Cate Blanchett contre les offensés

Publié le 27 janvier 2023
La semaine dernière, un journaliste du «Guardian» s’interrogeait au sujet de «Tár», le film de Todd Field: pourquoi, malgré les multiples récompenses reçues par son interprète principale, la remarquable Cate Blanchett, le film ne semblait-il pas attirer des foules de spectateurs au Royaume-Uni? Le caractère antipathique de Lydia Tár, la protagoniste, est-il un élément de réponse?

J’avoue que ce dernier point s’est révélé pour moi une excellente raison d’aller voir ce film. L’autre raison étant… Cate Blanchett. La dernière fois que je l’ai vue jouer, c’était sur la scène du Royal National Theatre à Londres dans une pièce extrêmement décevante, cherchant inutilement à choquer le bourgeois. Je me souviens avoir eu l’impression que Blanchett, comédienne avant d’être actrice de cinéma, elle-même directrice de théâtre en Australie, savait pertinemment que quelque chose n’allait pas dans cette entreprise, mais qu’elle jouerait cette pièce malgré tout avec l’engagement absolu dont seuls sont capables les artistes qui assument leurs choix jusqu’au bout. La dernière image que je garde d’elle est celle de sa silhouette menue simplement vêtue d’une nuisette, harnachée d’un strap-on.
Mais revenons à Tár: qu’en est-il donc du personnage-titre du film qui semble si dérangeant aux yeux des critiques et d’un certain public? Chef d’orchestre lesbienne et star internationale, Lydia Tár est brillante, intransigeante, séductrice sans être charmante, et ne s’embarrasse pas avec les sensibilités de son entourage. Elle fait, en outre, peu cas de son genre. Au début du film, lors d’une conférence, un journaliste l’interroge sur la place des femmes dans le milieu des chefs d’orchestre. Son visage exprime alors un agacement très professionnellement dissimulé, mais tout de même bien présent. Il lui tarde de revenir à ce qui lui semble essentiel: en l’occurence, l’enseignement de son maître Leonard Bernstein et son travail sur la cinquième symphonie de Mahler qu’elle s’apprête à diriger à Berlin.
Une autre scène abondamment commentée par les critiques (et qualifiée sans détours de «détestable»…) concerne la leçon à la Juilliard School de New York: Tár questionne vertement l...

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