Publié le 9 décembre 2022
Inspirée par un rêve, Anne Voeffray a mené une démarche photographique de longue haleine visant à célébrer les «sorcières» du XXIème siècle. Son travail a été rassemblé dans un livre paru récemment. Au menu: une centaine de signalements photographiques et de fiches anthropométriques, selon le modèle inventé par Alphonse Bertillon.

Disons-le tout de suite, j’ai l’honneur de faire partie de ce casting prestigieux des empêcheuses de penser en rond – les sorcières sont toujours au féminin, même s’il y a 20% d’hommes au total répertoriés, un pourcentage reflétant la proportion historique des exécutions en sorcellerie. A mes côtés: Myret Z., Jean-Luc B., Suzette S., Claude-Inga B. ou Etienne D. (pour ne citer que les sorcières les plus connues).

A travers cette œuvre, Anne Voeffray a souhaité dresser un parallèle entre les procès en sorcellerie du passé et le clouage au pilori actuel des penseurs remettant en cause les paradigmes dominants. Fini l’étiquetage de «sorcière», bienvenue à celui de «complotiste» ou de «pro-russe», en particulier durant la crise du Covid et la guerre en Ukraine toujours en cours. Toutes les «sorcières» recensées dans le livre ne tombent pas sous le coup de ces étiquettes, mais celles-ci sont les plus utilisées de nos jours pour discréditer. En d’autres termes, le bûcher n’est plus physique, mais médiatique, avec une mise au pilori symbolique sur les places publiques du XXIème siècle que sont les réseaux sociaux.

Par ses portraits anthropométriques, l’artiste attire aussi l’attention sur une réalité peu connue de l’histoire des sorcières: ce n’est pas au Moyen Age, mais à l’orée des «Lumières» européennes, début de l’âge du capitalisme et de la science, que les bûchers étaient les plus nombreux. «Ces derniers ont été l’expression de contrôle et de purification du corps social face au danger réel ou supposé de femmes puissantes. Comme tout processus de stigmatisation, celui de la construction de la figure de sorcière – identifier, accuser, torturer pour obtenir des aveux et détruire – a la peur comme motivation», note Anne Voeffray.

C’est toujours aussi vrai à notre époque troublée, où les vieux paradigmes scientifiques, politiques, économiques, sociaux et culturels s’effondrent sous nos yeux. Les tenants du système, effrayés (souvent inconsciemment) de voir le sol se dérober sous leurs pieds, s’arc-boutent et font feu de tout bois, préférant stigmatiser les nouvelles idées plutôt que de réformer les leurs. Rien d’étonnant à cela. L’histoire, pour citer Stefan Zweig, «défend aux contemporains de reconnaître dès leurs premiers commencements les grands mouvements qui déterminent leur époque1».

J’en ai fait les frais, moi qui, en partie scolarisé dans une école Steiner-Waldorf, ai eu l’outrecuidance de défendre cette pédagogie face aux attaques, selon moi mensongères de son principal contempteur dans la sphère francophone. Moi qui, en toute liberté, m’intéresse de près à l’anthroposophie, ce mouvement philosophique et spirituel développé par l’Autrichien Rudolf Steiner au début du XXème siècle, dont l’effritement récent du paradigme matérialiste dans les sciences2 vient confirmer quelques-unes des intuitions épistémologiques.

Il n’est pas question ici de glorifier ou de légitimer mon histoire personnelle. Simplement de souligner, comme l’a très bien fait Anne Voeffray, que notre temps troublé a plus que jamais besoin de sorcières agissant «hors de la boîte», de manière à la fois «inclassable et anticonformiste». De penseurs capables de saisir toute la complexité d’un monde paradoxal en luttant contre l’engourdissement spirituel qui gagne du terrain tous azimuts.


1Stefan Zweig, Le Monde d’hier. Souvenirs d’un européen.

2Lire notamment: Harald Walach, (2019). Galileo Report. Beyond a Materialistic Worldview – Towards an Expanded Science, The Scientific and Medical Network. https://www.galileocommission.org/report ; Thomas Nagel, L’esprit et le cosmos, Vrin (2018).


«Sorcières», Anne Voeffray, Editions BSN Press/Anne Voeffray, 80 pages.

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