Barbe de gauche, barbe de droite

Publié le 8 avril 2019
Non, le sérieux n'est pas toujours là où l'on croit. Cette chronique d'Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.

Disparition des boucheries et papeteries, prolifération des bars à ongles et «barber shops». Le paysage commercial des villes se meut en accéléré et célèbre le triomphe de cette préoccupation ubermoderne: le soin de soi.

Contrairement aux bars à ongles, les échoppes de barbier me mettent en joie. Elles ont un parfum de nostalgie et de Méditerranée. Mais ma sympathie s’est longtemps teintée d’inquiétude pour ces Figaro du troisième millénaire: est-ce bien raisonnable, les gars? La barbe est de retour, mais pour combien de temps? N’est-il pas risqué d’investir dans un commerce tout entier basé sur une simple mode esthétique?

Puis, j’ai lu/vu, d’abord dans 24Heures, puis dans Mise au point sur RTS Un, des enquêtes sur les nouveaux barbiers. Et je ne me fais plus aucun souci pour eux. J’ai appris en effet qu’ils sont aussi coiffeurs, et armés d’un argument commercial à l’épreuve des modes: ils cassent les prix de la coupe. Résultat, ils siphonnent la clientèle des coiffeurs «historiques», qui ne sont pas contents du tout. Le métier est déjà très mal payé et les marges incompressibles, expliquent ces derniers, qui réclament un meilleur respect de la convention collective.

Mais en filigrane, c’est encore une autre thématique, plus complexe, qui ressort de ces enquêtes. Formulée à la louche: le coiffeur historique est italien, le barbier émergeant albanais du Kosovo. Il emploie volontiers des travailleurs précaires sur appel. Par exemple, des réfugiés syriens. 

 Et voilà comment tout se complique pour la citoyenne à fibre sociale que je me flatte d’être: je suis favorable à l’accueil des réfugiés, en bien plus grand nombre qu’actuellement. Je suis également opposée à l’uberisation du marché du travail. Comment je concilie les deux? Ce qui me sauve provisoirement c’est que je n’ai pas de barbe. Je ne dois pas choisir entre coiffeur et «barber shop».

Mais je le vois bien: un jour ou l’autre, inévitablement, je vais devoir affronter le brutal dilemme: une certaine uberisation des sociétés n’est-elle pas le prix à payer (comme en Allemagne) pour une généreuse ouverture des frontières? Si oui, suis-je prête à l’accepter? Jusqu’à quel point? Aïe. Dur de faire le deuil des réponses simples.

En attendant, je vous laisse méditer sur la question subsidiaire: une barbe «low cost» taillée par un réfugié est-elle de gauche ou de droite?

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