Lituanie: le cauchemar des réfugiés

Publié le 15 juillet 2022
Dans la vision style BD de la guerre, tout est simple. Il y a le Méchant – qui a tout fait pour endosser le rôle –, la Victime, innocente par définition, et ceux qui la soutiennent, tous des petits saints de ce fait. Alors on trie les nouvelles. Celles qui ne vont pas dans le bon sens, à la corbeille. Ainsi donc le dernier cri d’alarme d'Amnesty International n’a été repris quasiment par personne. Il concerne les réfugiés. Pas les Ukrainiens, ceux-ci sont choyés là comme ailleurs. Mais les autres...

Citons donc le communiqué du 27 juin, assorti d’une longue enquête, avec reportages sur place. «Les autorités lituaniennes ont placé en détention de façon arbitraire des milliers de personnes dans des centres militarisés où elles ont été soumises à des conditions de détention inhumaines, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements», a déclaré Amnesty International le 27 juin. Dans un nouveau rapport, l’organisation montre que des personnes réfugiées ou migrantes sont détenues en Lituanie depuis des mois dans des conditions sordides, dans des centres ressemblant à des prisons, où elles sont privées d’accès à une procédure d’asile équitable et soumises à d’autres graves violations des droits humains, ce traitement visant à les amener à retourner «volontairement» dans les pays qu’elles ont fuis. Suivent une foule de témoignages sur les actes de violence et de racisme. 

Ajoutons que la Cour de justice de l’Union européenne vient de condamner ces pratiques: «Les autorités lituaniennes doivent aussi mettre un terme à leur pratique cruelle qui consiste à détenir automatiquement les personnes réfugiées et migrantes.»

Il faut dire que le petit Etat balte a déjà eu, dans le passé, quelque peine à appliquer les principes de l’UE. Celle-ci a dû insister des années durant pour qu’enfin la population russophone y ait les mêmes droits que les Lituaniens «de souche». 

La Lituanie est aussi très occupée à donner une version épurée de son histoire. A évoquer l’existence de deux Shoah, «la brune», (1940-1944) lorsqu’elle s’associait aux nazis pour exterminer les Juifs, et «la rouge» (1940-1941, puis de 1945 à 1953), désignant les deux périodes de persécutions et de déportations soviétiques. Sombre réalité historique, peu connue, pourtant précisément documentée aujourd’hui: la Lituanie indépendante de l’entre-deux-guerres traversait de fortes tensions avec la Pologne et connaissait une forte vague d’antisémitisme. A l’arrivée de la Wehrmacht en route vers l’URSS, le 22 juin 1941, applaudie par la majorité de la population, des pogroms spontanés ou organisés par la police se multiplièrent dans plusieurs villes. Avant même que le Reich ait proclamé sa volonté d’exterminer les Juifs. Entre fin juillet et novembre 1941, avec le soutien des Allemands, il fut procédé à leur élimination systématique. La grande majorité des 203’000 à 207’000 Juifs se trouvant en Lituanie au moment de l’occupation allemande furent massacrés dans des conditions épouvantables. Fin 1941, il ne restait dans le pays qu’un peu plus de 43’000 Juifs dans les ghettos, dont la plupart périrent aussi, par les armes, la faim et la maladie. La part des Juifs assassinés en Lituanie a atteint 95 à 97%, soit l’une des plus élevées d’Europe.

Mais tout est fait aujourd’hui pour passer sous silence ce terrible passé. Qui veut le connaître peut consulter ce site.

Bref, défendre l’Ukraine au nom des valeurs démocratiques, c’est fort bien. Mais bafouer celles-ci par l’enfermement systématique des réfugiés et par le trucage de l’histoire, c’est miner de l’intérieur l’Europe des Droits de l’homme.


Lire le rapport d’Amnesty International.

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