La guerre de la grammaire aura-t-elle lieu?

Publié le 8 novembre 2017
Non, le masculin n’a plus à l’emporter, au pluriel, sur le féminin. Des profs français décident qu’ils n’enseigneront plus cette règle et appellent leur confrères à la sécession. C’est un épisode particulièrement piquant du débat sur le langage épicène. Eléments de réflexion.

La guerre de la grammaire aura-t-elle lieu? 314 profs français optent pour l’action directe: «Nous n’enseignerons plus que «le masculin l’emporte sur le féminin» affirment-ils dans un manifeste publié hier sur Slate.fr.

Concrètement, ils dispenseront un enseignement dissident des règles d’accord de l’adjectif ou du participe passé au pluriel. Leurs élèves pourront écrire «Le pays et les villes étrangères» (et non pas «étrangers») ou «Les garçons et les filles sont instruites» (et non pas «instruits»), sans que cela soit compté comme une faute. Les signataires demandent à leurs confrères de faire preuve de la même tolérance, à l’Education nationale de prendre acte et aux professionnels de l’écriture de suivre le mouvement.

Que faut-il en penser? Voici de quoi nourrir la réflexion.

Les bonnes raisons de poubelliser la primauté du masculin au pluriel

Une règle récente et idéologiquement marquée.
L’argument principal avancé par les profs séditieux repose sur des faits historiques non contestés: la règle qui consiste à accorder au masculin un groupe de substantifs des deux genres n’est entrée dans la langue française qu’au XVIIe siècle. Dans les textes antérieurs, chez Ronsard ou Corneille par exemple, on trouve souvent l’accord de proximité, qui consiste à accorder au substantif le plus proche: «Afin que ta cause ou la mienne soit connue de tous» (Ronsard). Souvent, pas toujours: du temps de Ronsard, on avait le choix. Et pas seulement en matière d’accord: avant le grand corsetage survenu au XVIIe siècle, le français jouissait d’une grande liberté grammaticale et orthographique.Le tour de vis est venu d’en haut, avec un message clair: le roi fait désormais régner l’ordre sur la langue. Une des règles verrouillées fut justement celle de l’accord, avec un argumentaire i...

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