Céline et les pamphlets antisémites: l’impossible réédition

Publié le 16 janvier 2018
Les Français, et les Suisses, et les Belges, l’ensemble du monde francophone que cela intéresse, n’aura pas l’occasion de se procurer les pamphlets antisémites de Céline dans une réédition de Gallimard. Le directeur de la prestigieuse maison, Antoine Gallimard, a annoncé jeudi dernier dans un communiqué la suspension «sine die» de cette entreprise éditoriale fortement contestée. «Il fallait calmer le jeu, il a eu raison», dit sous couvert d’anonymat un proche de ce projet de réimpression de trois écrits, auquel l’auteur, puis sa veuve, toujours vivante, âgée de 105 ans, s’étaient opposés, cette dernière ayant changé d’avis il y a quelque temps et par là même permis d’envisager la redécouverte, avec appareil critique de circonstance, de «Bagatelles pour un massacre» (1937), «L’Ecole des cadavres» (1938) et «Les Beaux Draps» (1941).

Justement, s’agissait-il de redécouvrir, terme positivement connoté, une part abjecte d’un immense écrivain, totalement culte en ce qu’il a inventé une langue littéraire d’une modernité quasi miraculeuse, mise au service d’une exploration sans concessions des tréfonds de l’âme humaine? «Céline, c’est un bloc. Il est important de connaître un auteur intimement, le bon côté, comme le mauvais côté de son œuvre», plaide notre source.De son côté, l’avocat Serge Klarsfeld, célèbre pour sa traque des criminels nazis cachés après la Seconde Guerre mondiale, estimait «dangereux» les trois textes en question. «La France n’est pas immunisée contre l’antisémitisme», déclarait-il le 9 janvier au micro de RTL, citant les exemples de la tuerie contre les enfants juifs de Toulouse, l’assassinat d’Ilan Halimi ou encore l’attaque de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes il y a trois ans. «Céline a poussé au meurtre», poursuivait-il avant de conclure: «L’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit.» Le 10 janvier, le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) avait à son tour dit sa ferme opposition à la réédition de «brûlots antisémites», vus comme une «insupportable incitation à la haine antisémite et raciste». Depuis plusieurs jours, Gallimard recevait des messages d’injures de personnes se disant révulsées à l’idée d’une reparution des pamphlets. Comme souvent en France pour les choses de l’esprit, qu’elles soient lumineuses ou sombres, l’affaire est remontée jusqu’au gouvernement – lequel, en 2011, sous Nicolas Sarkozy, Frédéric Mitterrand étant ministre de la Culture, avait exclu Louis-Ferdinand Céline de la liste des célébrations nationales, cinquante ans après la mort de l’auteur de Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit. Le 19 décembre dernier...

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