Ultramodernes bénitiers

Publié le 15 février 2021
Tout fout le camp? Mais non. Nous voilà revenus à un rituel millénaire: la purification des mains à l'entrée du temple - fût-il de la consommation.

Ça a fini par arriver. Un moment de distraction et le geste m’a échappé. C’était l’autre jour, à l’entrée du supermarché. L’officiant aux mesures d’hygiène attendait, spray brandi à hauteur de regard bienveillant, que je lui présente mes mains nues pour la rituelle aspersion chasseuse de germes maléfiques. En cliente fidèle, je me suis exécutée. Puis, en m’avançant dans l’allée en direction de l’autel – pardon, de l’étal – à charcuterie, j’ai eu, inconscient, remonté du tréfonds de l’enfance, ce mouvement du bras droit imprimé dans ma mémoire corporelle de catholique: j’ai fait le signe de croix. Vous savez, ce geste rituel que l’on exécute en entrant dans les églises, après avoir trempé ses doigts dans le bénitier.

Revenue à moi devant les pamplemousses, j’ai bien ri de cette espèce de madeleine kinesthésique. Elle n’est pas dûe au hasard. Le parallèle entre bénitier et flacon de solution hydroalcoolique s’est imposé à moi dès le début de la pandémie, au printemps dernier: les lieux de culte étaient fermés, les temples de la consommation, à eux seuls, accueillaient l’immense foule des âmes en quête de réconfort (et de papier hygiénique). Il était somme toute naturel que le fidèle client se retrouve soumis, à l’entrée, à un rituel de purification. Après tout, l’aspersion ou l’ablution, d’eau lustrale, d’eau bénite, d’eau tout court, est d’usage au seuil des temples depuis la nuit des temps. Les Egyptiens n’y ont pas coupé, ni les Hebreux, ni les Grecs, et j’en passe.

Vous allez me dire: les protestants, oui. Jusqu’à présent. Les voilà remis à l’ordre: obligés de se laver les mains comme tout le monde. Face à la gravité des circonstances qui poussent les réformés à ces extrémités, les cathos sont priés de s’abstenir de ricaner.

Mais au fait, pourquoi les protestants ont-ils boudé le bénitier? J’ai trouvé la réponse dans l’hebdomadaire français Réforme. Le pasteur Michel Cornuz y explique que l’eau bénite est un symbole « très riche » qui nous rappelle notre baptême. Si les protestants l’ont pourtant sacrifié, c’est par peur de la superstition. Il fallait en effet éviter au fidèle toute tentation de croire à une quelconque vertu bénéfique de cette eau: vertu de guérison, d’éloignement des forces maléfiques…

Vous me voyez venir. Aujourd’hui, plus personne ne doute des vertus bénéfiques de cette eau bénie par la Science qu’est la solution hydroalcoolique: elle chasse la maladie, éloigne les démons du covid, promet des lendemains meilleurs. Dieu est grand, le docteur Pittet aussi et les protestants n’ont plus aucune raison de cracher dans le bénitier. 


Tout va bien, la chronique d’Anna Lietti, paraît chaque mois dans 24 heures et sur Bon Pour La Tête, accompagnée d’un dessin inédit de Pascal Parrone.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

Délices d’été: les corps en chaleur

L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon pour la tête. Episode 6: (...)

Accès libre

Délices d’été: les promenades en hauteur

L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon Pour La Tête. Episode 3: (...)

Accès libre

Délices d’été: les plaisirs du lac

L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon Pour La Tête. Episode 2: (...)

«L’effacement soit ma façon de resplendir»

C’était en 1977. J’écrivais déjà pour la presse. Je collaborais alors à l’hebdomadaire romand «La Vie protestante» et je m’étais rendu à Grignan pour interviewer Philippe Jaccottet. C’était au temps des «Chants d’en bas» et de «A travers un verger». J’ai retrouvé cet entretien qui, bien que près d’un demi-siècle (...)

Accès libre

Improbable nostalgie

Est-ce que vraiment, au bon vieux temps des croisades, la société était plus juste à l’égard des femmes? C’est pourtant ce que suggère la légende de la «masculinisation» de la langue française.

Peintres de la vie moderne

Avant que d’être le poète scandaleux des «Fleurs du Mal», Charles Baudelaire, dont on célèbre cette année le bicentenaire, a beaucoup écrit sur l’art. Durant toute sa vie, il n’a jamais cessé de fréquenter les ateliers. Comme plus tard Guillaume Apollinaire, grand admirateur de Picasso, qui fit beaucoup pour la (...)

Etonnants voyageurs

Le Havre, gare maritime, 29 mai 1935. Ils sont quatre du monde des Lettres arrivés de Paris. Les plus perspicaces ont reconnu Madame Colette, la grande Colette, qui vient de publier «La Chatte et Duo». Elle est en compagnie de Claude Farrère, l’auteur aujourd’hui quelque peu oublié de «La bataille», (...)

L’altro viaggio

Au milieu du chemin de notre vie/ je me retrouvais dans une forêt obscure/ parce que la voie droite était perdue.» Qui ne connaît les trois premiers vers de cette œuvre unique, sans exemple, qu’est «La Divina Commedia»? Le poème de Dante Alighieri, dont cette année marque le 700e anniversaire (...)

Accès libre

Intimité

Quoi de neuf dans l’espace médiatique? Le témoignage intime. Oui, enfin, sauf que « Marie-Claire » et « Femina » font ça depuis au moins trente ans…

Le prince et le migrant

Le nom de Lampedusa n’a pas toujours été synonyme de tragédie, celle des migrants venus s’échouer sur ses plages. C’est d’abord le patronyme de l’un des plus grands écrivains italiens du XXe siècle, Giuseppe Tomasi di Lampedusa. L’auteur de ce chef-d’œuvre qu’est Le Guépard, magnifié par le film qu’en a (...)

Accès libre

A mort la musique d’ambiance

Mais pourquoi diable la sensibilité écologique reste-t-elle indifférente à cette pollution sensorielle majeure, ce fléau vicieux qu’est la musique de fond obligatoire et généralisée?

Accès libre

Mona Chollet

Henry Miller grandeur nature

Relu Plexus d’Henry Miller. L’auteur américain disparu il y a quarante ans, en 1980. Un anniversaire passé quasi inaperçu. Peut-être parce qu’on ne lit plus guère Miller. Moi-même, ces dernières années, reprenant l’un de ses livres, je l’abandonnais presque aussitôt. Alors qu’à vingt ans j’avais dévoré La Crucifixion en rose, (...)

Accès libre

A un glorieux sceptique

Il a mis à jour notre irrésistible besoin de croyance. James Randi, super-héros au service de la pensée rationnelle, est mort. Et la notion de scepticisme ne va pas bien du tout.

Accès libre

George Orwell

Accès libre

Virginie Despentes