Les pharmas dans le méli-mélo privé-public

Publié le 27 janvier 2023
Personne ne nie l’intérêt, la nécessité de voir les géants pharmaceutiques coopérer avec le secteur public pour la santé. Mais jusqu’où? Le sujet agite les réseaux sociaux et, plus prudemment, les médias. Il y a de quoi se poser des questions au vu de la puissance financière et de l’influence de ces multinationales. Un exemple local? Une ponte de l’Université de Lausanne entre au conseil d’administration de Galenica.

Solange Peters est une personnalité d’exception, travailleuse acharnée, active dans maints domaines. Au parti socialiste, à la tête de la fondation du Béjart Ballet Lausanne – dans la tourmente ces temps-ci –, promotrice de l’initiative «Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac». Et surtout professeure à la Faculté de médecine de Lausanne, cheffe du service d’oncologie médicale. A ce titre, elle préside la Société européenne d’oncologie médicale (25’000 membres dans 160 pays!). Et voilà qu’elle vient de rejoindre un autre club, voulu par le président Macron, le «Paris-Saclay Cancer Cluster» qui rassemble tous les acteurs de l’innovation en oncologie: des équipes de recherche, des spécialistes médicaux et professionnels de la santé, des start-up, des PME, des grandes industries pharmaceutiques, des laboratoires, des patients… Avec un but: pousser plus loin le partenariat privé-public.

Tout cela est fort louable mais les dirigeants de la santé publique ne doivent-ils pas aussi garder leur indépendance? Eviter les dérives des entreprises dont le premier objectif est la prospérité financière? Equilibrer les efforts entre médicaments et autres soins? Solange Peters se dit certes attachée à la liberté académique. Mais par ailleurs elle vient d’entrer au conseil d’administration de l’entreprise suisse Galenica, modeste centrale d’achat à sa création à Clarens en 1927, devenue un poids lourd pharmaceutique: 3,3 milliards de chiffre d’affaires, le plus grand réseau de pharmacies en Suisse (au nombre de 500). Ce fleuron helvétique, présent aussi aux Etats-Unis, n’est pas actif sur le front de la recherche mais sur celui de la distribution. On comprend qu’il s’adjoigne une personnalité aussi rayonnante que la grande oncologue lausannoise, à l’heure où le prix des médicaments est devenu un enjeu politique chaud. Mais sans faire de procès à quiconque, on est en droit de se demander si une telle charge est compatible avec l’indépendance de l’université.

La question se pose aussi au plan politique. Comme le rappelle une récente péripétie fédérale. Après le départ du célèbre responsable des maladies infectieuses à l’OFSP, Daniel Koch, et à la suite d’un interim, il lui a été trouvé une succession. Sandra Bloch, médecin zurichoise, qui a fait toute sa carrière dans les grandes sociétés pharmaceutiques américaines. Dix-sept ans chez Pfizer, un passage chez Bayer, Biogen et récemment encore chez AbbVie, géant de la recherche basé dans l’Illinois (56 milliards de chiffre d’affaires). Cette nomination a fait grincer des dents dans certains milieux médicaux qu’enthousiasme peu la tendance actuelle de développer des vaccins fort coûteux pour toutes sortes de maladies. Il faut dire que cet organe doit prendre des mesures et des lois sur des sujets qui heurtent quelque peu les pharmas: les modalités d’indemnisations en cas d’effets secondaires graves, le frein aux abus d’antibiotiques, la promotion de la prévention, l’assurance de l’approvisionnement en médicaments de base peu coûteux. Or la nouvelle cheffe des épidémies, entrée en fonction le 3 janvier, a démissionné après quelques jours seulement! Sans donner de raisons. Tout est à recommencer. L’affaire, curieusement, fait fort peu de bruit à Berne. A chacun de se demander pourquoi.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat
Accès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Accès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Et si on parlait du code de conduite de Nestlé?

Une «relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée» vient de coûter son poste au directeur de Nestlé. La multinationale argue de son code de conduite professionnelle. La «faute» semble pourtant bien insignifiante par rapport aux controverses qui ont écorné l’image de marque de la société au fil des ans.

Patrick Morier-Genoud

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Stop au néolibéralisme libertarien!

Sur les traces de Jean Ziegler, le Suisse et ancien professeur de finance Marc Chesney publie un ouvrage qui dénonce le «capitalisme sauvage» et ses conséquences désastreuses sur la nature, le climat, les inégalités sociales et les conflits actuels. Il fustige les dirigeants sans scrupules des grandes banques et des (...)

Urs P. Gasche

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

La loi du plus fort, toujours

Le mérite de Donald Trump est d’éclairer d’une lumière crue, sans fioritures, la «loi du plus fort» que les Etats-Unis imposent au monde depuis des décennies. La question des barrières douanières est le dernier avatar de ces diktats qui font et firent trembler le monde, au gré des intérêts de (...)

Catherine Morand

Ma caisse-maladie veut-elle la peau de mon pharmacien?

«Recevez vos médicaments sur ordonnance par la poste», me propose-t-on. Et mon pharmacien, que va-t-il devenir? S’il disparaît, les services qu’ils proposent disparaîtront avec lui. Mon seul avantage dans tout ça? Une carte cadeau Migros de trente francs et la possibilité de collecter des points cumulus.

Patrick Morier-Genoud

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani
Accès libre

Les fonds cachés de l’extrémisme religieux et politique dans les Balkans

L’extrémisme violent dans les Balkans, qui menace la stabilité régionale et au-delà, n’est pas qu’idéologique. Il sert à générer des profits et est alimenté par des réseaux financiers complexes qui opèrent sous le couvert d’associations de football, d’organisations humanitaires et de sociétés actives dans la construction, l’hôtellerie ou le sport. (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Comment la famille Trump s’enrichit de manière éhontée

Les deux fils du président américain viennent de créer une entreprise destinée à être introduite en bourse afin de profiter de subventions et de contrats publics de la part du gouvernement fédéral dirigé par leur père.

Urs P. Gasche

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet