L’«assurance désir d’enfant» caresse vos illusions dans le sens du poil

Publié le 4 juin 2021

Capture d’écran © Sanitas

Sanitas surfe sur un mal d’époque — l’infertilité d’un nombre croissant de couples — pour lancer une complémentaire verbalement bien emballée. Commercialement habile, mais éthiquement questionnable: d'une manière insidieuse, les femmes sont encouragées à entretenir l’illusion d’une fertilité prolongée.

«Pour celles qui voudront un enfant demain»… Si ce n’est vous, c’est votre sœur, votre fille, votre copine. Elle veut fonder une famille, oui. Mais, pour elle comme pour beaucoup de femmes tiraillées entre désir de maternité et défis professionnels — ou simplement sans partenaire adéquat —  «le moment n’est pas encore venu». Que faire? Comment résoudre le cruel dilemme du «bon moment» qui angoisse des milliers, des millions de femmes en ce début de troisième millénaire? Eh bien figurez-vous que la caisse maladie Sanitas a trouvé la solution. Avec sa nouvelle assurance complémentaire «Désir d’enfant», vous «assurez votre envie d’avoir un enfant» (selon une pub parue sur Facebook). Génial, non? 

Capitaliser sur l’anxiété

Il faut saluer le flair commercial des concepteurs du produit. L’âge moyen des femmes à la maternité ne cesse de grimper (32 ans actuellement en Suisse), tandis que les hommes voient la qualité de leur sperme se dégrader. Autant dire que les couples en mal d’enfant représentent un colossal marché d’avenir. Encore fallait-il trouver le moyen de capitaliser sur leur anxiété. 

Mission accomplie: le packaging verbal de l’assurance Désir d’enfant est habile. Concrètement, ce que cette police vous rembourse au bout du compte, c’est juste quelques tentatives de procréation médicalement assistée supplémentaires en cas de galère prolongée (trois FIV à 75%, notamment, après un délai de carence de deux ans). Mais dans son narratif, elle vous incite à caresser l’illusion d’une fertilité à la carte. «Pour celles qui voudront un enfant demain..» Sous-texte: votre trentaine progresse au grand galop? Vous craignez que le «bon moment» n’arrive trop tard? Pas de stress, la médecine de la reproduction est là pour vous. Grâce à elle, vous mâterez cette fichue horloge biologique qui prétend vous dicter votre agenda. Il y a un seul petit inconvénient: la PMA coûte cher et n’est pas remboursée. Heureusement, Sanitas est là…

Sur le site de l’assurance, la promesse est formulée de manière plus réaliste: ce que l’on vous propose, c’est d’«augmenter vos chances de réussite» d’être enceinte, en cas de problème le moment venu, grâce notamment à la fécondation in vitro (FIV). Mais lorsque, dans sa présentation, la compagnie compare traitements contre l’infertilité et traitements dentaires, elle trempe à nouveau dans la mare aux illusions.

Car il y a une réalité de la médecine de la reproduction que l’air du temps a tendance à minimiser: un traitement FIV, c’est, dans un autre genre, tout aussi pénible qu’un traitement dentaire, mais les chances de succès, elles, sont bien moindres. Grosso modo, pour un cycle: une chance sur deux à 25 ans, une sur trois à 35 ans, une sur dix à 40 ans. Sanitas assure les femmes jusqu’à 44 ans – avec, bien sûr, des primes dûment progressives. Mais dans sa description du produit, elle se garde bien de mentionner les faibles probabilités de succès pour les plus de 35 ans. Elle ne précise pas non plus ce détail déprimant: les taux de réussite affichés sont ceux des grossesses, pas des naissances. Et entre les unes et les autres, l’écart se creuse avec les années qui passent: à 20 ans, le risque de fausse couche est de 10%. Après 40 ans, de 80%. Autant dire qu’à cet âge, non seulement vous payez la prime maximale, mais qu’avec trois tentatives de FIV remboursées seulement, vos chances d’accueillir un bébé restent cruellement minces. 

La réalité civilisationnelle sur laquelle capitalise le juteux marché du désir d’enfant est têtue et ne se laisse pas déjouer d’un coup de baguette magique. Tout, dans le calendrier de nos vies, tend à jouer les prolongations: les années d’adolescence, la durée de la formation, la forme physique, la vie sexuelle. Tout, sauf une chose: l’horloge biologique des femmes. En ce troisième millénaire occidental, leur calendrier reproductif se retrouve en total décalage avec leur programme de vie. Leur pic de fécondité se situe à 25 ans. Et avec lui, l’amorce du déclin, qui s’accélère dès 30 ans…

L’illusion d’une fertilité illimitée

Ce décalage entre biologie et évolution des mœurs est douloureux, il engendre des tragédies existentielles. Parfois, la médecine parvient à les corriger, mais elle est loin d’être omnipotente. Questions: est-il bien éthique d’entretenir l’illusion d’une fertilité illimitée, comme tend à le faire trop souvent le marché de la PMA? Ne serait-il pas urgent de mieux informer les jeunes de la dure réalité de l’horloge biologique?

Il est vrai qu’informer, c’est vite dit: la vérité sur l’horloge biologique est si révoltante que les femmes n’ont pas du tout envie de l’entendre. Il y a quelques années, une ministre italienne de la santé a lancé une campagne d’information sur le sujet. Elle a vite compris sa douleur face à la vague d’indignation soulevée: ses compatriotes se sont senties réduites à leur rôle de reproductrices et victimes d’une insupportable intrusion dans leur intimité.

«De quoi il se mêle? C’est ma vie!» Phrase entendue plus d’une fois dans la bouche d’une jeune femme que son gynécologue s’était avisé d’informer sur la courbe de fertilité féminine. Tuer le messager… vieille histoire.

Le décalage entre biologie et évolution des mœurs est un drame sociétal qui nous laisse impuissants. Le moment serait venu de thématiser le sujet pour ce qu’il est: un mal d’époque, pas un problème individuel et médical. On pourrait aussi attendre un brin de retenue de la part de ceux qui en tirent profit.

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