Publié le 3 septembre 2021

Le lac d’Oroville (Californie) en 2019 et 2021. – © NASA

Emeutes de la soif en Iran, gardes armés pour protéger des puits en Californie, bisbilles entre Israël et ses voisins, villages privés d’eau en Espagne, des lacs qui disparaissent, des rivières à sec, alerte sécheresse au Chili, en Afrique australe et dans certaines parties de l’Inde notamment. Le constat est affolant et les conséquences inquiétantes, même pour la Suisse!

«La sécheresse est sur le point de devenir la prochaine pandémie et il n’y a pas de vaccins pour la guérir.» Mami Mizutori, diplomate japonaise et directrice du Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes ne mâche pas ses mots. «Près d’un quart de la population mondiale est en situation de pénurie hydrique grave, proche du « jour zéro » lors duquel plus aucune eau ne sortira du robinet».

Le constat

Au cours de cet été – plutôt pourri en Suisse – plusieurs pays européens ont enregistré des températures avoisinant les 50 degrés. Un record, certes, mais cela fait maintenant de nombreuses années qu’à de rares exceptions près, le monde scientifique pousse des cris d’alarme: l’activité humaine réchauffe notre planète et provoque d’importants dérèglements climatiques.

Sur Terre, près de la moitié des habitants ne disposent pas d’un accès suffisant à de l’eau potable et, selon l’OMS, un quart de la population n’a principalement accès qu’à de l’eau contaminée, notamment par des matières fécales, ce qui provoque quelque 500’000 décès chaque année, dus au choléra et à la fièvre typhoïde. 

C’est que 97% de l’eau qui recouvre la terre est salée. Pire: les 3% d’eau douce se retrouvent essentiellement sous forme de glace et, nous le savons bien, l’eau disponible n’est de loin pas répartie de manière égale.

Or, les besoins en eau ne cessent de grandir. Croissance de la population mondiale, notamment en Afrique et donc besoins accrus d’eau pour l’hygiène quotidienne, la cuisine, la douche, les toilettes, pour la production de biens et surtout pour les industries et l’agriculture.

Un rapport du consultant McKinsey prévoit une hausse des besoins mondiaux de 4’500 milliards de m3 à 6’900 milliards de m3 d’ici 2030. Or, à ce moment-là, la demande excédera de 40% les ressources disponibles…

La sécheresse n’est toutefois qu’une face de la médaille du dérèglement climatique. A la mi-juillet de cette année, la Suisse, les pays du Bénélux et l’Allemagne, pour ne citer qu’eux, ont eu à souffrir de violents orages de grêle et de pluies torrentielles, provoquant de nombreux décès et des dégâts se chiffrant en milliards.

Mousson à Dhaka (Bangladesh). © DR

Quant aux pays qui connaissent le régime des moussons, tels que l’Inde, le Bangladesh, le Pakistan et quasiment toute l’Asie du Sud-Est, le constat est également clair: les phénomènes météorologiques extrêmes se sont intensifiés ces dernières années et vont encore gagner en violence.

Dans la plupart des pays occidentaux, nous nous sommes habitués à pouvoir nous éclairer avec un simple clic sur un interrupteur et à voir l’eau couler dès que l’on ouvre un robinet. Conséquence: la consommation quotidienne en eau est de l’ordre de 600 litres par habitant aux Etats-Unis, entre 300 et 350 litres en Europe et…de 10 à 20 litres en Afrique subsaharienne.

Mais nous rendons-nous encore compte de ce que nous consommons, souvent inutilement? Tirer la chasse d’eau entière après un petit pipi? Hop, c’est facilement 9 litres qui partent. Un bain? 160 litres. Et les 1,5 millions de bovins en Suisse, boivent quotidiennement 120 millions de litres d’eau!

Répartition de la consommation d’eau en Suisse.

Si la consommation d’eau en Suisse reste dans la moyenne, notre empreinte hydrique, c’est à dire le volume d’eau utilisé pour la production de biens et services que nous consommons, importations incluses est de l’ordre de 4’200 litres par jour et par personne, ce qui est considérable.

