchorage et Washington, nous avons quelque peu détourné nos regards du Moyen-Orient. Où les tragédies n’en finissent pas, à Gaza et dans le voisinage d’Israël. Où, malgré divers pourparlers, aucun sursis, aucun accord de paix ne sont en vue. Où un nouvel assaut (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas encore interdit TikTok?

L’an passé, le congrès américain a décidé que le réseau social devait être interdit s’il restait en mains chinoises, ceci afin d’éviter que les données des étatsuniens soient récupérées par Pekin. Il s’agissait prétendument d’une question de «sécurité nationale». Mais le président Trump a pour la troisième fois reporté l’interdiction, (...)

Urs P. Gasche
Politique

Les Européens devant l’immense défi ukrainien

On peut rêver. Imaginons que Trump et Poutine tombent d’accord sur un cessez-le-feu, sur les grandes lignes d’un accord finalement approuvé par Zelensky. Que feraient alors les Européens, si fâchés de ne pas avoir été invités en Alaska? Que cette hypothèse se confirme ou pas, plusieurs défis controversés les attendent. (...)

Jacques Pilet
Culture

Des nouvelles de la fusion de «Bon pour la tête» avec «Antithèse»

Le nouveau site sera opérationnel au début du mois d’octobre. Voici quelques explications pour nos abonnés, notamment concernant le prix de l’abonnement qui pour eux ne changera pas.

Bon pour la tête
EconomieAccès libre

Comment la famille Trump s’enrichit de manière éhontée

Les deux fils du président américain viennent de créer une entreprise destinée à être introduite en bourse afin de profiter de subventions et de contrats publics de la part du gouvernement fédéral dirigé par leur père.

Urs P. Gasche
Politique

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet