Épidémie de polio à Chicago en 1937 : Les enfants apprennent à la maison grâce à la radio

Publié le 20 avril 2020
Professeur assistant à la Graduate School of Education de l’université de Stanford, Michael Hines fait des recherches et enseigne l’histoire de l’éducation aux États-Unis. Ses articles ont été publiés dans le Journal of the History of Childhood and Youth et dans History of Education Quarterly; il est en train d’écrire un livre sur la race, la démocratie et les écoles de Chicago pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet article a été publié dans le Washington Post, le 3 avril 2020 et repris par Larry Cuban sur son blog.

sur le blog de l’historien et blogueur Lyonel Kaufmann 


Cet article nous rappelle que dans les années 1930 aux Etats-Unis comme ailleurs, la technologie de pointe promue à l’école est alors la radio et plus particulièrement au moyen d’émissions de radio scolaire.

Concernant la Suisse romande, les émissions de radio scolaire ont débuté en 1932. Elles étaient diffusées chaque semaine par la radio de Genève ou de Lausanne. La radio scolaire était considérée comme une source d’information nouvelle et un stimulant du travail intellectuel dépassant les moyens ordinaires dont disposaient les écoles. (Bulletin officiel de l’instruction publique du canton de Vaud, 1934).

Si les défis posés à l’éducation par la nouvelle pandémie de coronavirus peuvent sembler sans précédent, les éducateurs peuvent être surpris d’apprendre qu’il y a près de 100 ans, les écoles de Chicago étaient confrontées à des circonstances similaires. Traduction des éléments principaux de l’article de Michael Hines.

Le contexte

À l’automne 1937, une épidémie de poliomyélite, ou polio, une maladie hautement infectieuse qui peut entraîner la paralysie et la mort et qui est particulièrement dangereuse pour les jeunes enfants, a balayé la région de Chicago. Elle a obligé les écoles à retarder l’ouverture de l’année scolaire et a suscité une alarme générale concernant la perte de temps d’enseignement et le fait que les élèves étaient laissés à eux-mêmes.

Il est à noter qu’en 1937 la radio en classe est une technologie nouvelle qui commence à être utilisée à l’école.

Les moyens engagés pour poursuivre l’enseignement

Déterminés à poursuivre l’enseignement pour les quelque 325 000 élèves d’âge primaire du district, le surintendant William H. Johnson et la surintendante adjointe Minnie Fallon ont lancé une vaste expérience qui a permis de dispenser des cours directement chez les élèves grâce aux efforts coordonnés des écoles publiques, des grandes stations de radio, des quotidiens et des bibliothèques locales.

La confection des programmes radiophoniques scolaires

Tout d’abord, les programmes de radio école par école étaient bien organisés. Les enseignants et les directeurs d’école élémentaire écrivaient et préparaient chaque leçon, sous la supervision de comités thématiques qui assuraient la qualité et la continuité de l’ensemble. Une fois que le matériel était prêt, les segments étaient présentés en tranches de 15 minutes (courtes et précises), offertes par six stations de radio coopérantes: WENR, WLS, WIND, WJJD, WCFL et WGN.

Les horaires et les dates de diffusion, ainsi que les «indications, questions et devoirs» étaient disponibles dans les journaux locaux chaque matin afin que les élèves puissent trouver la leçon correspondant à leur propre niveau scolaire et soient prêts à régler leur cadran.

Différents sujets ont également été abordés à des jours précis; les lundis, mercredis et vendredis ont été consacrés aux études sociales et aux sciences, les mardis, jeudis et samedis étant consacrés à l’anglais et aux mathématiques.

Deuxièmement, les émissions de radio étaient divertissantes. Les éducateurs ont rapidement constaté, comme pourrait en convenir quiconque a organisé une réunion virtuelle de quelque nature que ce soit, que sans partage physique d’un lieu, il était beaucoup plus difficile d’être sûr de l’attention de son auditoire et que «toute autre distraction, plus attrayante pour le moment, peut attirer l’auditeur»1.

