Le coup du proverbe chinois

Publié le 18 juin 2018
Non, le sérieux n'est pas toujours là où l'on croit. Cette chronique d'Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

L’horreur est humaine, disait Coluche. Le mauvais goût aussi. Pour saluer le coup diplomatico-médiatique réussi par son président de père à Singapour, Ivanka Trump nous refait le coup du proverbe chinois bidon. Elle tweete un truc pour dire, en substance, que les mauviettes étreintes par le doute doivent se la coincer et laisser faire les vrais mecs, ceux qui agissent.

Il y a quatre ans, elle nous gratifiait d’une pseudo citation de Confucius, affirmant que la clé du bonheur réside dans le choix de son travail. C’est bien connu: dans la société chinoise du 5e siècle avant J.-C., les sujets du prince avaient le libre choix de leur orientation professionnelle et la mobilité sociale était garantie. C’est minable, Ivanka. Pour bien mentir, il faut réfléchir. (An-Li)

Mais laissons là la fille du président étasunien et voyons en quoi cet épisode peut nous rendre plus sages. Les faux proverbes, c’est un vieux truc, très prisé des princes de l’humour. Sur mon podium perso, la médaille d’or va à Pierre Desproges – Noël au scanner, Pâques au cimetière – talonné par Coluche – Plus il y a de fous, moins il y a de riz.

Mais avec la sage phrase bidon qui se fait passer pour vraie, on change de catégorie: on est dans la pollution informative ordinaire. Alimentée, en l’occurrence, par notre fascination béate pour tout ce qui relève, de près ou de loin, de la spiritualité extrême-orientale: à y bien réfléchir, le proverbe chinois, bref comme un tweet, flou comme une effluve d’encens, est un fétiche virtuel idéal pour Occidental fragilisé.

Le proverbe chinois en toc, je veux dire? Haha! Mais comment savoir, dans la masse des inspirantes phrases en circulation, laquelle est authentique? Ce n’est sûrement pas Ivanka qui a commencé à verser de l’eau de vaisselle dans la source pure de la sagesse chinoise en ligne, la chasse au fake proverbe est ouverte, la suspicion pèse désormais sur le corpus tout entier. 

Finalement, j’aime bien cette idée: ça va nous obliger à réfléchir avant de gober tout cru le premier proverbe chinois venu. Parce que, même s’il est authentique, on peut ne pas être d’accord avec. Prenez celui-ci: Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. C’est beau, d’accord, mais encore? Regarder le doigt, n’est-ce pas se préoccuper de savoir qui émet le message? Par exemple, au hasard, Ivanka ou Confucius?

Bon, allez, une dernière pour la route: Où le sage voit du vide, l’idiot voit du profond. Et vice versa. (Anonyme facétieux)

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

Ultramodernes bénitiers

Tout fout le camp? Mais non. Nous voilà revenus à un rituel millénaire: la purification des mains à l’entrée du temple – fût-il de la consommation.

Accès libre

Une joie féroce

Il y a bel et bien une forme de jubilation à se sentir tenu, contraint, protégé par plus fort que soi. Il y a bel et bien de l’angoisse à se sentir libre de ses mouvements…

J’embrasse pas

Le nouveau virus parviendra-t-il à éradiquer ce fléau morose, cette lèpre du rituel, cette calamité sociale qu’est la bise généralisée? On est tous avec lui.

Accès libre

La bonne reine verte

Jusqu’ici, «état d’urgence» rimait avec «régime autoritaire». Les activistes du climat veulent croire qu’il rime avec «démocratie». J’ai peut-être mauvais esprit, mais j’appelle ça un conte de fées.

Accès libre

Pygmalion

Je t’instruis, je te baise. L’amalgame entre emprise morale et emprise physique a longtemps été considéré comme parfaitement normal. Aujourd’hui, Pygmalion est blanc comme neige. Ou presque.

Accès libre

A la spectatrice inconnue

La culture mesure-t-elle ce qu’elle doit à la femme de plus de 50 ans? Hommage à cette indéfectible dévoreuse de beauté sans qui bien des théâtres et des musées mettraient la clé sous la porte. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans «24Heures». Excepté le dessin de Pascal (...)

Accès libre

Putsch à Zurich

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Accès libre

Adieu, Pierre Quicestquidisaitdéjà

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Accès libre

Clito, le doudou

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Accès libre

Barbe de gauche, barbe de droite

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Accès libre

Parent 1, parent 2

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Accès libre

Un vieux fantasme

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures.

Nos WC, notre avenir

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Requiem pour une surprise

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Accès libre

Le jeûne intermittent et le nutritionniste nu

Non, le sérieux n’est pas toujours là où l’on croit. Cette chronique d’Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Les cryptomonnaies prennent leurs aises

C’est une nouvelle aventure dans laquelle l’on est en train de s’engager. Une aventure qui peut complètement moderniser la place financière au point de lui faire oublier le secret bancaire. Ou qui peut lui amener de gros ennuis.