Dieu n’est pas mort: il est juste très occupé!

Publié le 30 décembre 2022

Manifestation en soutien au mouvement « Black Lives Matter » à Paris le 6 juin 2020. – © Bastian Greshake Tzovaras – CC BY-SA 2.0

André Malraux, souvent cité à tort, n’a jamais dit que «le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas». C’eut été une trahison de sa pensée. Il revendiquait par contre cette variante: «le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas».

Spirituel? Notre XXIème siècle l’est manifestement. Pas nécessairement dans sa définition première («qui est de la nature de l’esprit ou qui relève du domaine de la pensée»), mais dans son autre sens: «qui amuse et fait rire». Car l’émergence des nouvelles religions «woke» prête à rire. Malheureusement un peu jaune et souvent en cachette, car les grand-prêtres de ces nouvelles croyances donnent raison à l’humoriste Pierre Desproges qui disait naguère que l’on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde.

A ses débuts, Dieu avait une furieuse tendance à punir ceux qui lui désobéissaient. Souvenez-vous l’histoire de la tour de Babel: peu après le Déluge (une sacrée punition!), alors qu’ils parlaient tous la même langue, les hommes voulurent bâtir une tour si haute qu’elle devait toucher le ciel. Pour les punir de cette impudence, Dieu a brouillé leur langue, les rendant confus car ils ne se comprenaient plus et la construction a été stoppée. Ces jours, Dieu – qui semble avoir développé un certain sens de l’humour – nous offre la saison 2 de la tour de Babel.

L’Occident chrétien perd ses valeurs? Les temples et églises sont désertés? «Punissons donc les hommes» s’est dit Dieu (omettant – car de la vieille école – d’évoquer spécifiquement les femmes, les LGBTQQIAAP et les iel.le.s) «et rendons-les confus, une fois de plus». Aussitôt dit, aussitôt fait et c’est ainsi qu’est né le wokisme, enfant spirituel du mouvement «Black Lives Matter».

Un réveil pénible

Wokisme? Dans la langue afro-américaine (sic) cela signifie être réveillé, conscient des injustices subies par les minorités, qu’elles soient sexuelles, religieuses, ethniques ou autres. Les «woke» sont donc les personnes éveillées, notamment à la lutte contre le racisme, mais par extension, à celle contre le sexisme, le patriarcat, la cigarette, la grossophobie, la transphobie, la transnistrie, l’ornithophobie, l’antispécisme et j’en passe!

Ces nouvelles religions sont au nombre de trois. Chacune a ses dogmes fondateurs, ses textes sacrés et son propre langage. Toutes trois ont leurs grands prêtres, prêtresses, prêtiels.les. etc. et leur catéchisme auquel il convient d’adhérer sans faille. Elles se nomment «Black Lives Matter», «Me too» et «Sauvons la Planète».

Impossible de ne pas en avoir entendu parler. Entre les cas de «mains aux fesses» (même si elles datent souvent de plusieurs décennies), ceux de harcèlement scolaire ou moral, elles nous imposent un ordre nouveau et veulent nous contraindre à non seulement parler «politiquement correct», mais à penser «juste». Et comme toutes les religions institutionnalisées, elles sont dogmatiques et intolérantes.

Je suis un cisgenre heureux et déconstruit!

Un petit florilège (authentique) pour illustrer mon propos: Blanche Neige et les Sept Nains n’existe plus. Le nouveau titre, vu par la bien-pensance progressiste et suite au contact que Disney a eu avec l’organisation des «Little People of America» est «Blanche Neige et les Sept Créatures Magiques».

Dans le même ordre d’idée, le film Autant en emporte le vent, datant de 1939, a été retiré de la plateforme de streaming HBO et sera prochainement remis en ligne, avec un message d’avertissement sur les causes et conséquences de l’esclavage aux Etats-Unis. C’est ce que l’on appelle le «présentisme»: les œuvres et actions du passé sont jugées à l’aune des valeurs d’aujourd’hui.

Quant aux marines américains, suite à une étude commandée par le Corps des Marines (un pavé de 738 pages!), il leur désormais interdit de s’adresser à leur supérieurs avec des «yes, sir » ou «yes mam» pour éviter d’offenser celles et ceux qui ne s’identifient pas à un de ces deux sexes. Dieu que la guerre sera jolie!