Troisièmement, ils ont activement cherché à impliquer les parents et les communautés. Une ligne d’assistance téléphonique a été mise en place par l’intermédiaire du bureau central du district scolaire, composé de 16 enseignants, et les parents ont été encouragés à appeler pour poser des questions ou faire des commentaires. Après avoir enregistré plus de 1 000 appels le premier jour du programme, cinq autres enseignants ont rapidement été ajoutés.

Parmi les autres moyens d’accroître la participation des parents, on peut citer l’incitation des familles à réserver des blocs de temps pour les périodes d’étude quotidiennes après les cours radiophoniques avec leurs enfants.

Fracture technologique et inégalités scolaires

Le problème principal, auquel les écoles et les collèges seront probablement confrontés dans la crise actuelle, est l’accès inégal à la technologie. Bien que Johnson ait estimé que quelque 315 000 élèves ont suivi les cours à la radio pendant les semaines où ils ont été diffusés, les écoles ont également créé du matériel spécifique pour les élèves dont les familles ne possédaient pas de radio, avaient une mauvaise réception ou étaient obligées de quitter complètement Chicago pendant la crise.

En outre, les élèves qui avaient besoin de plus d’attention ou de rattrapage se débattaient dans des cours de radio uniformes.

En fin de compte, ces lacunes ont fait craindre aux éducateurs et aux observateurs que «les élèves qui bénéficient des leçons radiophoniques» soient finalement «ceux qui en ont le moins besoin» et «qui souffriraient le moins d’une réduction de leur enseignement en classe»2

Propos conclusifs de Michael Hines

Comme l’indique un rapport, «avec l’avènement de la radiodiffusion il y a une quinzaine d’années, certains pronostiqueurs s’attendaient à ce que la radio supplante le manuel scolaire – et même l’enseignant»3.

Pourtant, comme l’a montré la crise de la polio, il est «devenu de plus en plus évident que le plus que la radio puisse faire dans son rôle d’enseignement est de stimuler la réflexion et d’inspirer des études plus poussées»4. Même si la technologie a beaucoup évolué au cours des décennies suivantes, il y a fort à parier que tout projet d’enseignement virtuel aboutira désormais à la même conclusion.


  1. Larry Wolters, “Broadcast Food for Thought? Use Sugar Coating!” Chicago Daily Tribune (Chicago, IL), Sept. 19, 1937. 
  2. Lessons by Radio,” Chicago Daily Tribune (Chicago, IL), Sept. 14, 1937. 
  3. Larry Wolters, “Broadcast Food for Thought? Use Sugar Coating!” Chicago Daily Tribune (Chicago, IL), Sept. 19, 1937. 
  4. Larry Wolters, “Broadcast Food for Thought? Use Sugar Coating!” Chicago Daily Tribune (Chicago, IL), Sept. 19, 1937. 

 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Tchüss Switzerland?

Pour la troisième fois en 20 ans, le canton de Zurich envisage de repousser au secondaire l’apprentissage du français à l’école. Il n’est pas le seul. De quoi faire trembler la Suisse romande qui y voit une «attaque contre le français» et «la fin de la cohésion nationale». Est-ce vraiment (...)

Corinne Bloch

La SSR se moque de nous

La perte de 30% d’auditeurs romands depuis l’abandon de la fréquence FM laisse les patrons de la radio-télévision de marbre. Ces chiffres sont pourtant inquiétants pour le débat démocratique.

Jacques Pilet

Ecouter les nouvelles en allemand?

Les programmes de la SSR, en particulier les nouvelles, sont de bien meilleure qualité outre-Sarine.

Antoine Thibaut

La RTS jamais à court de poil à gratter

Du haut de sa sérénité autosuffisante, la radio-télévision suisse n’en a que faire de son public.

Antoine Thibaut

Adieu à RTS sur FM

C’était décidé depuis deux ans: les programmes radio de la RTS ne seront plus diffusés sur la bande FM à partir de ce 31 décembre à minuit. Mais uniquement sur DAB.

Antoine Thibaut
Accès libre

L’IA à la radio? Patatras!

