Le prince et le migrant

Publié le 9 décembre 2020
Le nom de Lampedusa n’a pas toujours été synonyme de tragédie, celle des migrants venus s’échouer sur ses plages. C’est d’abord le patronyme de l’un des plus grands écrivains italiens du XXe siècle, Giuseppe Tomasi di Lampedusa. L’auteur de ce chef-d’œuvre qu’est Le Guépard, magnifié par le film qu’en a tiré avec non moins de génie Luchino Visconti. Prononce-t-on ce nom, Lampedusa, que c’est au romancier qu’invariablement je pense et au monde, à la société en train de sombrer qu’il dépeint dans son roman. Or il se peut que ce qui s’écrit aujourd’hui à Lampedusa ne soit pas autre chose que son ultime chapitre.

Je me suis souvent interrogé sur la signification de cette curieuse conjonction. Sur le sens de ce télescopage entre les époques, la nôtre et celle dont parle l’écrivain sicilien. En apparence sans liens, sans rapports entre-elles. Mais en est-on bien certain? Il  y a évidemment la situation géographique de l’île italienne. Sa position sur l’itinéraire des migrants. A mi-chemin entre le littoral tunisien, Malte et la Sicile. Me rendant il y a bien longtemps en Libye, je me souviens avoir aperçu depuis les airs Lampedusa alors que l’avion amorçait déjà sa descente sur Tripoli. Et j’avais été surpris de sa proximité avec la côte. Ceci explique donc cela, qui, encore une fois, n’a rien à voir avec Le Guépard.

Le Guépard (Burt Lancaster), film de Luchino Visconti. Saisie d’écran.
Il y a pourtant autre chose. Et c’est un livre, qu’on m’a prêté récemment, qui m’a permis de le comprendre. Son titre: A ce stade de la nuit de Maylis de Kerangal. 
Avant de la lire, j’avoue n’en avoir jamais entendu parler. Quinquagénaire, issue d’une vieille famille bretonne, ai-je appris depuis, ayant publié une quinzaine d’ouvrages, romans, récits, albums pour enfants, récompensée en 2010 du Prix Médicis. A ma grande honte, car elle est rien moins qu’une magnifique écrivaine ainsi que je l’ai découvert à travers ce récit sensible, méditatif, à la fois grave et lumineux, dont on ne ressort pas complètement indemne et qui traite justement de la crise migratoire et de Lampedusa. 

Maylis de Kerangal © frenchculture.org
Le point de départ du récit de Maylis de Kerangal est le naufrage le 3 octobre 2013 d’un bateau de migrants au large de l’île italienne. A bord du bâtiment, un vieux chalutier parti de Tripoli, ont embarqué plusieurs centaines de personnes, en majorité des Erythréens et des Somalie...

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