L’agression

Publié le 28 septembre 2017

© The Workplace project

Une nuit, aux alentours de minuit, alors que Juan rentrait chez lui à vélo, une voiture est venue à sa hauteur. Le conducteur lui fait signe d'avancer. Juan se lance. La voiture fonce sur lui.
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Chapitre 1, de Neza à Tijuana: Un aller (pas) simple pour New York En libre accès
Chapitre 2, la traversée: Des haricots, de l’eau, des cookies et le coyote En libre accès
Chapitre 3, boulots à la pelle: «Si vous êtes Mexicain, pire, illégal, vous êtes traité comme un déchet» En libre accès


Il y a eu un événement très révélateur de ces dix-neuf années de vie aux États-Unis. Pouvez-vous nous le décrire?

Mon plan était de venir aux États-Unis et quand je suis arrivé ici, je me suis dit OK, je reste une année, je touche tant et je rentre à la maison.  L’incident qui m’a fait changer d’avis et m’a décidé à rester… c’est un jour sur un parking de 7-Eleven, je m’étais placé là pour attendre d’avoir une proposition pour un travail sur un chantier. Et je me souviens qu’un camion pick-up est arrivé et s’est arrêté juste devant nous. Les gens qui sont sortis du camion avaient ces énormes drapeaux américains et nous hurlaient des slogans à notre visage. Je ne comprenais pas un traître mot de ce qu’ils disaient. A partir de leurs gestes, de leur comportement, je comprenais en revanche que ça n’était rien de positif à notre égard. Après ça, j’ai réalisé à quel point les gens dans mon cas se faisaient attaquer, taper dessus par des adolescents du quartier qui n’aimaient pas les Mexicains. Ils prennent leurs distances avec toi et après ils t’attaquent. Je me rends compte lors qu’il est important pour moi de rester ici et d’être partie prenante de la solution, d’aider.

Et puis il y a eu l’agression…

Aussi, un incident a vraiment changé ma vie, quand je suis arrivé aux États-Unis, je faisais de l’élagage d’arbres, je travaillais entre 8 et 19 heures et quelqu’un me déposait ensuite à un pressing où je travaillais entre 20 et 23 heures. Au matin, je m’occupais de laver les machines. Une nuit, je rentrais chez moi à vélo, il devait être 23 heures ou minuit. Alors que j’étais sur mon vélo, une voiture est venue à ma hauteur de l’autre côté de la route. On est tous les deux arrivés au croisement au même moment. Je me souviens d’avoir regardé les occupants de la voiture. Le conducteur de la voiture m’a fait signe d’y aller, de traverser la route. Au moment où je traversais la route, il a soudainement accéléré à fond en tournant vers moi et il m’est rentré dedans… Je me souviens d’avoir été projeté en l’air et quand j’ai heurté le trottoir très durement. Un groupe de jeunes est sorti de la voiture et ils m’ont battu avec une batte de base-ball. Je me souviens d’un jeune garçon qui a m’a même marché sur le visage en me disant « tu devrais retourner d’où tu viens, sale Mexicain…» Cela m’a vraiment changé car c’est à ce moment que j’ai décidé de rester aux États-Unis et de faire partie de la solution. Pour aider les autres. Cela aurait été plus facile de quitter le pays.

Que s’est-il passé juste après votre séjour en hôpital?

Après l’attaque, quand ma prise en charge à l’hôpital s’est achevée, l’infirmière m’a raccompagné en fauteuil roulant et elle m’a dit « y a-t-il quelqu’un de votre famille pour venir vous chercher?» Je lui ai répondu que je n’avais pas de famille ici, que j’étais tout seul. Je me rappelle être tout seul en dehors de l’hôpital ensuite. J’essayais de penser à ce que j’allais faire. Je suis retourné à l’endroit où j’habitais. A ce moment-là, j’avais déjà un mois de loyer en retard et mes propriétaires n’étaient pas très heureux de cette situation. Ils voulaient que je quitte le domicile. C’est ce que j’ai fait et c’est peu de temps après que j’ai rencontré cette dame venue nous rencontrer à l’endroit où on cherchait du travail, c’était Irma.

Qui était-elle?

Elle travaillait pour l’organisation locale « The Workplace project» et elle m’a invité à faire partie d’un atelier qu’elle animait. J’y ai participé et j’ai beaucoup aimé. Je me suis beaucoup investi dans le groupe. J’y ai donné de la voix même. J’essayais d’encourager les gens du groupe à s’ouvrir. Des événements comme celui que j’ai vécu doivent être relatés. Maintenant, les gens doivent savoir ce qui s’est passé. Depuis lors, j’ai augmenté mes rencontres avec d’autres victimes et j’ai réalisé que je devais me remettre à étudier. Donc je me suis fait violence pour retourner à l’école. 

L’école? Pour y étudier quoi?

J’étudiais l’anglais comme langue étrangère parce que je pensais que c’était la priorité. Toutes les personnes que je rencontre, y compris celles rencontrées récemment, je leur disais que si elles voulaient faire quelque chose de leur vie, il leur fallait apprendre la langue car ça leur ouvrirait tant de portes. Si elles ne parlaient que l’espagnol, ces portes resteraient closes. Cela ne change pas seulement la façon dont les gens vous parlent mais la façon que vous avez de vous confronter aux autres. Cela vous permet de communiquer d’une manière qui vous était impossible avant. Cela m’a permis de rencontrer des gens dont je suis proche maintenant. C’est aussi une façon de me défendre. C’est devenu très important pour moi. Je ne me défends pas de manière agressive mais avec des faits. Quand vous êtes capables de comprendre la langue, vous êtes bien plus capable de vous débrouiller dans le pays, et ce tous les jours.


Prochainement dans Bon pour la tête

Chapitre 5, la suspicion: Ces Mexicans sont des «violeurs, des criminels…»

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