Ainsi, la fabrication d’un jean demande près de 10’000 litres d’eau dont un tiers pour produire le coton et le reste pour produire le tissu, le laver, le colorer, décolorer, etc. Une voiture? La construire consomme facilement 400’000 litres d’eau et, selon les calculs du WWF, une tasse de café «coûte» 140 litres d’eau si l’on tient compte de toute la chaîne de production. Quant au hamburger de 125 grammes que vous venez de manger, il aura «coûté» plusieurs milliers de litres d’eau (les estimations vont de 1’500 à 35’000 litres selon qu’elles proviennent d’un lobby type «Pro Viande» ou d’organisations écologiques), ces dernières tenant compte de l’irrigation des céréales que consomme la bête (7 kg pour produire 1 kg de viande), de sa grande soif (entre 60 et 90 litres d’eau par jour) et de l’eau consommée lors de la transformation et du transport.

En clair, la Suisse ne couvre que 20% des besoins en eau nécessaires pour la fabrication des biens et produits que consomment ses habitants. Les 80% restant sont consommés dans les pays producteurs et affectent donc les ressources en eau locale de pays étrangers. Et comme nous importons beaucoup de biens provenant des pays en développement, nous contribuons à priver les habitants de ces pays de l’eau dont ils ont besoin.

Le paradoxe

D’un côté, le réchauffement climatique entraîne des pluies de plus en plus abondantes. De l’autre, on observe des lacs et des rivières à sec et donc des ressources en eau qui s’amenuisent.

Comme l’explique la journaliste spécialisée Céline Delurzache, «les modèles climatiques mettent en évidence une augmentation des précipitations dans un climat qui se réchauffe. L’atmosphère peut ainsi transporter 7% d’humidité en plus par degré supplémentaire. Cette humidité va ensuite se déverser brutalement lorsque la pluie se forme. Logiquement, cette eau additionnelle devrait venir alimenter les cours d’eau. Or, ce n’est pas le cas: le débit des précipitations ne se retrouve dans celui des cours d’eau que dans 36% des cas». En clair: pour 100 gouttes de pluie qui tombent, seules 36 vont directement alimenter les rivières, les lacs et nappes phréatiques.

«Que d’eau, que d’eau!» (Président Mac-Mahon lors des inondations catastrophiques de 1875)

Selon une étude du Global Water Institute de l’Université de New South Wales de Sydney, le coupable est le sol de plus en plus sec. L’évaporation accrue ne se produit pas qu’au niveau des océans: les terres, elles aussi, voient leur précieuse eau s’échapper dans l’atmosphère. En conséquence, lors d’un orage, «l’excès de pluie est directement absorbé par le sol au lieu de d’écouler vers les rivières».

Les conséquences

Les eaux souterraines sont, depuis toujours, une source vitale dans la plupart des pays. Mais, à force d’en pomper toujours plus, (notamment pour satisfaire les besoins de l’agriculture) et sans tenir suffisamment compte des besoins de réapprovisionnement, on en est arrivé à un énorme déficit en eau un peu partout dans le monde. Y compris en Suisse…

Ainsi, en mai 2011, l’Office fédéral de l’agriculture a publié un communiqué intitulé «L’agriculture manque d’eau», précisant: «Les années de sécheresse pourraient se généraliser. Les besoins de l‘agriculture en irrigation augmentent, mais l’eau est disponible en quantité limitée». 

Quant à l’Office fédéral de l’environnement, il précise que «l’eau ne va pas manquer en Suisse d’ici à 2025 (sic). Mais si l’on veut conserver la qualité et la quantité actuelles, la gestion des ressources et des infrastructures devra être améliorée».

Croire donc que le manque d’eau ne touche que des pays à températures extrêmes est une dangereuse illusion. Ainsi, on connait déjà des pénuries d’eau en été en Suisse et, dans 40 des 50 Etats américains, les gestionnaires de l’eau considèrent être déjà en déficit une majeure partie de l’année.

Pour illustrer les conséquences de cette situation, rien ne vaut une petite histoire.

Vallée de Sam Joaquin, Californie. 71’000 km2 (pour mémoire, la Suisse, c’est 41’000 km2). Au cours des dix années écoulées, la surface des vergers d’amandes et de pistaches ont augmenté de 200’000 hectares (ce qui équivaut à la superficie combinée des cantons de Genève, Neuchâtel et Jura). Au cours de cette même décennie, la Californie a connu deux de ses plus importantes périodes de sécheresse.

