Réduire pesticides et engrais chimiques en accompagnant les agriculteurs

Publié le 30 mai 2025
Pour que les pratiques agricoles évoluent, il faut que les agriculteurs y trouvent leur intérêt et soient accompagnés dans ces changements. Certains pays ont ainsi réussi à réduire durablement l’utilisation de pesticides et d'engrais chimiques. Voici comment.
Raja Chakir, Inrae; Armand Favrot, Inrae; Hajar Guejjoud, Inrae; Thierry Brunelle, Cirad et Tom Saade, Inrae

En France, en Allemagne, aux Pays-Bas, c’est une petite musique qui monte: celle des agriculteurs assaillis sous les contrôles et les réglementations environnementales qui menacent la viabilité de leurs exploitations. Une petite musique devenue un cri de colère lors de manifestations un peu partout en Europe, en 2024, et qui a permis de faire retirer en France, par exemple, la version renforcée du plan Écophyto.

L’agriculture se retrouve ainsi à jongler entre plusieurs objectifs: nourrir une population mondiale croissante, assurer un revenu décent aux agriculteurs, tout en protégeant la santé humaine et l’environnement pour la génération actuelle mais aussi pour les générations futures.

Un exemple frappant est celui des intrants chimiques, notamment les engrais synthétiques et les pesticides. Ces derniers répondent à des besoins essentiels: nourrir les plantes et protéger les cultures contre les maladies et les ravageurs. Mais l’utilisation excessive de ces intrants a des effets néfastes sur la biodiversité, sur la qualité des sols, des eaux et de l’air et sur la santé publique.

Par ailleurs, plus les engrais et pesticides chimiques sont utilisés, moins ils se révèlent efficaces sur le long terme, car les sols se dégradent, et les organismes pathogènes développent des résistances, créant ainsi une spirale de dépendance aux intrants chimiques. C’est pourquoi, il devient nécessaire de réduire leur utilisation.

La bonne nouvelle, c’est que de nombreuses alternatives existent pour réduire leur usage sans pour autant compromettre la production agricole. Cependant, ces pratiques sont encore peu utilisées, car les agriculteurs ne sont que très peu encouragés à le faire sur le plan économique et parce que ces alternatives sont parfois plus difficiles à mettre en œuvre que les solutions chimiques. Mais des pays montrent aujourd’hui que, en accompagnant les agriculteurs, des changements rapides de paradigme peuvent avoir lieu.

Décharger les agriculteurs d’un fardeau

De fait, réduire l’utilisation des intrants chimiques ne peut pas reposer uniquement sur les agriculteurs. Bien que leur rôle soit central, leurs choix en matière d’intrants sont souvent contraints par des obligations contractuelles, économiques et réglementaires.

La transition vers une agriculture plus durable ne peut donc reposer seulement sur leurs épaules. C’est en réalité l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire, industrie agrochimique, distributeurs, consommateurs et législateurs qui doit être mobilisé. Les politiques publiques ont un rôle clé à jouer pour inciter les fabricants d’intrants agricoles à orienter leur production vers des alternatives moins nocives.

De leur côté, les consommateurs peuvent peser sur les pratiques agricoles en privilégiant des produits moins dépendants aux intrants chimiques, à condition toutefois d’y avoir accès et d’être correctement informés. Seule une approche systémique, répartissant équitablement les responsabilités, permettra d’éviter que le poids de la transition ne repose sur des agriculteurs souvent soumis à de fortes contraintes économiques.

Pour cela, il existe plusieurs types de mesures dont certaines ont déjà été testées sans grand succès, comme l’instauration de taxes ou de subventions. Mais pour être efficaces, elles doivent être mises en œuvre de façon à ce que chaque acteur ait la possibilité de modifier ses habitudes et ses pratiques et puisse contribuer à une agriculture durable. Allier incitations économiques, pédagogie et, lorsque la santé humaine ou environnementale est en jeu, interdictions, constitue une approche prometteuse pour encourager chacun à réfléchir à ses choix et à repenser son rapport aux intrants chimiques.

Les initiatives danoises et suisses

L’implication des différents acteurs a eu un impact significatif dans plusieurs pays, notamment européens, qui ont réussi à concilier sécurité alimentaire et réduction de la pollution agricole.

Par exemple, le Danemark, souvent cité comme modèle de réussite, a réduit de 50 % en trente ans (1980-2012) ses excédents d’azote chimiques et organiques néfastes pour les sols et la biodiversité et imputables à la surutilisation d’engrais. Pour cela, le pays a associé des mesures allant de l’action volontaire à une réglementation stricte en impliquant à la fois les agriculteurs et les producteurs d’intrants agricoles.

