L’enthousiasme pour la densification urbaine ne doit pas faire ignorer ses effets pervers

Publié le 27 septembre 2018

La densification des villes génère des effets ambivalents, surtout pour les loyers, qui sont de nature à favoriser l’étalement urbain. – © DR

L’urbanisation vers l’intérieur est une réalité. Les villes et les communes urbaines densifient leur territoire. Et avec succès. On y construit sur les terrains encore libres, des bâtiments sont surélevés et des friches industrielles affectées à l’habitat. Une étude du bureau Wüest Partner menée pour le compte de l’Union des villes suisses (UVS) l’affirme. Est-ce à dire que l’étalement urbain est en voie d’être maîtrisé? C’est loin d’être gagné.


Un article original de Michel Rey,

publié dans Domaine public le 13 septembre 2018


Pour la première fois depuis des années, la surface bâtie par habitant est en recul en Suisse. Elle s’élève à 217m2 par habitant. Pour les années 2013 à 2018, le recul est de 1,9%. Il est de 5,2% pour les membres de l’UVS (les communes de plus de 5’000 habitants, voir le rapport) et même de 6,9% dans les grands centres.

La croissance démographique se fait dans les villes. Entre 2000 et 2017, les communes comptant plus de 10’000 habitants ont absorbé 45% de la croissance de la population contre 15% entre 1980 et 2000.

Cette évolution est d’autant plus significative que la création d’espaces pour le logement s’avère difficile dans les villes. Dans les grandes villes-centres, 93% des zones constructibles sont bâties, alors que dans les autres villes et communes, ce chiffre atteint 84 à 88%. Or la population et les emplois continuent à augmenter dans les villes.

Les auteurs de l’étude affirment que «ce résultat apporte la preuve solide que l’urbanisation vers l’intérieur se trouve aujourd’hui sur la bonne voie». Une gestion économe du sol est acceptée par les concepteurs et par les autorités ainsi que par une grande partie de la population.

Les conditions de réussite d’une densification de qualité

L’étude de Wüest Partner énumère les conditions d’une densification de qualité. Il est d’autant plus nécessaire de les réunir que les projets se heurtent souvent à des oppositions que les auteurs expliquent par le phénomène «not in my backyard»: si les habitants approuvent la densification, elle ne doit pas concerner leur environnement immédiat. Ils craignent une détérioration de la qualité de vie de leur quartier, avec l’augmentation du trafic, la perte de vues, la diminution des espaces verts. L’étude n’évoque pas l’une des motivations importantes des opposants: la crainte d’une augmentation annoncée de leurs loyers liée à la densification.

Le constat de Wüest Partner fait preuve de trop d’optimisme. Car la densification des villes génère des effets ambivalents, surtout pour les loyers, qui sont de nature à favoriser l’étalement urbain.

Les recommandations n’ont rien de neuf (DP 2088 et 2094). Les autorités communales doivent disposer d’une stratégie qui explicite pourquoi, où et comment elles envisagent de densifier leur territoire. Les normes d’urbanisme et de construction privilégieront la souplesse pour répondre aussi bien à des projets de nouvelles constructions que d’extension des bâtiments existants. Il faut privilégier les zones mixtes (habitat, commerces et artisanat). Les démarches seront participatives en associant très tôt tous les acteurs concernés et tout particulièrement les habitants du quartier. La densification doit s’opérer dans des quartiers bien desservis par les transports publics. Les zones d’utilité publique (parc, zone de verdure, stationnement) feront l’objet d’une gestion stratégique. Suggestion est faite aux communes de pratiquer une politique foncière plus active, notamment par des achats dans des sites morcelés de manière à réduire le nombre de propriétaires.

Le constat de Wüest Partner fait preuve de trop d’optimisme. Car la densification des villes génère des effets ambivalents, surtout pour les loyers, qui sont de nature à favoriser l’étalement urbain.

Les effets ambivalents de la densification

La densification entraîne la construction d’immeubles neufs et parfois la démolition de bâtiments existants. Les loyers ou les coûts d’acquisition sont différents selon que l’appartement se trouve dans un bâtiment neuf ou ancien. Les loyers des logements aux normes actuelles sont plus élevés. Selon les chiffres cités dans l’étude «en moyenne, un logement locatif déclaré comme construction neuve coûtait (charges comprises) 2’050 francs par mois, soit 26% de plus que la moyenne des logements non déclarés comme neufs».

C’est pourquoi les locataires d’un quartier s’opposent souvent à des projets de densification car, comme le dit clairement Wüest Partner, «lorsque la qualité du logement s’améliore par le biais d’une densification particulièrement réussie, les loyers finissent par augmenter».

La pression urbaine génère également une importante hausse du prix du foncier. Wüest Partner estime que «le prix moyen des terrains constructibles dans les zones d’habitat collectif chez les membres de l’UVS a augmenté en moyenne de plus de 200% entre 2008 et 2017». Conséquences: de nombreux propriétaires thésaurisent leurs terrains non bâtis situés souvent à des endroits propices à la densification. Ils spéculent à la hausse.

Autre effet ambivalent de la densification, surtout si elle est de qualité: elle attire souvent un grand nombre de nouveaux arrivants d’autres communes. Toute une population généralement aisée (jeunes, avec double salaire, cadres) et intéressée par la vie urbaine est prête à payer des loyers élevés. Aussi la densification ne parvient-elle pas à réduire la demande excédentaire de logements qui règne dans les villes. Malgré les efforts déployés par les villes et les coopératives pour offrir des logements à loyer modéré.

Les experts de Wüest Partner estiment qu’en 2017, dans les surfaces déjà classées en zone à bâtir en Suisse, l’espace suffirait pour 2,59 millions d’habitants et 1,89 million d’actifs supplémentaires. Si ce potentiel était exploité, environ 11 millions de personnes pourraient habiter en Suisse sans nouveau classement en zones à bâtir.

La révision de 2013 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire a exigé de nombreuses réductions de zones à bâtir surdimensionnées. Mais elle ne va pas mettre fin à l’étalement urbain dans notre pays quand on sait que ce potentiel de construction demeure encore élevé à l’extérieur du périmètre des agglomérations urbaines.

L’attrait de la villa familiale

Trouver un appartement en ville est loin d’être facile, surtout pour les familles avec enfants. Les loyers libres sont élevés, les logements à loyer modéré ou coopératifs ne sont pas et ne seront jamais en nombre suffisant pour répondre à la demande. Aussi ces familles sont-elles incitées à s’installer en périphérie des agglomérations urbaines.

Aujourd’hui, jusqu’à 50% des zones résidentielles communales sont des zones de maisons familiales. On y trouve du terrain à des prix intéressants. Ces centres urbains petits et moyens sont généralement bien desservis en transports publics (un train ou un bus par heure) et à proximité d’un accès à l’autoroute. Avec les taux hypothécaires bas, une villa familiale devient une solution attractive pour certaines familles, surtout dans un marché immobilier où l’offre devient excédentaire.

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