© DR

Certes, amandes, pistaches et avocats sont très voraces en eau, mais ce sont des cultures qui rapportent gros. Or, même dans une année faste, 75% de l’eau dont celles-ci ont besoin doit venir d’un sous-sol qui se vide rapidement, ainsi les fermiers se battent – parfois violemment – pour l’accès à l’eau.

Stockton, une ville de quelque 300’000 habitants dans la vallée, vit essentiellement de l’agriculture et du tourisme. Sur une superficie de dix fois le canton de Genève, on produit asperges, myrtilles, avocats, amandes, etc. et les visiteurs qui viennent faire leurs achats et assister aux nombreux festivals que propose la ville, dépensent près de 400 millions de francs par an.

Mais la sécheresse historique dont souffre l’ouest des Etats-Unis a quasiment tari les sources et les habitants sont en passe d’apprendre à vivre avec moins d’eau, devant même parfois la faire venir par camion-citerne, un processus coûteux, les prix – vu la demande – ayant doublé en un an.

Un confrère du Stockton Record, contacté par téléphone me racontait qu’entre des habitants qui dorénavant ne prennent de douche que tous les deux jours, lavent leur linge moins souvent et certains hôteliers qui envisagent de rendre les douches payantes, c’est toute la vie qui est en train de devoir s’adapter.

Et, me dit-il, «si l’on ne réduit pas immédiatement d’au moins 20% les surfaces agricoles du comté, on va droit dans le mur. Et bien sûr, cela se répercutera sur le prix des produits alimentaires».

Enfin, un exemple plus près de chez nous: en 2018, le chimiste allemand BASF a essuyé une perte de 250 millions d’euros à cause de la baisse du niveau du Rhin. Le fleuve ne pouvait plus servir à transporter les marchandises, ni à alimenter les usines du groupe en eau de refroidissement. 

Baisse du niveau du Rhin égale augmentation du prix des carburants. Entre autres…

BlackRock, le plus important gestionnaire d’actifs au monde (et employeur de notre ex-président de la Banque Nationale, Philipp Hildebrand) estime que le stress hydrique va fortement augmenter les coûts de production, mais que la plupart des investisseurs ignorent ou sous-estiment encore grandement ces risques.

Et lorsque l’on sait que 20% des exploitations minières dans le monde sont localisées dans des régions souffrant d’un «stress hydrique» et que – autre exemple – la compagnie minière Anglo American a dû réduire sa production de cuivre de 28% au Chili à cause du manque d’eau, on peut se douter qu’on ne va pas vers des lendemains qui chantent.

Deuxième volet à venir: «pensons positif: il y a des solutions!» Et profitons-en pour distribuer quelques bonnes et mauvaises notes!


Sources:

Pour aller plus loin: 

Le Club Suisse de la Presse organise le colloque (en anglais) Water: weapon of war or instrument of peace? le 21 septembre de 11 heures à 13 heures, accessible en ligne. 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Bonnes vacances à Malmö!

Les choix stratégiques des Chemins de fer fédéraux interrogent, entre une coûteuse liaison Zurich–Malmö, un désintérêt persistant pour la Suisse romande et des liaisons avec la France au point mort. Sans parler de la commande de nouvelles rames à l’étranger plutôt qu’en Suisse!

Jacques Pilet
Politique

Les BRICS futures victimes du syndrome de Babel?

Portés par le recul de l’hégémonie occidentale, les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud — s’imposent comme un pôle incontournable du nouvel ordre mondial. Leur montée en puissance attire un nombre croissant de candidats, portés par la dédollarisation. Mais derrière l’élan géopolitique, l’hétérogénéité du groupe révèle des (...)

Florian Demandols
SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Politique

Un nouveau mur divise l’Allemagne, celui de la discorde

Quand ce pays, le plus peuplé d’Europe, est en crise (trois ans de récession), cela concerne tout son voisinage. Lorsque ses dirigeants envisagent d’entrer en guerre, il y a de quoi s’inquiéter. Et voilà qu’en plus, le président allemand parle de la démocratie de telle façon qu’il déchaîne un fiévreux (...)

