Du côté de chez Jean

Publié le 6 novembre 2019

Jean d’Ormesson au Salon du Livre de Paris, 2010. – © Georges Seguin, CC BY-SA 3.0

Reconnaissons-le, il nous manque. Je veux parler de Jean d’Ormesson, disparu il y a bientôt deux ans. Bien sûr il y a les romans, Au plaisir de Dieu, Le Vent du soir, La Douane de mer. Et tant d’autres, aimés, relus. Mais d’Ormesson était plus qu’un auteur. Il incarnait une certaine France de toujours, celle que l’on aime. Esprit brillant, solaire, il se rangeait du côté des écrivains du bonheur, sans pour autant nier le tragique de l’existence. Une fête en larmes est le titre de ses livres qui certainement le dépeint le mieux. Et ce n’est pas Jean-Marie Rouart qui me contredira. Lui qui a publié il y a quelques mois, il fallait bien ça, un Dictionnaire amoureux de Jean d’Ormesson.

Jean-Marie Rouart a beaucoup fréquenté son aîné de presque 20 ans, qui, au début de sa carrière d’écrivain, l’a constamment encouragé. De lui, il a énormément appris, tout simplement, dit-il, «en le regardant vivre.» Jean d’Ormesson représenta «sur bien des points un incomparable alter ego, un modèle, une image fraternelle.» Et c’est bien d’amitié entre eux qu’il s’agit, mais qui n’alla pas sans brouilles. Notamment lorsque Rouart démissionna du Figaro, lors du rachat du quotidien par Robert Hersant, s’opposant résolument à celui qui le dirigeait alors. S’en suivirent 3 ans de silence, vite oubliés. Et bien plus tard, c’est d’Ormesson qui remettra son épée d’académicien à Rouart. Cérémonie où il excellait, y montrant, écrit-il, «autant d’esprit que dans ses éloges funèbres, eux aussi exceptionnels.» 

Par maints aspects, Rouart ressemble beaucoup à d’Ormesson. Comme lui, il a énormément publié, énormément écrit, et d’esprit, comme lui encore, il en a à revendre. Sa réponse au discours de réception sous la coupole de Valéry Giscard d’Estaing est un chef d’œuvre de causticité et d’irrévérence ironique. Et pas plus qu’il n’y ménage alors le nouvel élu, il n’épargne ici son modèle. Le portrait de d’Ormesson qui émerge au fil des pages de ce Dictionnaire amoureux est constamment mordant, enjoué, admiratif, mêlant irrespect et affection. 

Ainsi, parmi les entrées – nombreuses – de l’ouvrage, on en trouve tout naturellement une intitulée «Dieu»: «Avec sa principale créature, c’est-à-dire lui-même, Dieu est certainement le principal personnage de son œuvre.» Autre notice «Moi (lui)»...

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