Un point clé a été de combiner les mesures de façon à rendre la nouvelle réglementation attractive économiquement et à en limiter le coût financier pour les acteurs concernés. Ainsi, la mise en place d’une réglementation interdisant les fortes concentrations de bétail, combinée à la promotion d’une alimentation animale améliorée et à l’instauration de quotas sur les taux de fertilisation, s’est révélée particulièrement efficace pour réduire les excédents d’azote.

Une solution serait ainsi d’inciter le secteur de production d’intrants chimiques, qui a la particularité d’être très concentré et donc plus facile à réglementer, à offrir des solutions techniques meilleur marché aux agriculteurs.

De son côté, la Suisse a lancé un label «sans pesticides» pour le pain, avec 50 % de la production de blé désormais certifiée, soutenue par des paiements directs et des primes garantis par l’Etat, encourageant ainsi les agriculteurs à réduire leur utilisation de produits chimiques.

Ici, l’engagement des consommateurs par un système de label et des prix compétitifs a été la clé. Bien que la production domestique ne représente qu’environ un quart de la consommation de blé en 2022, cette approche intermédiaire entre agriculture conventionnelle et biologique montre qu’il est possible de concilier faisabilité pour les agriculteurs et objectifs de durabilité environnementale. Ces labels constituent ainsi une autre solution intéressante pour offrir des débouchés aux produits à bas intrants, car les études montrent que les consommateurs ont une préférence pour ce genre de produits.

Cependant, pour que la réussite des politiques de réduction d’intrants chimiques soit complète, il est important de ne pas réfléchir qu’à une échelle nationale, sans quoi nous n’obtiendrons que des déplacements d’usages d’intrants chimiques entre pays, plutôt qu’une réduction nette à l’échelle mondiale.

Les accords commerciaux internationaux, tels que l’accord de libre-échange actuellement discuté avec les pays du Mercosur, doivent constituer des vecteurs pour garantir que les efforts réalisés par un pays ne soient réduits à néant par un surcroît de production dans d’autres pays où les mêmes réglementations ne s’appliqueraient pas.

À un niveau plus global, l’Union européenne, à travers sa stratégie «De la ferme à la fourchette» et sa politique agricole commune (PAC), vise à réduire l’usage des pesticides de 50 % et des engrais de 20 % d’ici 2030, tout en soutenant financièrement des pratiques, comme l’agriculture de précision et l’utilisation d’engrais organiques. Cette stratégie cherche également à promouvoir des chaînes d’approvisionnement alimentaire durables et à renforcer la résilience du secteur agricole face aux défis climatiques.

D’autres initiatives comme le plan Ecophyto en France et l’agriculture naturelle en Andhra Pradesh (Inde) illustrent des stratégies concrètes qui démontrent que durabilité et productivité peuvent coexister grâce à des alternatives écologiques, des incitations adaptées et un accompagnement technique pour les agriculteurs. Cependant, ces initiatives n’ont pas pu aboutir entièrement, rencontrant des obstacles qui ont freiné leur pleine réalisation.

Enfin, il est aussi essentiel de penser aux pays en développement dans ces efforts. En adaptant les solutions à leurs besoins spécifiques, nous pourrons soutenir des pratiques agricoles durables tout en tenant compte des réalités économiques. Une coopération internationale sera ainsi nécessaire pour partager des idées et mettre en place des solutions efficaces à l’échelle mondiale.


La première version de cet article a été rédigée dans le cadre d’un atelier The Conversation, animé par Thibault Lieurade et organisé dans le cadre des Young Researcher Days du projet Cland. Nous remercions chaleureusement Nicolas Guilpart et David Makowski pour leur relecture attentive et leurs commentaires constructifs. Nos remerciements vont également à Raia Massad, qui a coanimé l’atelier, pour son accompagnement précieux.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

The Conversation

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Non, chère Migros, on ne te dit pas merci!

L’enseigne suisse a annoncé qu’un millier de ses produits verront leur prix baisser en 2025. Bonne nouvelle, mais pourquoi maintenant seulement?

Jacques Pilet
Accès libre

Mercosur: colère en France et sourire en Suisse

Les paysans français furieux bloquent des routes. Et les partis de tous bords applaudissent. Jusqu’à Emmanuel Macron qui affirme que l’accord commercial entre l’Europe et plusieurs pays sud-américains est inacceptable. Etonnant quand on regarde de plus près. Devant le sprint final de cette négociation qui dure depuis 1999, la Suisse (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Le défi de la réglementation de la pêche en mer

Le secteur est actuellement régi par des codes dignes du Far West. Puisque les poissons des océans du monde entier appartiennent à tout le monde, les Etats tentent encore de s’accaparer ce qui peut l’être à coups de milliards de subventions à l’industrie de la pêche. Comment y mettre bon (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Retour en Moldavie

Je reviens d’un voyage à vélo en Moldavie, pays aimé que j’avais visité la dernière fois en 2015. Quels changements en neuf ans! Les routes étroites et mal revêtues ont fait place à de larges semi-autoroutes à quatre voies; dans la banlieue de la capitale Chisinau, des centres commerciaux et (...)

