Economie: prédictions et pronostics pour 2023

Publié le 13 janvier 2023

© AbsolutVision via Unsplash

Il est toujours périlleux de s’adonner en janvier aux prévisions pour l’année à venir. Collaborateur au «Financial Times», investisseur et président de Rockfeller International, Ruchir Sharma s’est tout de même prêté à l’exercice dans la dernière édition «Week-End» du quotidien économique. Perspectives.

«Bien des gens continuent d’agir comme ils l’ont toujours fait, espérant que d’une manière ou d’une autre, ils n’auront pas à se confronter au changement», commente Ruchir Sharma en introduction. Le changement, pourtant, est devant nous. Et la majorité des personnes qu’il croise, en particulier les «décideurs», lui semblent «frozen»: pétrifiés. Il est palpable que l’inflation est de retour dans nos économies, que les taux d’intérêts remontent en flèche, que ces mouvements redéfiniront le paysage économique pour les décennies à venir. Mais le mirage de l’argent magique ne s’est pas dissipé: investisseurs et gouvernements comptent toujours, parfois même sans se l’avouer, sur le secours miraculeux des banques centrales en cas de pépin. En 2023, il va falloir faire des choix.

L’hégémonie américaine en question

Le dollar américain est la monnaie dominante depuis 102 ans, soit 8 ans de plus que la moyenne de ses prédécesseurs, dont la livre sterling. N’ayant pas de rival sérieux, il est présomptif de prévoir sa chute. Cependant, l’auteur note que le billet vert est actuellement surévalué d’environ 25%, un signal avant-coureur d’un possible début de déclin. Dans le contexte actuel et à venir, on peut s’avancer à prédire une baisse du pouvoir d’achat des Américains, au profit du reste du monde.

Le reste du monde, justement. Puisque les Etats-Unis dominent depuis des décennies, pourquoi s’aventurer à investir ailleurs? Cette question pourrait amener une réponse plus nuancée à l’avenir. La poursuite infinie d’un modèle vieux maintenant d’un siècle n’est peut-être pas souhaitable, avance l’auteur. Quelques chiffres: les Etats-Unis, 4% de la population mondiale, représentent aujourd’hui moins de la moitié du bénéfice des entreprises, un quart de la production économique mondiale et un cinquième des entreprises cotées en bourse. Un rééquilibrage est-il en vue?

Les Big Techs s’essoufflent, Netflix perd de sa superbe

Il est encore prématuré, pour nos imaginations pétrifiées, de concevoir un monde où les plus grandes et puissantes entreprises du monde ne seraient plus Google, Meta, Amazon, Microsoft, Apple ou même le Chinois Alibaba. Il faut pourtant se livrer à cet effort d’imagination. L’énumération le suggère, la majorité de ces Big Techs sont américaines. Ce modèle montre des signes d’épuisement, indique l’auteur. En 2020, 7 de ces entreprises occupaient le top 10 des plus grandes firmes mondiales, trois l’ont quitté depuis: Meta, qui a également dégringolé hors du top 20, ainsi que Tencent et Alibaba. Celles qui se maintiennent déclinent. Pourquoi ne pas songer qu’à l’avenir, les avancées et les inventions technologiques pourraient servir la santé ou l’industrie, plutôt que la (sur)consommation individuelle?

Ruchir Sharma considère que certaines entreprises sont aussi «victimes» de «l’argent facile», ou d’un afflux d’argent trop important, trop rapide: les plateformes de streaming, Netflix en tête. Ces dernières années, la production de programmes destinés à ces plateformes a augmenté considérablement… au détriment de la qualité. «On passe plus de temps à choisir qu’à regarder», entend-on souvent chez les adeptes de Netflix, qui déplorent aussi la multiplication de navets «maison». Davantage de contraintes budgétaires entraineront-elles mécaniquement une plus grande attention à la qualité des productions? Netflix façonne nos imaginaires, il est donc légitime d’y prêter attention.

Le Japon, la Chine, le Vietnam et l’Inde, trajectoires croisées

L’image de superpuissance du Japon, portée dans les années 1990, a fait place plus récemment à celle d’un pays vieillissant et criblé de dettes. Il est également temps que cela change: Sharma prophétise le grand retour du Japon. Non comme une superpuissance, mais comme une économie qui se porte «bien» ou plus exactement moins mal que les autres. Quelques paramètres: le coût du travail, nous dit l’auteur, est aujourd’hui, ajusté à la productivité, plus bas au Japon qu’en Chine. Les marges bénéficiaires connaissent une hausse régulière. La dette privée du pays est désormais en moyenne plus basse au Japon que dans les autres pays occidentaux: les ménages comme les entreprises voient leur endettement diminuer progressivement depuis dix ans. La démographie japonaise, enfin, ne sera bientôt plus la mauvaise élève des économies développées: la croissance de la population active, négative dans l’archipel depuis 30 ans, l’est aussi, ou le sera sous peu, dans le reste des pays occidentaux.

