Narcotrafic, le fléau des Amériques. Et le nôtre?

© Shutterstock
Sur ordre de Donald Trump, la flotte de guerre américaine se déploie au large du Venezuela, au nom de la lutte contre le narcotrafic. Bombarder des bateaux dans les eaux internationales ou proches du rivage? La méthode est à la fois illégale et inefficace. Le dictateur de ce pays n’est pas directement lié aux réseaux criminels, même s’il est vrai qu’il ne les réprime guère, engageant plutôt sa police contre ses opposants politiques. Vrai aussi que le gros du trafic international de la drogue emprunte d’autres voies. Soit dit en passant, certains accusent les Etats-Unis de convoiter en fait le pétrole dont le pays regorge. Or la compagnie américaine Chevron l’exploite déjà, en accord avec le gouvernement du Venezuela et un partenaire local: plus d’un quart de la production totale en 2025, totalement envoyée aux USA. L’hostilité de Washington à l’endroit de Maduro est d’abord politique. Cela dit, Trump a raison de mettre à l’affiche la question du narcotrafic. Un fléau chez lui – environ cinq millions d’Américains en consomment – en plus du fentanyl qui agite les relations avec la Chine. Et les Européens ont autant de soucis, sinon plus, à se faire devant cet afflux.
Le désastre criminel de tout un continent
En réalité, c’est toute l’Amérique latine qui est au cœur du problème: aucun pays n’est épargné par la criminalité liée à la drogue. La récente opération policière meurtrière à Rio de Janeiro le rappelle. Selon les sondages, l’opinion publique brésilienne l’approuve en forte majorité, dans cette ville comme dans le reste du pays. En dépit de la violence déployée et des 160 morts. Le gouverneur Claudio Castro affirme que la plupart d’entre eux étaient des chefs de l’organisation mafieuse criminelle Comando Vermelho. Et s’en réjouit car cela va dans le sens de ce qu’exigent les partis de droite. Coup fatal? Sûrement pas. Les voyous de Rio, bien implantés, ont déjà rebondi… en assassinant les «délateurs». Le PCC (Primeiro Comando da Capital), le plus puissant groupe de crime organisé au Brésil, quant à lui, n’a pas été touché et a de beaux jours devant lui, sur place et bien au-delà. Il s’étend désormais jusqu’aux pays qui, hier encore, étaient épargnés. Comme en Argentine ou au Chili, où la question est au cœur de la campagne présidentielle actuelle. Divers réseaux mafieux partis du Venezuela et du Brésil s’y sont implantés ces dernières années, actifs dans le trafic et le blanchiment d’argent, forcément liés. Ils pratiquent aussi de nombreux enlèvements avec rançon. Quant au Pérou, il s’inquiète de la criminalité qui s’y déchaîne, liée ou pas à la drogue, au point que le Parlement, début octobre, a chassé du pouvoir la présidente Dina Boluarte, accusée d’immobilisme ou de complaisance à cet égard. La suspicion rôde partout: jusqu’à quel point les mafieux ont-ils corrompu certains politiciens pour freiner le pouvoir des Etats dans leurs efforts de répression? Question particulièrement chaude au Brésil.
Colombie: lutte et courage du président Gustavo Petro
La cocaïne est produite dans plusieurs pays. Mais l’épicentre de la production est en Colombie, en tête du classement mondial. Il y a dix ans, on y comptait 96 000 hectares de plantations de coca, aujourd’hui plus de 250 000. Ce qui équivaut à 2700 tonnes de poudre, loin devant le Pérou et la Bolivie. Le gouvernement de gauche de Gustavo Petro a désarmé la guérilla des FARC, liée à cette activité, mais d’autres fractions ont pris le relais. Il a alors tenté de convaincre les paysans de passer à d’autres cultures grâce à de généreuses mesures. Sans succès. La cocaïne est exportée principalement vers les Etats-Unis et l’Europe, via le Mexique, lui aussi aux prises avec les groupes mafieux, auxquels la présidente, Caudia Sheinbaum, a déclaré la guerre par tous les moyens. Via d’autres ports sud-américains aussi. Le transport par avion, avec des «mules», est moins important (15 à 20 %), car celles-ci se font souvent arrêter.
On peut faire bien des reproches à Gustavo Petro, mais il faut lui reconnaître son courage. Il a osé déclarer jusque devant l’Assemblée des Nations Unies, en septembre 2022, que le problème mondial de la drogue se trouve d’abord chez les consommateurs. Il est aujourd’hui, avec Nicolas Maduro, l’homme proscrit des Etats-Unis, sur la «liste Clinton», interdit de tout accès aux banques internationales et même à son propre compte. D’où le blocage récent de son avion à Madrid, qu’aucune compagnie n’a accepté de ravitailler. Il a fallu l’aide de l’armée espagnole pour le dépanner.
Et en Europe, en faisons-nous assez?
Ce diagnostic de Gustavo Petro – il n’est pas le seul à le dresser – doit nous faire réfléchir. Nous, Européens, en faisons-nous assez pour combattre les tentacules, également financières, du narcotrafic? Où va l’argent issu de la coke vendue, par exemple, à la Place de la Gare de Vevey, où le commerce se fait chaque soir au vu de tous? Les dealers le transmettent à des intermédiaires qui font parvenir d’épaisses liasses de gros billets en Colombie ou jonglent avec les bitcoins. Ils se font rarement pincer. Une partie de ces fonds est parfois blanchie sur place, dans nos rues, à travers de petits commerces et autres salons qui gonflent ainsi artificiellement leurs revenus et les déclarent officiellement. Les autorités locales et nationales se montrent fort démunies face à ce phénomène.
On ne finit pas d’en apprendre sur le sujet. Le livre L’empire: Enquête au cœur du rap français, une enquête journalistique sérieuse qui vient de paraître, révèle que les mafieux internationaux soutiennent certains rappeurs pour s’attirer des sympathies indirectes et les utiliser, là encore, pour blanchir des profits.
Le narcotrafic est d’une inventivité inépuisable. La perception que nous en avons est dépassée. Comme le sont souvent les autorités en charge de la répression. A l’image de la Belgique, gangrénée par le fléau. Les responsables du port d’Anvers, où arrive une grande partie de la cocaïne d’Amérique latine, avouent ouvertement leur impuissance.
Il est plus que temps d’ouvrir les yeux. D’inventer de nouvelles façons de réprimer ce fléau multiforme. D’ébranler la bonne conscience des sniffeurs. D’en débattre pour, enfin, quitter le confortable déni. Certes, les consommateurs paraissent bien supporter leur manie, mais ils contribuent activement au désastre criminel de tout un continent.
À lire aussi