Roland Sauter

«La Capricieuse», histoire d’une reconversion agricole

Confrontés à la concurrence implacable des grandes surfaces, aux nombreuses contraintes ainsi qu’aux investissements de plus en plus lourds à assumer, les agriculteurs doivent relever bien des défis pour se projeter dans l’avenir. Pour en savoir plus, nous sommes allés rencontrer sur le terrain Nicolas Crottaz, éleveur de chèvres et (...)

Stephan Engler
Accès libre

La taxe britannique sur les boissons sucrées est efficace

Depuis 2018, la Grande-Bretagne applique une taxe sur les boissons sucrées. Des chercheurs de l’Université de Cambridge ont étudié comment celle-ci avait influencé la consommation de sucre des Britanniques. Les recherches concluent à l’efficacité de cette mesure: après une année d’application seulement, la consommation de sucre avait sensiblement diminué.

Bon pour la tête
Accès libre

Le dumping salarial de Nestlé au Mexique, paradis du café

Les producteurs de café mexicains sont depuis plusieurs mois en guerre ouverte contre leur principal acheteur, le groupe Nestlé. En cause, des prix d’achats réputés trop bas, des exigences de qualité malhonnêtes et de fausses promesses de développement qui peuvent se retourner contre les agriculteurs et leurs familles. L’ONG Public (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Le véganisme, idiot utile de la société de consommation?

Si le capitalisme s’accommode bien du véganisme, c’est parce que celui-ci s’affirme comme un style de vie particulier participant à la construction identitaire et relevant également d’un courant, voire parfois d’une mode. Le véganisme comporte de ce fait une dimension ontologique importante, «végane» est un attribut du sujet, on «est» (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Les Philippines interdisent le riz ETH génétiquement modifié

Le riz doré, variété génétiquement modifiée pour pallier les carences en vitamine A, fréquentes chez les populations souffrant de malnutrition, devrait changer la donne. C’est en tout cas l’ambition de ses créateurs, à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETH). Seulement, la justice philippine vient de proscrire la culture de ce (...)

Bon pour la tête

Sri Lanka: une autre approche de l’agriculture

En Europe ainsi qu’en Suisse les agriculteurs font part de leurs difficultés et de leurs mécontentements. Mais qu’en est-il ailleurs dans d’autres pays? Reportage au Sri Lanka, pour un autre regard.

Stephan Engler
Accès libre

(Re)localisation au pays du Reblochon

Sur les écrans depuis une semaine, le documentaire français «La Ferme des Bertrand» nous rapproche d’un monde rural trop ignoré. Son grand atout est de travailler sur trois temps, retraçant ainsi cinquante ans d’évolutions dans une ferme d’élevage de Haute-Savoie où – surprise – tout ne va pas si mal. (...)

Norbert Creutz

L’appel des paysans suisses

Voilà, on ne les entend presque plus, les paysans. L’agitation semble finie. Est-ce parce que leurs revendications ont été entendues? Non, ce sont juste les contre-feux et les demi-mesures des appareils politiques et syndicaux qui ont montré leurs effets et ont réussi à calmer la grogne.

Boas Erez

Le couscous calme la douleur de Jacques-André qui retrouve de l’assurance

Les tragi-comiques péripéties de la famille Schinken Pochon ///// Une conseillère fédérale socialiste est contre la 13ème rente AVS, un conseiller aux Etats, également du PS, est pour… Jacques-André se sent tiraillé entre plusieurs tendances politiques. Il ne sait pas non plus que penser de la révolte des paysans français (...)

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

L’Allemagne en ébullition… et silence radio chez nous!

Ce lundi 8 janvier, les paysans allemands ont paralysé le pays, rejoints par les cheminots. Grèves d’une semaine annoncées. Au même moment, le nouveau parti lancé par la députée Sarah Wagenknecht a vu le jour. Il entend secouer le paysage politique, les sondages le mettent déjà à la hauteur du (...)

Jacques Pilet

Les espèces envahissantes préoccupent peu Prune

Les tragi-comiques péripéties de la famille Schinken Pochon ///// Son nouvel amant agriculteur lui donne beaucoup de plaisir, même si parfois les moustiques sont de la partie. Elle aimerait cependant bien qu’il devienne végane mais n’insiste pas trop. Serait-elle en train de mûrir? Ce n’est pas ce qu’indiquent ses idées (...)

Patrick Morier-Genoud

Ruée sur les terres fertiles d’Ukraine

Après un premier article paru sur Infosperber.ch sur les achats massifs de domaine agricoles ukrainiens par de grands groupes occidentaux, la «NZZ am Sonntag» emboîte le pas. Sur une page entière, elle décrit un processus peu connu d’accaparement des terres qui éclaire une dimension du conflit.

Antoine Thibaut