Les Pharmas font des profits, «Public Eye» s’indigne

Publié le 26 mars 2021
Un rapport en anglais d’une cinquantaine de pages intitulé «Big Pharma takes it all», c’est la réponse de l’association «Public Eye» à la gestion de la crise du Covid-19 et aux multiples abus dont se rendraient coupables les pharmas. Au programme, la dénonciation tous azimuts des profits réalisés par les laboratoires, et quelques vœux pieux.

«Nous avons publié un nouveau rapport qui décrypte les stratégies de la pharma pour s’en mettre plein les poches, y compris durant une crise» affirme Patrick Durisch, spécialiste des politiques de santé chez Public Eye, dans une vidéo de présentation du rapport.

C’est un fait, une campagne de vaccination mondiale rapporte de l’argent aux pourvoyeurs de sérum. Selon les projections qu’il a réalisées au début de l’année, le laboratoire Pfizer (14€ l’injection) devrait engranger en 2021, grâce à la vaccination, un bénéfice avant impôts de 4 milliards de dollars, sur un chiffre d’affaire total de 15 milliards de dollars. A l’inverse, Astra Zeneca, qui commercialise ses deux doses 1,8€ chacune a affirmé ne pas chercher à faire de bénéfices immédiats sur la crise du Covid. Même discours du côté de Janssen, avec son injection unique facturée 7€ aux Etats acquéreurs. 

La crise, d’une manière générale, ne touche pas les pharmas, même celles qui ne se sont pas engagées dans la course au vaccin. La vente de paracetamol par exemple a explosé depuis un an, sans compter les multiples «traitements», dont aucun pourtant n’a, pour le moment, fait la preuve tangible de son efficacité. 

Stratégies…

Malheureusement pour les non anglophones, le rapport intégral de Public Eye résumé en français est purgé de ses sources et largement schématisé. A partir d’intentions louables et d’idéaux humanistes, l’association d’inspiration éthique protestante se rend coupable de raccourcis qui affaiblissent la portée de son discours. Schématisons à notre tour le propos. 

Première stratégie machiavélique des pharmas pour tirer parti de la crise, «prioriser la recherche uniquement en fonction des profits». Selon Public Eye, seule l’ampleur de la pandémie de Covid-19 a éveillé l’intérêt des laboratoires pour les traitements et vaccins contre les maladies infectieuses, qui d’ordinaire frappent surtout les pays les moins développés. Stratégie corollaire, les pharmas développent en priorité des médicaments répondant aux besoins des pays riches: traitements des cancers, diabète, maladies cardiovasculaires…

A cela s’ajoute une culture du secret de la part des laboratoires, un refus de la transparence, en particulier au sujet de leur politique commerciale, ce qui fait des gouvernements à la fois les otages et les complices de l’industrie pharmaceutique, impuissants à la contraindre à un exercice plus démocratique et tributaires de sa production pour garantir la santé à tous. 

Autre stratégie, l’usage des brevets pour sanctuariser les découvertes, établir des monopoles et fixer des prix abusifs. Les profits annoncés par Pfizer cités plus haut ne sont pas proportionnels aux sommes engagées pour la recherche sur la technologie ARN messager, qui préexiste au développement du vaccin et avait été financée par des fonds publics. Il y a bien, selon les spécialistes, «un risque de sur-profit au détriment du bien commun qu’est la santé». Et la pratique est plutôt généralisée, à en croire le rapport. Pour pallier cela, Public Eye ainsi que d’autres ONG et chercheurs préconisent depuis le début de la pandémie que les brevets sur les vaccins et les traitements potentiels soient levés, au nom de l’intérêt général de la quasi totalité de la population.

Les affirmations explosives qui suivent manquent de sources. Le point numéro 5 par exemple, «façonner les essais cliniques dans son propre intérêt», est trop peu étayé, même dans la version intégrale du rapport en anglais. N’est présentée comme source qu’une étude portant sur un corpus d’essais cliniques de 2011 et établissant que, sur le total examiné, un cinquième des études semblent présenter des biais profitables aux pharmas. Le lecteur aura soin de se faire son idée. 

… et idéaux

D’une manière générale, les constats de Public Eye ne sont pas dénués de fondements. Il est exact que la recherche médicale est aussi financée par de l’argent public — 100 milliards de francs ont été alloués à la lutte contre le Covid-19 l’an dernier — et que certains laboratoires, dont Pfizer, emploient leurs bénéfices au rachat d’actions, de brevets ou de laboratoires concurrents plus volontiers qu’à la recherche. Il est exact et juste de rappeler que les vœux pieux de l’OMS, «ne laisser personne sur le bas-côté» et «personne ne sera en sécurité tant que tout le monde n’est pas en sécurité» se heurtent à la réalité, aux difficultés et aux coûts d’approvisionnement en vaccins (mais aussi en seringues et autre matériel stérile qui font défaut dans les pays les plus défavorisés), et que le programme COVAX ne fonctionne pas comme il était idéalement annoncé. Il est, enfin, essentiel à la bonne santé des démocraties que le public comme le politique aient un droit de regard et de critique sur le fonctionnement de l’industrie pharmaceutique, activités de lobbying comprises. Public Eye défend, depuis sa création, la santé comme un Droit de l’homme inaliénable, et qui saurait le lui reprocher?

En revanche, ce nouveau rapport et les conclusions qui en sont tirées semblent parfois dictées par une forme de réticence morale et humanitaire à l’idée que l’on puisse tirer des bénéfices du secteur de la santé. Mais après tout, les pharmas, premier secteur industriel de Suisse, sont des entreprises privées, et au nom de quel principe dénie-t-on le droit à une entreprise privée de tendre à réaliser des bénéfices? A partir de combien de millions ou de milliards de francs engrangés considère-t-on que les pharmas et leurs actionnaires gagnent «trop» d’argent? En poussant au bout ce raisonnement, Public Eye devrait plaider pour la nationalisation du secteur pharmaceutique… 

Concilier le droit fondamental à la santé et la liberté d’entreprendre des firmes qui la fournissent, voilà une question qui ne mérite pas d’être traitée à l’emporte-pièce. Qu’attend donc la Suisse, qui réunit tradition neutre et humanitaire et excellence dans le domaine pharmaceutique, pour s’en saisir?


Le rapport de Public Eye est à lire dans son intégralité ici, et en français dans une version courte ici.


 

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