Les deux virus de la Hongrie

Publié le 30 avril 2020

L’accès à l’île Marguerite, l’un des endroits les plus fréquentés de Budapest au printemps, est désormais interdit. – © Municipality of Budapest

Ils sont Européens et ont connu dans leur pays le confinement, les restrictions, les manœuvres politiques et les nouvelles règles sanitaires. Ils racontent.

Daniel Psenny, ancien journaliste au Monde, résidant à Budapest


C’est une étrange atmosphère qui s’est installée dans les rues de Budapest depuis la mi-mars avec le confinement dû à la pandémie du Covid-19. Habituellement très animée en ce début de printemps avec l’afflux de touristes, la capitale hongroise vit désormais au ralenti. Commerces fermés, cinémas, opéras, théâtres et musées ont baissé leurs rideaux ainsi que les cafés et restaurants. Seuls, les supermarchés et les pharmacies restent ouverts toute la journée avec application des mesures de sécurité.
Pourtant, malgré le confinement décidé par le gouvernement de Viktor Orbán, de nombreux budapestois continuent à déambuler – avec ou sans masques – dans les rues ensoleillées de la capitale et les transports en commun sillonnent la ville avec leurs passagers qui ne respectent pas toujours les distances sociales. 

Face à cette indiscipline, le nouveau maire écologiste de Budapest Gergely Karacsony élu en octobre 2019, a décidé d’interdire l’accès le week-end à plusieurs sites de Budapest dont l’île Marguerite vers laquelle convergent chaque week-end de nombreuses familles.

Mais en Hongrie, il n’y a pas que le virus du Covid-19 qui bouleverse le bon fonctionnement du pays. L’autre virus – antidémocratique celui-là – a pour nom Viktor Orbán. Profitant de la pandémie, le premier ministre accusé de dérives autoritaires depuis son retour au pouvoir il y a 10 ans, a fait voter le 30 mars par le Parlement une loi d’état d’urgence qui lui permet désormais de gouverner par décrets pour une durée indéterminée. M. Orbán a justifié cette décision en affirmant qu’il «était le seul à pouvoir sauver le pays» et «qu’il n’avait pas besoin de l’opposition» pour maîtriser l’épidémie.

Il a ainsi décidé de la fermeture de toutes les frontières et pris des décisions très contestées comme celle d’avoir ordonné l’évacuation de la moitié des 66’000 lits d’hôpitaux afin de pouvoir accueillir tous les malades du coronavirus en cas de propagation de l’épidémie. De nombreux malades, dont des personnes âgées, ont été renvoyés chez eux sans suivi médical. 

Plus grave: dans un foyer de personnes âgées de Budapest, le virus a tué plus que n’importe où en Hongrie. Sur 1’500 résidents, 284 ont été infectés par le Covid-19 et 28 personnes sont mortes, soit 11% de la totalité des morts officiellement recensés sur le territoire. 

Selon les chiffres publiés quotidiennement par les autorités hongroises, il n’y aurait, au soir du 29 avril, que 300 décès et 2’727 personnes infectées. Près de 11’000 personnes seraient mises en quarantaine sur une population de 9,8 millions d’habitants. 

Pour montrer qu’il est désormais le commandant en chef contre le virus, M. Orbán fait diffuser sur les chaînes de télévisions tenues par ses amis politiques ou directement sur son compte Facebook, des petits reportages de propagande où on le voit visiter des hôpitaux, une prison ou préparer le repas de Pâques. Le grotesque l’emporte souvent sur le ridicule. Ainsi, début avril, on l’a vu dans un hôpital avec un masque ultra protecteur alors que le médecin qui le recevait portait un simple masque chirurgical très mal positionné. Ces images ont fait le tour du web hongrois qui pointe la grande vétusté des installations sanitaires et le manque de matériel à travers tout le pays.

Toujours à la recherche d’un bouc émissaire – hier le milliardaire philanthrope George Soros accusé de vouloir déstabiliser la Hongrie -, M. Orbán s’en prend aujourd’hui aux nouveaux maires de l’opposition qui ont remporté des mairies au détriment de son parti le Fidesz. Ainsi, il a décrété le stationnement gratuit dans les grandes villes privant les municipalités d’une source importante de leurs revenus et il a ordonné le transfert de certaines recettes fiscales municipales vers un fonds d’urgence créé pour amortir les conséquences du coronavirus. 

Le virus Covid-19 est devenu désormais un argument de campagne électoral pour Viktor Orban qui vise une réélection en 2022. Et ce n’est pas les molles protestations de l’Union Européenne contre le vote des pleins pouvoirs qui le fera reculer. En attendant, le déconfinement n’est pas à l’ordre du jour en Hongrie. M. Orbán a fixé la date du 3 mai comme celle du probable «pic» de la maladie.


A lire aussi: 

Le 14 mars, j’ai quitté la Pologne, Ewa Gwiazdecka

Comme au temps du rideau de fer, le confinement à Prague, par Jan Gebert

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