Lettre ouverte à Mohamed Hamdaoui

Publié le 29 mars 2019

Cette lettre est une réponse à la Lettre ouverte à Greta Thunberg, signée Mohamed Hamdaoui


Momo,

Comment te portes-tu?

Parfois, en te voyant, je m’inquiète. Amicalement.

Suffit-il de te complaire en permanence dans tes souffrances, et celles du monde, pour exister?

Pourquoi s’en prendre ainsi à une adolescente qui a eu le mérite de nous remettre en question? Adolescent, je faisais de même, même si j’ai tendance à l’oublier aujourd’hui. Papa de trois enfants d’âge forts différents, j’ai toujours été confronté à ces remises en question exprimées souvent sans gants et m’en suis pris plein la gueule. L’adolescence veut cela. Et même si ça fait mal, c’est souvent salutaire, car cela réveille les cellules grises…

Je suis né en 1960, Renaud comme Jonas, a eu 40 ans en l’an 2000. A mon âge, j’ai probablement des trous de mémoire, et ce que mes enfants me rappellent est parfois cruel… Dans ma propre adolescence, nous rêvions de l’an 2000, de technologies, de voitures volantes, de vidéophones et autres fantasmes d’un monde meilleur, sans guerres, où nous pourrions nous aimer sans barrières. «Faites l’amour pas la guerre» est malheureusement aujourd’hui «soixantehuitattardé»! Et les drones ne sont pas drôles! Tout comme toi, je me suis engagé corps et âmes pour tenter de rapprocher les peuples et les humains. J’ai rencontré toutes les cultures (Ici c’est Bienne), j’ai vécu l’Afrique et l’Asie et j’ai vite constaté qu’il n’était pas si aisé de «réduire les différences».

D’ailleurs, il ne faut pas réduire les différences, elles sont là, il faut en prendre conscience, les assumer, et en faire un instrument pour nous rapprocher. «Tu es différent? Et alors? Cela ne rend la rencontre que plus passionnante!»

L’ami, comment peux-tu nous approprier «la fin de la colonisation, de l’apartheid, et la chute du mur de Berlin»? Si l’humain est au cœur de nos préoccupations, qu’avons-nous fait sinon assister à ces événements en tant que spectateurs, comme nous assistons aujourd’hui à la prise de conscience que le bien-être de l’humanité fait un pas de géant dans le vide ou vers le mur?

Désolé l’ami, nous n’avons absolument pas mis fin aux essais nucléaires, et les atolls de Mururoa sont aujourd’hui simplement désertés. La consommation continue de plus belle, les tomates cultivées par des esclaves clandestins sont toujours dans nos étals même si nous en cultivons dans nos jardins et il est difficile de s’acheter des vêtements qui ne sont pas «Made in China, Bangladesh, ou autres provenances improbables». Je ne vais pas me mettre au tricot pour m’habiller.

Je n’ai pas hurlé de joie quand on a annoncé la fin du nucléaire, car rien n’est résolu. J’ai encore des pastilles de iode dans ma pharmacie que nous sommes censés consommer si Mühleberg pète d’une manière ou d’une autre.

Les animaux ne sont plus des choses, mais pour moi, ils ne l’ont jamais été. Viandard invétéré, j’ai par contre nourri moi-même, en Afrique ou en Asie, la poule que j’allais dévorer le lendemain matin après l’avoir acheté vivante au marché. Et je lui parlais tout en sachant que le lendemain matin, un enfant ou ma belle-mère allait lui tordre le cou et la plumer. On est loin de la barquette sous cellophane. Aujourd’hui, où est la conscience, chez des véganes terroristes qui provoquent des catastrophes écologiques en libérant des milliers de visons dans la nature en attaquant un élevage, ou l’opprobre populaire en caillassant des boucheries? Monde cannibale!

Et ne fait pas rire avec ton histoire de bâtiments moins énergivores. As-tu vraiment demandé à ton propriétaire d’assainir la vieille maison où tu vis? Et crois-tu vraiment que l’immeuble Minergie + que ton patron a construit devant la fenêtre de ton bureau a un bilan carbone intéressant, quand un camion gigantesque fait le plein de pellets de bois tous les deux mois durant deux heures?

Moi aussi, j’aimerais croire au progrès, à l’éducation et à l’émulation. J’espère que les nouvelles générations vont prendre les clés et ouvrir les portes. Mais laisse-les s’exprimer le vendredi, c’est mieux que se prosterner en récitant des litanies. Ou de baisser la tête en potassant ses leçons.

Contrairement à un de nos amis communs qui t’a traité d’un nom «vulvegaire» ce matin, pour moi signe d’une révolte assumée face à tes propos, j’ai tenté ici une approche plus réfléchie, moins «tripales». Car réagir avec les tripes fait souvent mal à nous-mêmes, j’en sais quelque chose même si j’ai toujours peine à m’en empêcher.

Si j’étais Greta, l’ami, je te chanterais une chanson d’une de nos chanteuses préférées dont le refrain était: «Fais, fais, fais moi rire.» Et je t’apporte ici la preuve qu’elle sait sourire.

Amicalement,

Renaud Jeannerat

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