Une radio de Cracovie destinée au jeune public, Off Radio Krakow, a cru bon de remplacer journalistes et présentateurs par des créatures de l’intelligence artificielle, nous apprend «Courrier international». Mais Emy, Kuba et Alex ne sont pas restés longtemps au micro.

Bon pour la tête
Accès libre

Lutter contre le «doomscrolling»: les stratégies des adolescents

Le temps des vacances est là. La réjouissance de cette perspective s’accompagne pourtant d’une crainte certaine pour nombre d’adultes: la vision de l’adolescente ou de l’adolescent de la famille scotché à son téléphone, s’adonnant à une activité désormais connue sous le nom de scrolling.

Bon pour la tête

Les profs blancs sont racistes, même s’ils ne le sont pas

Corine Lesnes, correspondante du «Monde» à San Francisco, rapporte une évolution pour le moins étonnante du système éducatif californien. Une nouvelle charte enjoint plus de 60’000 professeurs d’université à adopter une perspective antiraciste dans leurs cours, quelle que soit la discipline, et à admettre leurs propres et prétendus «préjugés» racistes.

Marie Céhère
Accès libre

La guerre des enfants fait rage en Suède

Le trafic de drogue, la crise identitaire des jeunes issus de l’immigration, entraînent toujours davantage de mineurs dans la spirale de la violence. Presque tous les jours, en Suède, des ados meurent sous les coups de leurs pairs. La clémence du droit pénal et le système scolaire, favorisant la ségrégation (...)

Bon pour la tête

Les grandes universités américaines privilégient les étudiants les plus riches

La Cour Suprême des Etats Unis a décrété fin juin dernier que la discrimination positive basée sur la couleur de la peau, pratiquée dans les universités, est contraire à la Constitution. Beaucoup pensent que ceci permettra un recrutement plus juste. Une étude parue fin juillet démontre cependant que les enfants (...)

Accès libre

La discrimination institutionnelle de nos enfants

Le système de notation du DIP est un catalyseur de tourner en rond de nombreux jeunes et un empêcheur de poursuivre leurs études dans leurs domaines respectifs d’excellence. La libre circulation expose nos enfants à une concurrence déloyale sur leur territoire, face à plusieurs millions de jeunes européens, désireux de (...)

Gérald Bronner pour la paix des classes

Gérald Bronner, sociologue et professeur à la Sorbonne, est ce que l’on appelle un «transclasse». Dans son dernier essai, il se livre à la suite de nombreux autres auteurs à l’exercice du récit autobiographique. Sous un angle atypique: il fait remonter très loin la question des origines, et se refuse (...)

Accès libre

Le foulard islamique devient un serpent de lac

Le foulard islamique relève du serpent de mer dont le venin réinfecte les polémiques à chaque morsure de l’actualité. Serpent de lac, plutôt en l’occurrence. Un visuel illustrant deux fillettes voilées a semé le trouble dans l’école primaire genevoise. «Une erreur», regrette le Département de l’instruction publique. Que voile-t-il et (...)

Accès libre

«Les enfants d’aujourd’hui auront plus tard de grandes difficultés à s’orienter dans la vie»

C’est ce qu’affirme Rüdiger Maas, chercheur allemand en «sciences des générations» dans une interview à la «NZZ am Sonntag». Il estime notamment que les parents d’aujourd’hui, entre 30 et 40 ans, les fameux Millenials, ont tendance à chercher des réponses quant à leur comportement plus sur internet qu’en écoutant leur (...)

Accès libre

Orthographe: et si on osait les comparaisons?

La graphie rénovée est relancée et avec elle le spectre qui hante la francophonie: celui de l’appauvrissement de la langue. Il suffit pourtant de regarder l’ailleurs linguistique pour se rassurer: une orthographe opaque et capricieuse n’est pas la condition de la profondeur.

Accès libre

La myopie, nouvelle maladie endémique

La myopie est la déficience visuelle la plus courante et a fortement augmenté dans les pays industrialisés ces dernières années : elle devient de plus en plus un problème de santé mondial. En Europe, on estime que la moitié des jeunes de 20 ans sont myopes, dans les pays asiatiques, (...)