Bienvenue en Europe!

Publié le 16 décembre 2017

© Magali Girardin

C’est le croisement de deux mondes. Un face-à-face dans l’indifférence d’un soir d’automne à Catane (Sicile). Celui d’un bateau des garde-côtes italiens, chargé de toute la détresse du monde et celui d’une femme, désinvolte, à la recherche de son image perdue...

Elle est là! Dans la grisaille, une ombrelle dans une main, la perche télescopique de son smartphone dans l’autre, tournant le dos à cette arche surpeuplée, dont elle ignore l’existence.

Le quai derrière elle est fermé. Le navire a été mis en quarantaine. A bord, ils sont plus de 700 enfants, femmes et hommes repêchés vivants au large de l’Italie. Dans les chambres froides ou des caisses en plastiques, les corps de ceux qui n’auront jamais atteint le mirage européen.

D’un pas léger, elle prend la pose, cherche le bon angle, celui qui cachera ses rondeurs. Elle ne frissonne même pas au vent qui caresse ses épaules nues. Le froid ne traverse pas sa carapace rosée. Contrairement aux femmes et aux enfants, hagards et épuisés que les autorités portuaires et les ONG ont fait descendre pour la nuit. Une nuit qu’ils passeront à même le quai sur les banquettes de fortune par 6, 8 degrés tout au plus. Frisant l’hypothermie, ils ont été repêchés après des jours en mer. Le froid, ils connaissent.

Le jour tombe, la lumière baisse, la femme poursuit sa quête du bon angle, s’installe sur une bitte, toujours dos au bateau. Clic!

Embarqués sur des canots par des passeurs libyens ils ont dérivé plusieurs jours avant d’être secourus. Triste scénario, récurrent depuis des années dans le sud de l’Italie. Des migrants venus de toute l’Afrique, entassés sur des barques de fortune jusqu’à 200 parfois, avec un pseudo-pilote, formé à l’arrache et un téléphone portable avec le numéro du Centre de coordination des secours en mer (MRCC), basé à Rome.

200 vies accrochées à un téléphone, le même que celui de la jeune femme qui flashe inlassablement à quelques mètres.

Ceux qui s’entassent sur le pont ce jour-là dormiront sous la pluie. Un bal d’ambulances emmène seulement les blessés et les malades vers les hôpitaux de la région. Des hélicoptères survolent la zone. Vu l’heure tardive, les autres patienteront encore pour l’enregistrement. Après la peur lors de la prise de température à bord, thermomètre en forme de pistolet sur la tempe, ils devront encore affronter les images de cet exil qui reviendront les hanter dans leur terre d’asile.

A part la femme en goguette, presque personne ce jour-là dans le port. Aucun journaliste local. La misère, ça n’intéresse plus personne, constatent les rares témoins du débarquement, tout aussi blasés.

La valse des secours cède petit à petit la place au bal des autobus. Bondés, ils quitteront le quai le lendemain. Les visages creusés, les yeux dans le vague ces miraculés passeront peut-être à côté d’une femme, à la recherche, comme eux de leur identité.

Des milliers d’entre eux, dont des bébés, meurent en Libye et dans les eaux de la Méditerranée chaque année, pour avoir essayé de se dessiner une vie meilleure. Sans flash et sans avoir choisi la pose.

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