Belgrade vaut bien un sandwich

Publié le 2 juin 2023
Les estimations officielles n'existent pas. Mais le rassemblement spontané qui a eu lieu ce vendredi soir 19 mai sur la place du Parlement de Belgrade était, de l'aveu général, le plus important de l'histoire récente de la Serbie, qui pourtant n'est pas avare de manifestations monstres. Nous étions, selon un expert de ce genre de mesures, plus de soixante mille, unis sous le slogan «La Serbie contre la violence».

Le blocage de la 4G et les mensonges grossiers des médias sur le nombre des manifestants – «environ dix mille» – et leur nature – «des drogués et des traîtres stipendiés» – indiquait, sans doute possible, que le gouvernement prenait la chose au sérieux et n'avait, en attendant, d'autre recours que le déni pur et simple.

Manifestation du 27 mai à Belgrade. © D.L.
Le 3 mai à 8h15, un enfant de treize ans, avec des armes dérobées à son père, avait abattu neuf de ses camarades ainsi que le gardien de son école, au coin de ma rue, au centre même de Belgrade. Le lendemain, au sud de la ville, un homme de 21 ans abattait huit personnes dans un semblable accès de folie. Dans un pays en état de choc et d'incrédulité, des voix se sont immédiatement élevées pour exiger que les responsabilités soient établies, qu'une telle atrocité ne puisse jamais se reproduire, enfin, que quelque chose soit fait. Un ministre a démissionné, les citoyens ont spontanément rendu des dizaines de milliers de pistolets et de fusils, mais cela n'a pas du tout calmé la foule.
Ce quelque chose, les Serbes continuent donc de l'attendre et de le réclamer à hauts cris, sans savoir exactement de quoi il s'agit. Ainsi les calicots et les mots d'ordre de ces manifestations sont aussi vagues et nombreux que les estimations du nombre de manifestants. On exige tout à la fois: l'interdiction des émissions de télé-réalité, la remise en cause des licences de certaines chaînes de télé, la démission du gouvernement in extenso, la démission des membres de la commission de contrôle des médias, le respect de l'opposition, plus de sécurité dans les écoles, un durcissement des renvois des élèves violents, la liste est encore longue. Ce que ces exigences recouvrent pourtant n'est pas du tout vague: les manifestants n'attende...

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