Jacques Pilet
Culture

La France et ses jeunes: je t’aime… moi non plus

Le désir d’expatriation des jeunes Français atteint un niveau record, révélant un malaise profond. Entre désenchantement politique, difficultés économiques et quête de sens, cette génération se détourne d’un modèle national qui ne la représente plus. Chronique d’un désamour générationnel qui sent le camembert rassis et la révolution en stories.

Sarah Martin
Sciences & TechnologiesAccès libre

Les réseaux technologiques autoritaires

Une équipe de chercheurs met en lumière l’émergence d’un réseau technologique autoritaire dominé par des entreprises américaines comme Palantir. À travers une carte interactive, ils dévoilent les liens économiques et politiques qui menacent la souveraineté numérique de l’Europe.

Markus Reuter
Economie

Notre liberté rend la monnaie, pas les CFF

Coffee and snacks «are watching you»! Depuis le 6 octobre et jusqu’au 13 décembre, les restaurants des CFF, sur la ligne Bienne – Bâle, n’acceptent plus les espèces, mais uniquement les cartes ou les paiements mobiles. Le motif? Optimiser les procédures, réduire les files, améliorer l’hygiène et renforcer la sécurité. S’agit-il d’un (...)

Lena Rey
Sciences & Technologies

Réchauffement climatique: Bill, Greta et moi n’avons plus aussi peur

Alors que Bill Gates vient de publier un article rassurant sur le climat, Greta Thunberg se consacre désormais à la défense de Gaza. Même la science revoit à la baisse certains scénarios catastrophe et invite à plus de nuance. Analyse d’un repenti de l’alarmisme.

Pierre Gallaz
Economie

Où mène la concentration folle de la richesse?

On peut être atterré ou amusé par les débats enflammés du Parlement français autour du budget. Il tarde à empoigner le chapitre des économies si nécessaires mais multiplie les taxes de toutes sortes. Faire payer les riches! Le choc des idéologies. Et si l’on considérait froidement, avec recul, les effets (...)

Jacques Pilet
Culture

Stands de spritz et pasta instagrammable: l’Italie menacée de «foodification»

L’explosion du tourisme gourmand dans la Péninsule finira-t-elle par la transformer en un vaste «pastaland», dispensateur d’une «cucina» de pacotille? La question fait la une du «New York Times». Le débat le plus vif porte sur l’envahissement des trottoirs et des places par les terrasses de bistrots. Mais il n’y (...)

Anna Lietti
Politique

Les penchants suicidaires de l’Europe

Si l’escalade des sanctions contre la Russie affaiblit moins celle-ci que prévu, elle impacte les Européens. Des dégâts rarement évoqués. Quant à la course aux armements, elle est non seulement improductive – sauf pour les lobbies du secteur – mais elle se fait au détriment des citoyens. Dans d’autres domaines (...)

Jacques Pilet
Politique

«Cette Amérique qui nous déteste»

Tel est le titre du livre de Richard Werly qui vient de paraître. Les Suisses n’en reviennent pas des coups de boutoir que Trump leur a réservés. Eux qui se sentent si proches, à tant d’égards, de ces Etats-Unis chéris, dressés face à une Union européenne honnie. Pour comprendre l’ampleur (...)

Jacques Pilet
Politique

La fin de l’idéologie occidentale du développement

Le démantèlement de l’USAID par Donald Trump marque plus qu’un tournant administratif: il révèle l’épuisement d’une idée. Celle d’un développement conçu par et pour l’Occident. Après des décennies d’aides infructueuses et de dépendance, le Sud s’émancipe, tandis que la Chine impose son modèle: pragmatique, souverain et efficace.

Guy Mettan
Economie

Taxer les transactions financières pour désarmer la finance casino

Les volumes vertigineux de produits dérivés échangés chaque semaine témoignent de la dérive d’une finance devenue casino. Ces instruments servent avant tout de support à des paris massifs qui génèrent un risque systémique colossal. L’instauration d’une micro-taxe sur les transactions de produits dérivés permettrait de réduire ce risque, d’enrayer cette (...)

Marc Chesney
Economie

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud
Politique

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat