Le microbiote intestinal affecterait aussi les relations sociales

Publié le 5 avril 2024
La rubrique «Matiera» du quotidien espagnol «El País» propose d’éclairer le fonctionnement du cerveau et de nos émotions. Le professeur émérite de psychobiologie Ignacio Morgado Bernal rend compte des dernières avancées concernant les liens entre microbiote intestinal et... phobie sociale.

Le microbiote intestinal, aussi appelé flore intestinale, c’est un petit monde vivant de bactéries qui colonisent notre corps et forment un ensemble complexe dans notre système gastro-intestinal. Complexe et très sensible aux variations environnementales. Plus d’un millier de types de bactéries le composent, et peuvent différer en fonction de l’alimentation, des médicaments ingérés, des événements de la vie tels qu’un accouchement, le stress, etc. Son rôle est capital: le microbiote permet l’élimination des toxines, la protection de l’intestin contre d’autres bactéries pathogènes, et contribue au fonctionnement du système immunitaire.

Dernièrement, des hypothèses selon lesquelles ce petit monde aurait aussi un rôle dans la psychopathologie semblent se confirmer. En menant des recherches sur les tumeurs colorectales, l’oncologue Daniel Martínez et un collège international de cancérologues ont découvert que le microbiote intestinal pouvait présenter des variations importantes dans sa composition, d’un individu à l’autre, et que ces variations prédisposent les individus à plusieurs pathologies. Le cancer colorectal en premier lieu, mais aussi, plus étonnant, certaines affections psychiatriques et physiologiques.

La phobie sociale, qui provoque des angoisses et des crises de panique incontrôlables à l’idée de se retrouver en présence d’autres personnes, dans une foule comme dans un ascenseur, peut, dans ses manifestations graves, constituer un handicap sérieux dans la vie quotidienne. Des traitements pharmacologiques existent, notamment par des médicaments anxiolytiques, mais ceux-ci n’apportent pas toujours des résultats satisfaisants. Si la médecine parvient, à l’avenir, à appréhender la phobie sociale comme une divergence dans la composition de la flore intestinale, de nouvelles perspectives de traitement s’ouvrent pour les patients.

Pour le moment, des expérimentations ont été menées sur des souris. Elles consistent à injecter des «greffes de microbiote fécal» provenant de malades souffrant de diverses affections psychologiques et psychiatriques. Après la greffe, des comportements et pathologies tels que la dépression, l’anxiété, et surtout la phobie sociale, se retrouvent exprimés par les souris. Autrement dit, le transfert de matériel biologique d’un être vivant à un autre entraine aussi dans certains cas le transfert de traits psychologiques. Il serait donc possible de réaliser la manœuvre inverse, et de greffer à un individu malade du matériel biologique provenant d’un individu «sain». La recherche en est au début de ses découvertes. Et la confirmation que le ventre serait bien notre second cerveau ouvre des horizons vertigineux en neurologie, psychiatrie et psychologie clinique.


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