La célébration du débarquement: une manipulation historique

Publié le 6 juin 2019

Le couple présidentiel américain a rejoint son homologue français pour assister au défilé aérien organisé à Colleville-sur-mer. – © DR

Le grand show mis en scène pour marquer les 75 ans du débarquement de Normandie fait passer le message: ce sont les Britanniques et les Américains qui ont ainsi permis d’en finir avec l’Allemagne nazie. Or ce n’est qu’en partie vrai. D’autres acteurs, sur d’autres champs de bataille, ont eu des rôles tout aussi déterminants. Mais curieusement, d’autres anniversaires sont oubliés. On n'est pas loin de la manipulation.

On ne répétera jamais assez que c’est d’abord en Russie que s’est fracassé le projet hitlérien. Au prix de sacrifices inouïs: entre 8 et 12 millions de morts militaires, entre 13 et 16 millions de morts civils. 16% de la population a disparu dans la tragédie. A titre de comparaison, sans enlever quoi que ce soit à leur héroïsme, les troupes américaines ont perdu au total 418’000 hommes. Que le président russe n’ait pas été invité à l’anniversaire du débarquement de Normandie est une insulte à son peuple dont le prix payé dépasse l’imaginable.                               

Et pourquoi donc n’a-t-on pas célébré d’autres tournants aussi décisifs de la Seconde guerre mondiale? A commencer par le débarquement de Sicile, en juillet 1943. Une opération extrêmement difficile pour les Alliés, menée par 160’000 hommes britanniques, américains et canadiens. Conduite par surprise grâce à une intox réussie qui poussa les Allemands à se préparer à un assaut du côté de la Sardaigne et de la Grèce. Elle s’est poursuivie par la campagne du sud de l’Italie, marquée par la bataille de Monte Cassino, le verrou allemand dans la botte, de janvier à mai 1944. Là, ce sont principalement les troupes françaises qui ont payé le prix fort. Ou plus précisément, les troupes coloniales, tunisiennes, algériennes, marocaines dont même le général Kesselring, défendeur de la place, reconnut l’efficacité et la bravoure. Il fallut des bombardements intensifs pendant des mois, plusieurs assauts d’artillerie et d’infanterie pour venir à bout de cette forteresse à mi-chemin entre Naples et Rome. Dans la phase finale, c’est l’armée de l’ouest polonaise du général Anders, avec ses 50’000 hommes, qui l’emporta, le 18 mai 1944. Un haut fait entré dans la légende en Pologne, totalement ignoré en Europe, en cette année du 75 anniversaire. Que l’actuel gouvernement italien ait la mémoire courte, on ne s’en étonnera pas: Salvini et consorts sont des nostalgiques cachés de l’Italie fasciste. Que la France n’ait pas ravivé ce souvenir, c’est moins compréhensible. L’occasion eut été belle d’exprimer de la reconnaissance à la fois aux vaillants soldats nord-africains et à l’armée polonaise pour le coup décisif porté à l’Allemagne nazie.

Mais voilà, il est tellement plus simple de passer en boucle l’image d’un grossier président américain aux côtés d’une vieille reine distinguée.


A lire également: Les soldats d’Outre-Mer pendant la Seconde guerre mondiale


 

A regarder:

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Les BRICS futures victimes du syndrome de Babel?

Portés par le recul de l’hégémonie occidentale, les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud — s’imposent comme un pôle incontournable du nouvel ordre mondial. Leur montée en puissance attire un nombre croissant de candidats, portés par la dédollarisation. Mais derrière l’élan géopolitique, l’hétérogénéité du groupe révèle des (...)

Florian Demandols
Politique

Pologne-Russie: une rivalité séculaire toujours intacte

La Pologne s’impose désormais comme l’un des nouveaux poids lourds européens, portée par son dynamisme économique et militaire. Mais cette ascension reste entravée par un paradoxe fondateur: une méfiance atavique envers Moscou, qui continue de guider ses choix stratégiques. Entre ambition et vulnérabilité, la Pologne avance vers la puissance… sous (...)

Hicheme Lehmici
Politique

Quand la religion et le messianisme dictent la géopolitique

De Washington à Jérusalem, de Téhéran à Moscou, les dirigeants invoquent Dieu pour légitimer leurs choix stratégiques et leurs guerres. L’eschatologie, jadis reléguée aux textes sacrés ou aux marges du mysticisme, s’impose aujourd’hui comme une clé de lecture du pouvoir mondial. Le messianisme politique n’est plus une survivance du passé: (...)

Hicheme Lehmici
Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
Philosophie

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud
Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

HistoireAccès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

Politique

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Politique

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger
Politique

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Microsoft s’enrichit sur le dos des Palestiniens

Selon des révélations étayées par des sources issues de la multinationale américaine et des services secrets israéliens, un cloud spécial a été mis en place pour intercepter les communications de millions de Palestiniens. Des données qu’Israël utilise pour mener sa guerre de représailles ethniques dans la bande de Gaza et (...)

Bon pour la tête
Politique

La géopolitique en mode messianique

Fascinés par le grand jeu mené à Anchorage et Washington, nous avons quelque peu détourné nos regards du Moyen-Orient. Où les tragédies n’en finissent pas, à Gaza et dans le voisinage d’Israël. Où, malgré divers pourparlers, aucun sursis, aucun accord de paix ne sont en vue. Où un nouvel assaut (...)

Jacques Pilet