La «Davos-isation» de la COP climat

Publié le 23 février 2024

La COP28 s’est tenue à Dubaï en décembre dernier. © Fotografía oficial de la Presidencia de Colombia

Aux yeux de l’organisation GRAIN, la COP28 qui s’est tenue en décembre 2023 à Dubaï ressemblait davantage à une rencontre du Forum économique mondial de Davos (WEF) qu’à une conférence de l’ONU sur le climat. Comme Davos, c’est le lieu où désormais «milliardaires, PDG et hommes politiques de haut niveau se réunissent avec une poignée d’"experts", pour élaborer des agendas communs et serrer des mains».

«La “Davos-isation” de la COP climat» est d’ailleurs le titre du rapport explosif que vient de publier cette organisation, spécialisée dans les questions liées au climat, à l’agriculture, à l’alimentation. Laquelle estime que la prise de pouvoir des entreprises au sein de la COP représente «une évolution dangereuse, qui conduit vers des solutions privées à des problèmes publics».

Des lobbyistes deux fois plus nombreux

Si d’une COP (Conférence des Parties) à l’autre, la présence croissante du secteur privé, à l’affût de nouvelles opportunités d’affaires, était perceptible, celle de Dubaï a battu tous les records. Les lobbyistes représentant les intérêts de l’agrobusiness ainsi que des industries pétrolières et gazières furent en tout cas deux fois plus nombreux que lors de la COP précédente. Y compris au sein des délégations nationales, ce qui leur a permis d’avoir un accès direct à l’information et aux salles de négociations. Mais les multinationales ne cherchent pas seulement à peser sur les négociations. Ces rencontres internationales représentent également une opportunité de donner une belle visibilité à leurs initiatives en faveur du climat; avec la possibilité de bénéficier d’articles positifs dans de nombreux médias, sans être exposées à un examen approfondi. GRAIN note qu’outre les géants de l’alimentation et de l’agroalimentaire, le lobby des engrais s’est montré particulièrement actif, en coorganisant et en participant à de nombreux événements.  

Noyée sous des annonces spectaculaires, sans effet contraignant, la COP de Dubaï n’a cependant guère connu d’avancées sur des dossiers cruciaux. Ainsi, les négociateurs ne sont-ils pas parvenus à se mettre d’accord sur des règles communes – pourtant très attendues par les organisations de la société civile – visant à encadrer des marchés carbone qui attirent un nombre croissant d’investisseurs. Fait piquant: tandis que les experts étaient plongés dans des négociations ardues sur cette question, les entreprises et les gouvernements profitaient de l’absence d’un cadre international pour signer en coulisses de nouveaux accords. Et ce, rappelle l’organisation GRAIN, malgré le fait que tout au long de l’année 2023, des études universitaires, des enquêtes menées par les médias et la société civile, ont toutes dénoncé les pratiques frauduleuses, l’accaparement des terres et les préjudices causés aux communautés locales par de nombreux projets de «compensation carbone» – qui consiste, pour un pays pollueur ou une entreprise à compenser ses propres émissions par le financement de projets de réduction de CO2 ailleurs dans le monde.

La compensation carbone d’Amazon en Amazonie

Le patron d’Amazon, Jeff Bezos, est, lui, devenu en quelques années un acteur influent dans le business très porteur de la compensation carbone. Et le Bezos Earth Fund a joué un rôle moteur dans plusieurs des initiatives annoncées lors de la COP28. «Des initiatives privées, en dehors du processus multilatéral officiel», relève le rapport de GRAIN. Et pour compenser l’énorme empreinte carbone du groupe, Amazon gère désormais des projets – par ailleurs très controversés – dans le bassin amazonien, dont trois au Pérou, couvrant 210’000 hectares.