L’Université de Stanford, une des plus réputées des Etats-Unis, vient de publier une longue liste de termes qu’il convient de ne plus utiliser. Elle est divisée en sections: âgisme, colonialisme, appropriation culturelle, sexospécifisme, langage vague, racisme, violence, etc. Un nouveau dictionnaire «woke». Exemples: fini les «boîtes noires» qui, selon Stanford donnent une connotation négative à la couleur noire. On parle dorénavant d’«enregistreur de vol». Quant aux  «Latinos», un terme pouvant être ressenti comme blessant, ils deviennent des «Latinx».

Grâce au CRAN (Conseil représentatif des associations noires de France), l’auteur réel et souvent anonyme d’un texte signé d’une autre personne, bien souvent célèbre n’est plus un «nègre», mais un «prête-plume».

La Suisse n’est évidemment pas épargnée par ce phénomène. Ainsi, il y a quelques mois, un groupe de reggae donnait un concert dans un lieu alternatif à Berne. Le groupe y jouait de la musique jamaïcaine, chantait en dialecte alémanique et portait des vêtements africains et des dreadlocks. Plusieurs personnes ayant ressenti un malaise face à cette «appropriation culturelle» (sic), le concert a été interrompu et la direction de la salle s’est excusée auprès des personnes chez qui ce concert a provoqué des sentiments négatifs.

Couvrez cette pénis que je ne saurais voir

Comme l’explique Elsa Magueritat, évoquant le livre de Jean-François Braunstein La religion woke: «par paresse intellectuelle, les universitaires adoptent aveuglément des concepts façonnés pour ne pas « offenser » les victimes de toutes les discriminations qu’ils étudient. Ainsi, les hommes peuvent être enceints et les femmes dotées de pénis, puisqu’il convient de ne surtout pas froisser les personnes transgenres». 

Dans cet ouvrage, M. Braunstein, professeur de philosophie contemporaine, évoque la vague de folie et d’intolérance qui envahit le monde occidental. Et Mme Margueritat de poursuivre: «Si le wokisme prie pour l’avènement d’une société plus égalitaire et bienveillante, son application concrète tend davantage à ressembler à une Inquisition. D’ailleur, au sein de l’église woke, il est courant de dénoncer les impies, et d’excommunier quiconque n’obéit pas aux préceptes du wokisme». 

Certes, tout n’est pas faux dans ce qu’affirment ces nouvelles religions et c’est ce qui rend le débat difficile. Il est vrai que pris dans son sens large, le racisme, qu’il soit dirigé contre une population, une couleur de peau ou une ethnie est bien vivant.

Exact aussi que les femmes ont été et sont encore victimes de viols, d’agressions et de harcèlement, trop souvent banalisés. Qu’il y a encore des dizaines de millions d’esclaves dans le monde, même si l’appellation a changé et que nombre d’Etats et d’entreprises massacrent allègrement la seule planète que nous (êtres humains, animaux et plantes) avons, souvent par cupidité, parfois par ignorance. 

Peut-être que notre monde occidental a besoin des excès actuels pour compenser ceux du passé et qu’il faudra du temps pour que l’on puisse retrouver un juste milieu. N’oublions toutefois pas que ces nouvelles religions n’obsèdent que quelque 10% de la population mondiale. Les autres 90% continuent à pratiquer l’esclavage, la top pollution et les discriminations diverses dans la joie et la bonne humeur.

Pour ma part, je n’écoute plus de negro spirituals (trop risqué), fume en cachette, ai banni les contes de Grimm de ma bibliothèque, ne traverse les rues que sur des passagères cloutées et ne mange que des salades mortes de vieillesse.


Etes-vous woke? Quelques tests amusants pour le savoir:

https://www.philomag.com/articles/test-etes-vous-woke-sans-le-savoir

https://www.nouvelobs.com/opinions/20220722.OBS61218/test-quel-le-woke-etes-vous.html#modal-msg

https://www.magtoo.fr/etes-vous-woke/

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