Lettre ouverte à Doris Leuthard

Parlons-en, si vous permettez, de votre sourire. A force de l’afficher ne glissez-vous pas vers un excès d’optimisme? Cela a été dit après votre joyeuse rencontre avec Jean-Claude Junker aussitôt suivie d’un sérieux durcissement de ton à la Commission européenne. Mais c’est une autre histoire. Restons-en à la SSR.
Le 14 juin 2015, vous aviez le sourire. Le peuple approuvait la nouvelle loi sur la redevance Radio-TV qui en faisait un impôt obligatoire. Cela à 4000 voix près: 0,008% des votants. Les Romands avaient apporté la courte avance. Cette victoire à l’arraché aurait dû vous alarmer. Le mécontentement montait.
Il faut dire que cet impôt est injuste, nullement progressif. La femme de ménage paie autant qu’un milliardaire. Etes-vous bien sûre, chère Doris Leuthard, d’avoir perçu le choc social de cette taxe pour les plus faibles? Savez-vous que des requérants d’asile incapables de régler cette facture ont été mis aux poursuites et de ce fait ont été pénalisés dans leurs démarches de régularisation? Mesurez-vous vraiment ce que pèsent 400 francs dans le budget des familles modestes? Vous en parlez bien peu en tout cas.
Cela dit, si les casseurs de la SSR gagnent le 4 mars, ce sera un néfaste tournant de l’histoire suisse. Une provincialisation puisque le gros du spectacle télévisé viendra des chaînes étrangères. Tamedia-Goldbach s’en lèchent déjà les babines.
ll revient certes au directeur général de la SSR de définir les réformes réclamées jusque chez les soutiens de cette maison. Mais vous, Madame la Conseillère fédérale, vous avez votre part de responsabilité. Pourquoi n’avez-vous pas réagi plutôt au message du presque-non signifié en 2015?
Vous avez certes concocté une nouvelle loi. Elle est actuellement en consultation… jusqu’en avril. En pleine campagne autour de No-Billag! Timing désastreux. Personne ne se soucie de vos propositions de dernière minute. Il y en a de bonnes pourtant. Vous voulez que la notion de service public soit prise à la lettre: plus d’information (pour 50% de la redevance), plus de culture et moins d’émissions décalquées sur les modèles des TV commerciales étrangères. Fort bien, mais vous n’êtes pas audible et ce n’est pas cette belle promesse qui convaincra la cohorte hétéroclite des partisans de l’initiative.
Dès lors que faire? Permettez une suggestion. Au vu de la tempête que provoque le vote du 4 mars, dans un souci d’écoute des préoccupations populaires, vous annoncez que le projet de loi actuellement est retiré. Et qu’un autre est aussitôt mis en chantier dans les plus brefs délais.
Avec trois innovations frappantes.
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toute personne, toute famille ne payant aucun impôt sur le revenu est dispensé de la redevance;
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toute personne au-dessous de 25 ans en est aussi dispensée;
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seules les entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus 500 millions sont soumises à cette obligation.
D’un seul coup, trois secteurs de l’opinion où souffle le vent en faveur de l’initiative comprendront que leur voix a été entendue et qu’il ne vaut plus la peine de torpiller tout l’édifice. Car ce sont les gens modestes, les jeunes et les PME excédées par cette taxe qui pourraient créer le choc fatal. Bien plus que les libéraux, néo-libéraux ou ultralibéraux qui pérorent sans jamais dire ce que serait leur plan A alors qu’ils exigent bruyamment de la SSR un plan B.
Sans un argumentaire nouveau et fort, la victoire des comploteurs zurichois est probable. Voyez les chiffres de 2015. Depuis lors, la hargne anti-redevance n’a fait qu’augmenter. Et entre nous, il n’est pas sûr du tout que les Romands qui ont pourtant d’innombrables raisons fondées de dire non courent cette fois à votre secours. Regardez les Tessinois. Contre toute rationalité et bon sens, ils seraient en majorité favorables à l’initiative!
Courage, chère Doris Leuthard, renversez la table! Pour mieux la redresser, à peine moins garnie, au milieu de notre maison commune, la Suisse.
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