En Chine, au contraire, la conjonction de la hausse du coût du travail et la réorientation de Pékin vers plus de contrôle étatique sur l’économie fait désormais dire aux entreprises cherchant à délocaliser, «tout sauf la Chine». Les Américains relocalisent ou s’installent au Mexique voisin; mais globalement, les grands gagnants de cette tendance sont le Vietnam, Taiwan, la Corée du Sud et l’Inde. Au Vietnam, par exemple, le salaire moyen d’un ouvrier d’usine est de 300 dollars, la moitié de l’équivalent chinois. Il faudra donc compter avec dans les années à venir, comme l’expliquait récemment Guy Mettan dans nos colonnes.

Temps mort politique: le temps des heureuses surprises?

Pour la première fois depuis le début de ce siècle, aucune élection nationale ne se tient dans les pays du G7; idem pour le G20 à l’exception (notable) de la Turquie. Pas d’élections, souligne Sharma, c’est un peu de répit dans les divisions que sème ordinairement un scrutin avec de tels enjeux, c’est davantage de prévisibilité et de régularité sur les marchés. C’est enfin l’occasion de mettre la lumière sur les économies et pays émergents. 

En Turquie, donc, le président Erdogan fait face à une forte opposition, lui qui, parmi «les chefs d’Etat les moins économiquement orthodoxes» représente un «danger» pour son pays. 

Au Nigéria, pays le plus peuplé et première puissance économique du continent africain, l’élection présidentielle se tient le 25 février prochain. Le pays pourrait élire un réformateur à sa tête: le candidat Peter Obi a promis de faire place nette dans la «kleptocratie» actuelle qui gangrène l’Etat, grand producteur de pétrole et de gaz.

Ce (relatif) temps mort politique sera-t-il l’occasion de divines surprises? Depuis la crise de 2008, l’expression «cygne noir», popularisée par l’auteur Nassim Nicholas Taleb, désigne un événement inattendu qui entraîne une série de conséquences négatives. Bien des exemples nous viennent spontanément en tête. Son pendant positif, c’est l’«oiseau bleu». Quels oiseaux bleus pouvons-nous nous souhaiter? Une paix rapide en Ukraine, bien évidemment, une trêve dans la «guerre froide» Etats-Unis-Chine… Tout autre événement que, par définition, on ne saurait prévoir, qui constituerait un «choc positif» pour les économies, certes, mais surtout un soulagement et un nouvel élan pour nous tous.


Lire l’article original.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Etats-Unis: le retour des anciennes doctrines impériales

Les déclarations tonitruantes suivies de reculades de Donald Trump ne sont pas des caprices, mais la stratégique, calculée, de la nouvelle politique étrangère américaine: pression sur les alliés, sanctions économiques, mise au pas des récalcitrants sud-américains.

Guy Mettan
Politique

Bonnes vacances à Malmö!

Les choix stratégiques des Chemins de fer fédéraux interrogent, entre une coûteuse liaison Zurich–Malmö, un désintérêt persistant pour la Suisse romande et des liaisons avec la France au point mort. Sans parler de la commande de nouvelles rames à l’étranger plutôt qu’en Suisse!

Jacques Pilet
Politique

Les BRICS futures victimes du syndrome de Babel?

Portés par le recul de l’hégémonie occidentale, les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud — s’imposent comme un pôle incontournable du nouvel ordre mondial. Leur montée en puissance attire un nombre croissant de candidats, portés par la dédollarisation. Mais derrière l’élan géopolitique, l’hétérogénéité du groupe révèle des (...)

Florian Demandols
Politique

Quand la religion et le messianisme dictent la géopolitique

De Washington à Jérusalem, de Téhéran à Moscou, les dirigeants invoquent Dieu pour légitimer leurs choix stratégiques et leurs guerres. L’eschatologie, jadis reléguée aux textes sacrés ou aux marges du mysticisme, s’impose aujourd’hui comme une clé de lecture du pouvoir mondial. Le messianisme politique n’est plus une survivance du passé: (...)

Hicheme Lehmici
Culture

La France et ses jeunes: je t’aime… moi non plus

Le désir d’expatriation des jeunes Français atteint un niveau record, révélant un malaise profond. Entre désenchantement politique, difficultés économiques et quête de sens, cette génération se détourne d’un modèle national qui ne la représente plus. Chronique d’un désamour générationnel qui sent le camembert rassis et la révolution en stories.

