Les robots tueurs arrivent. Bientôt en Suisse!

Publié le 5 septembre 2018
On en apprend de belles ces jours. Le Conseil fédéral veut permettre l’exportation d’armes vers des pays en conflit intérieur. Le même Conseil fédéral refuse ratifier le traité international contre les armes nucléaires. Tout cela ces quinze derniers jours. Des grenades «Swiss made» sont découvertes en Syrie dans l’arsenal de l’Etat islamique saisi par une bande djihadiste rivale. Le contrôle fédéral des finances dénonce dans un rapport critique la complaisance du département de l’économie dans l’application de la loi sur la vente d’armes à l’étranger. Et il vient de se terminer à Genève une conférence de l’ONU, ignorée des médias, sur une éventuelle interdiction des robots tueurs. Un échec programmé. Les pays exportateurs d’armements s’opposent à la volonté régulatrice d’une vingtaine d’Etats alarmés par cette terrifiante technologie.

De quoi parle-t-on? Des guerres de demain. L’intelligence artificielle, la reconnaissance des objets et des visages, les algorithmes permettent à des engins meurtriers d’agir de façon autonome sur les champs de bataille ou sur les territoires ennemis. On connaît les drones militaires téléguidés, fréquemment utilisés par les Etats-Unis au Moyen-Orient et en Afghanistan, ainsi que leurs dérapages qui ont coûté la vie à des milliers de civils. Là, on va au-delà. C’est la machine qui décidera où elle frappe après analyse des informations qu’elle capte. Sans intervention humaine. Cette technologie est déjà utilisée par la marine américaine pour la destruction des mines immergées et pourrait l’être contre les sous-marins ennemis. Mais son application est envisagée maintenant pour l’appuyer les armées de terre.

En clair, l’avenir promet de mener la guerre en se fiant à des ordinateurs, comme cela se passe sur les marchés financiers où une partie des mouvements sont «décidés» par des automatismes. C’est l’excellent chroniqueur militaire de la NZZ, Bruno Lezzi, qui tire ce parallèle en décrivant ce que l’on appelle dans le jargon, les «Robotic and autonomous strategic systems». Très concrètement, ces robots pourront se promener dans les zones visées, repérer des cibles et tirer sans ordre humain.

Cette évolution fulgurante de la technique militaire rend évidemment assez désuète notre vieille conception helvétique de l’armée, avec ses tanks et ses fantassins. Et aussi notre aviation, certes nécessaire pour la surveillance du ciel, mais dont le rôle, en cas de conflit généralisé, serait bien modeste. Le conseiller fédéral Parmelin l’a d’ailleurs laissé entendre à mots à peine couverts en justifiant la non-signature du traité sur les armes nucléaires. Dans l’hypothèse d’une guerre en Europe, nous nous mettrions sous la protection de puissances disposant de telles armes, en clair, l’OTAN. Et la neutralité, dites-vous? Ne soyez pas naïfs.

Armasuisse, l’office fédéral de l’armement, suit attentivement l’évolution technologique, analyse toutes les nouveautés, décide de leurs priorités, se prépare à les reprendre au besoin. Le «Defence future technology», c’est le nom du projet, considère toutes sortes d’applications. L’une d’elles rend songeur: un programme permet, par ordinateur, l’observation sociologique prévisionnelle du «comportement des masses». Logique, la défense nationale passe aussi, depuis toujours, par la surveillance de «fronts intérieurs». Le menu de cet office est ambitieux. Il se propose d’y voir clair d’ici 2020 dans trois domaines: «renseignement et surveillance», «cyberspace et information» et «systèmes mobiles et automatiques».

Le monde politique en est encore à se demander s’il faut débattre du type des avions nouveaux. C’est en fait à une tout autre échelle que l’armée s’interroge sur la spectaculaire «disruption», pour jargonner encore, qui ébranle toutes ses habitudes. 

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