Mais ce sont les entreprises des Emirats arabes unis, pays hôte, et d’autres Etats du Golfe, qui constituent désormais une force majeure dans la promotion des compensations carbone à l’échelle mondiale. Parmi les entreprises émiraties qui ont profité de la COP pour signer des contrats, figure la très contestée société Blue Carbon, fondée et présidée par un membre de la famille royale, le cheikh Ahmed Dalmook Al Maktoum. Avant et pendant la COP28, cette société a signé des contrats de compensation carbone avec plusieurs pays africains, ainsi qu’avec la Papouaise-Nouvelle Guinée, couvrant au total plus de 25 millions d’hectares. Le contrat signé avec le Liberia accorde aux Emirats arabes unis le contrôle de 10% de leurs forêts pour une période de 30 ans.

Prochaines COP à Bakou et à Bélem

Selon GRAIN, «les entreprises et les gouvernements veulent perpétuer une vision de la COP “à la Davos”, dans laquelle le pétrole et les accords de compensation progressent sous la bannière de l’action climatique». Les négociations annuelles de l’ONU sur le climat sont pourtant censées être des espaces dans lesquels est élaborée une réponse internationale à la crise climatique, dont dépend la survie de notre planète. Faut-il s’en réjouir? La COP29 se tiendra en novembre 2024 à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, un pays dont l’économie dépend elle aussi fortement des exportations de gaz et de pétrole.

Pour la COP de 2025, le choix s’est porté sur Bélem au Brésil. Au regard des liens étroits qui unissent le gouvernement brésilien avec l’agrobusiness et les compagnies pétrolières, il n’est pas certain qu’après Dubaï et Bakou, on aille vers le beau. Dans son rapport sur la «Davos-isation de la COP climat», GRAIN rappelle que la délégation brésilienne s’est rendue à Dubaï avec un plan visant à régénérer 40 millions d’hectares de pâturages en encourageant l’agrobusiness et les investisseurs étrangers. Ce fut également l’occasion pour le gouvernement Lula de mettre aux enchères un nombre record de concessions de forages gaziers et pétroliers.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Sciences & Technologies

Réchauffement climatique: Bill, Greta et moi n’avons plus aussi peur

Alors que Bill Gates vient de publier un article rassurant sur le climat, Greta Thunberg se consacre désormais à la défense de Gaza. Même la science revoit à la baisse certains scénarios catastrophe et invite à plus de nuance. Analyse d’un repenti de l’alarmisme.

Pierre Gallaz
Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Politique

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Politique

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger
EconomieAccès libre

Stop au néolibéralisme libertarien!

Sur les traces de Jean Ziegler, le Suisse et ancien professeur de finance Marc Chesney publie un ouvrage qui dénonce le «capitalisme sauvage» et ses conséquences désastreuses sur la nature, le climat, les inégalités sociales et les conflits actuels. Il fustige les dirigeants sans scrupules des grandes banques et des (...)

Urs P. Gasche
Politique

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Microsoft s’enrichit sur le dos des Palestiniens

Selon des révélations étayées par des sources issues de la multinationale américaine et des services secrets israéliens, un cloud spécial a été mis en place pour intercepter les communications de millions de Palestiniens. Des données qu’Israël utilise pour mener sa guerre de représailles ethniques dans la bande de Gaza et (...)

Bon pour la tête
Politique

La géopolitique en mode messianique

Fascinés par le grand jeu mené à Anchorage et Washington, nous avons quelque peu détourné nos regards du Moyen-Orient. Où les tragédies n’en finissent pas, à Gaza et dans le voisinage d’Israël. Où, malgré divers pourparlers, aucun sursis, aucun accord de paix ne sont en vue. Où un nouvel assaut (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas encore interdit TikTok?

L’an passé, le congrès américain a décidé que le réseau social devait être interdit s’il restait en mains chinoises, ceci afin d’éviter que les données des étatsuniens soient récupérées par Pekin. Il s’agissait prétendument d’une question de «sécurité nationale». Mais le président Trump a pour la troisième fois reporté l’interdiction, (...)

Urs P. Gasche