Sarah Martin
Sciences & TechnologiesAccès libre

Les réseaux technologiques autoritaires

Une équipe de chercheurs met en lumière l’émergence d’un réseau technologique autoritaire dominé par des entreprises américaines comme Palantir. À travers une carte interactive, ils dévoilent les liens économiques et politiques qui menacent la souveraineté numérique de l’Europe.

Markus Reuter
Economie

Notre liberté rend la monnaie, pas les CFF

Coffee and snacks «are watching you»! Depuis le 6 octobre et jusqu’au 13 décembre, les restaurants des CFF, sur la ligne Bienne – Bâle, n’acceptent plus les espèces, mais uniquement les cartes ou les paiements mobiles. Le motif? Optimiser les procédures, réduire les files, améliorer l’hygiène et renforcer la sécurité. S’agit-il d’un (...)

Lena Rey
Politique

Un nouveau mur divise l’Allemagne, celui de la discorde

Quand ce pays, le plus peuplé d’Europe, est en crise (trois ans de récession), cela concerne tout son voisinage. Lorsque ses dirigeants envisagent d’entrer en guerre, il y a de quoi s’inquiéter. Et voilà qu’en plus, le président allemand parle de la démocratie de telle façon qu’il déchaîne un fiévreux (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Narcotrafic, le fléau des Amériques. Et le nôtre?

L’Amérique latine paie le prix fort du commerce mondial de la drogue, alimenté par la demande occidentale. Pendant que la répression s’enlise, les mafias prospèrent, et le déni persiste jusque dans nos rues. Mais faire face à ce fléau en bombardant des bateaux au large du Venezuela, comme l’a ordonné (...)

Jacques Pilet
Economie

Où mène la concentration folle de la richesse?

On peut être atterré ou amusé par les débats enflammés du Parlement français autour du budget. Il tarde à empoigner le chapitre des économies si nécessaires mais multiplie les taxes de toutes sortes. Faire payer les riches! Le choc des idéologies. Et si l’on considérait froidement, avec recul, les effets (...)

Jacques Pilet
Philosophie

USA–Chine: des humanismes complémentaires

Le 12 août 2025, le département d’Etat américain a publié son rapport sur les pratiques en matière de droits humains en Chine pour l’année 2024. Cinq jours plus tard, le 17 août, le Bureau d’information du Conseil d’Etat de la République populaire de Chine publiait à son tour son propre (...)

Louis Defèche
Culture

Stands de spritz et pasta instagrammable: l’Italie menacée de «foodification»

L’explosion du tourisme gourmand dans la Péninsule finira-t-elle par la transformer en un vaste «pastaland», dispensateur d’une «cucina» de pacotille? La question fait la une du «New York Times». Le débat le plus vif porte sur l’envahissement des trottoirs et des places par les terrasses de bistrots. Mais il n’y (...)

Anna Lietti
Politique

Les penchants suicidaires de l’Europe

Si l’escalade des sanctions contre la Russie affaiblit moins celle-ci que prévu, elle impacte les Européens. Des dégâts rarement évoqués. Quant à la course aux armements, elle est non seulement improductive – sauf pour les lobbies du secteur – mais elle se fait au détriment des citoyens. Dans d’autres domaines (...)

Jacques Pilet
Politique

«Cette Amérique qui nous déteste»

Tel est le titre du livre de Richard Werly qui vient de paraître. Les Suisses n’en reviennent pas des coups de boutoir que Trump leur a réservés. Eux qui se sentent si proches, à tant d’égards, de ces Etats-Unis chéris, dressés face à une Union européenne honnie. Pour comprendre l’ampleur (...)

Jacques Pilet
Politique

Israël-Iran: prélude d’une guerre sans retour?

Du bluff diplomatique à la guerre totale, Israël a franchi un seuil historique en attaquant l’Iran. En douze jours d’affrontements d’une intensité inédite, où la maîtrise technologique iranienne a pris de court les observateurs, le Moyen-Orient a basculé dans une ère nouvelle: celle des guerres hybrides, électroniques et globales. Ce (...)

Hicheme Lehmici
Politique

La fin de l’idéologie occidentale du développement

Le démantèlement de l’USAID par Donald Trump marque plus qu’un tournant administratif: il révèle l’épuisement d’une idée. Celle d’un développement conçu par et pour l’Occident. Après des décennies d’aides infructueuses et de dépendance, le Sud s’émancipe, tandis que la Chine impose son modèle: pragmatique, souverain et efficace.

Guy Mettan