L’homosexualité suscite (encore) le débat en Turquie

Publié le 7 mai 2020
Le bureau du procureur et le gouvernement turc ont défendu le principal leader religieux de Turquie, Ali Erbaş, après que le Barreau d'Ankara a déposé une plainte contre lui pour «crime de haine», affirmant, entre autres, que l'homosexualité «apporte la maladie». Bien que le pays reconnaisse la liberté d'aimer une personne du même sexe, les homosexuels sont confrontés à une stigmatisation extrême. Revue de presse.

Le 24 avril, au début du Ramadan, le chef de la Direction turque des affaires religieuses (Diyanet), Ali Erbaş, a déclenché une controverse en désignant l’homosexualité et les relations sexuelles entre adultes non mariés comme la «cause» de certaines maladies.

«Pour l’Islam, l’adultère est l’une des principales interdictions. L’Islam maudit l’homosexualité», a déclaré Erbaş, qui a fait allusion à l’histoire du peuple du prophète Lot, puni à cause de son homosexualité.

Il a ajouté que «des milliers de personnes sont exposées au VIH chaque année en raison de ces pratiques. Battons-nous ensemble pour protéger les gens de ce mal», a-t-il ajouté.

Le lendemain, l’Association turque des droits de l’homme (İHD) a déposé une plainte pénale contre Ali Erbaş pour haine contre la communauté LGBTI dans le pays. «L’État a la responsabilité de prévenir les crimes de haine, les préjugés et les inégalités sociales entre les sexes», a déclaré İHD dans une note, appelant le gouvernement à démettre Erbaş de ses fonctions.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, en direct à la télévision, a contribué à mettre de l’huile sur le feu. Il s’est publiquement rangé du côté de l’imam, en soutenant et en approuvant sa déclaration. «Ce qu’il a dit était absolument correct», a-t-il affirmé lors d’un discours prononcé devant la nation à l’occasion d’une mise au point sur le coronavirus.

«Les dirigeants de cet État ne veulent pas que la loi soit adaptée à la vie contemporaine, et ils n’y sont pas intéressés parce que cela implique de faire reculer les arguments de la religion», ainsi s’exprime la journaliste Mine Söğüt dans le plus ancien et le plus prestigieux journal de Turquie, Cumhuriyet. Et elle ajoute que, «les gouvernants n’hésitent pas à utiliser ouvertement des références à des ouvrages religieux prééthiques contre le droit contemporain. Ils ont une rhétorique frauduleuse qui s’approprie le respect de la foi et ils imposent leurs lois à la société».

La Diyanet a été créée en 1924 pour superviser la religion dans la Turquie laïque après l’abolition du califat islamique suite à l’effondrement de l’Empire ottoman. Des critiques disent que l’organisation dispose d’un budget énorme et qu’elle est le symbole du conservatisme religieux sous Erdogan, même si la Turquie est formellement laïque. Bien que l’homosexualité ait été légale tout au long de l’histoire moderne de la Turquie, les homosexuels sont régulièrement victimes de harcèlement et d’abus. 

Le portail d’information turc Ahval explique que ce climat d’hostilité est dans l’air depuis dix-huit ans maintenant, période correspondant à la présence ininterrompue d’Erdogan à la tête du gouvernement. 

Pour revenir aux déclarations d’Ali Erbaş, il faut préciser qu’il s’agissait d’une réponse à une vague de soutien aux LGBTI qui s’est répandue dans toute la Turquie suite à la pandémie de coronavirus, comme l’a expliqué l’avocate militante Güley Bor dans une série de tweets.

A la mi-avril, les enseignants des écoles turques ont commencé à exhorter leurs élèves à dessiner des arcs-en-ciel et à les accrocher aux fenêtres pour remonter le moral de la population pendant le blocus. Les enfants, qui ont publié des photos de leurs arcs-en-ciel sur les médias sociaux, ont rapidement été accusés par les médias pro-gouvernementaux de faire de la propagande LGBTI.

Cela a incité de nombreux membres de la communauté LGBTI turque à dessiner et à publier leurs propres arcs-en-ciel, ce qui a donné lieu à un énorme spectacle de soutien le 23 avril, Journée des enfants en Turquie, alors que beaucoup tweettaient leurs photos d’enfance. 

«Le hashtag #les enfantsLGBTI existent est devenu viral», a déclaré Güley Bor dans un tweet. «Malgré les abus et le harcèlement sur les réseaux sociaux, la visibilité des enfants LGBTI+ en Turquie a atteint un niveau sans précédent». 

Erbaş a prononcé son sermon le lendemain dans une tentative désespérée de contrer la vague de sentiments pro-LGBT et de mettre en avant l’islam soutenu par Erdoğan et son gouvernement. Malgré le fait qu’en 2002, un an avant qu’il ne devienne le leader de la Turquie, Erdoğan a affirmé que les homosexuels avaient été traités injustement et que leurs droits et libertés devaient être protégés.

Le débat s’est déplacé hors des frontières, arrivant en Allemagne où un chirurgien cardiaque turc a été licencié après avoir publié sur Twitter un message dans lequel il décrivait l’homosexualité et la transsexualité comme des maladies. Originaire d’Istanbul, Metin Çakır a travaillé à la clinique Helios de Karlsruhe pendant vingt ans.

En France, Ömer Aydın, un journaliste d’origine turque, a défendu la position d’Erbaş, déclarant que l’acceptation de concepts sociaux et politiques modernes tels que l’homosexualité avait été la ruine du christianisme.

Enfin, aux Etats-Unis: l’acteur Jeff Goldblum a posé une question sur l’islam à un concurrent irano-américain dans une émission de télé-réalité américaine populaire. «Y a-t-il quelque chose dans cette religion qui soit anti-homosexualité et anti-femme?» a-t-il demandé sous forme de provocation.

Entre temps, le bureau du procureur d’Ankara a ouvert une procédure contre le Barreau d’Ankara pour « incitation à la haine contre une religion ». Le Barreau a déclaré qu’ «il ne serait pas surprenant qu’après son dernier discours, Erbaş appelle les gens à descendre dans la rue avec des torches et à brûler les femmes comme des sorcières».

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