Les dégâts et les chances

Publié le 16 mars 2020

43ème session du Conseil des Droits de l’Homme à Genève, le 11 mars dernier. – © Jean Marc Ferré – UN Geneva – CC

Dans la tempête émotionnelle ambiante, entre colères, peurs, affolements et appels frénétiques de toutes parts, pas facile de s’y retrouver. Les camps se durcissent. Les uns: «Faites-en plus, et plus pour nous protéger! » Les autres: «On se calme! On ne va pas arrêter de vivre!» Cela donne aussi à beaucoup l’envie de ne plus écouter les infos, de ne plus surfer sur le net affolé dans tous les sens. Mais il faut bien voir les choses en face, garder sa propre capacité de jugement, il est temps peut-être d’imaginer sur quoi pourrait déboucher la crise demain et au-delà. Pour le pire et pour le meilleur.

Un mot d’abord à Mesdames et Messieurs qui détenez le pouvoir et l’exercez là tambour battant, pour une fois sans les lenteurs habituelles de la démocratie, ce qui, entre parenthèses, doit secrètement vous plaire. Vous prenez des mesures, très bien, la plupart paraissent raisonnables. Mais cessez de voir dans les doutes et les contestations une désobéissance civique, un mépris de la vie humaine! Par exemple, il se trouve plusieurs infectiologues qui estiment la fermeture des écoles peu utile, qu’elle entraînera maints autres maux si elle se prolonge. Et puis cessez de prendre des mines d’enterrement, des voix de grands prêtres apocalyptiques. Un peu d’humilité, s’il vous plaît. Il y a tant d’aspects de cette maladie que l’on ignore, tous les spécialistes le rappellent. Enfin, n’imitez pas Mme Merkel qui perd les pédales et va jusqu’à évoquer les millions de morts que pourrait causer la pandémie. Les gouvernants ont déjà assez à faire avec le présent, qu’ils ne jouent pas sur le conditionnel. Rien n’interdit d’envisager le pire, de s’y préparer si possible. Mais le brandir comme une quasi certitude, c’est semer la panique.

Il serait utile aussi que les spécialistes replacent le phénomène dans un contexte historique, tentent des comparaisons avec d’autres pandémies, maîtrisées ou non, qu’a connu et connaît encore le monde. Histoire de prendre un peu de recul. Ainsi quid des enseignements de la lutte contre la grippe saisonnière Influenza ? Elle fait entre 400 et 1000 morts par an en Suisse. On n’en parle plus mais elle continue de sévir. Bien que la dernière vague ait été moins virulente.

Enfin tentons de réfléchir à l’avenir. Que restera-t-il dans nos têtes de cette expérience inouïe de la mise en veilleuse de nos sociétés? Des voix se font entendre ici et là pour dire qu’elle sera bénéfique au bout du compte. Non seulement nous nous laverons plus souvent les mains mais nous ne sauterons plus dans un avion à la moindre tentation, nous préférerons les produits locaux, les entreprises se dégageront de la dépendance des fournitures chinoises. Nous apprendrons même la solidarité, ce beau mot qui surgit même dans les discours officiels. Il y a une chance réelle de modérer, faute d’y mettre fin, un consumérisme frénétique. Celle de voir naître soudain une société plus solidaire paraît plus illusoire. L’optimisme n’est pas de mise à voir le peu de cas que l’on fait aujourd’hui du sort des première victimes économiques de la pandémie, ces travailleuses et travailleurs précaires aussitôt licenciés pour cause de chute du chiffre d’affaires, ces familles modestes pour qui la fermeture des écoles pose un casse-tête, guère atténué par les promesses d’enseignement online.

Une chance, et un risque aussi. Celui de s’accrocher à une vision passéiste. Souhaiter le basculement du capitalisme forcené à la société idéalisée de nos ancêtres. Ce que le sociologue polono-britannique Zygmunt Bauman appelait, en 2016 déjà, le passage de l’utopie à la rétropie.

Que la mondialisation connaisse des excès, c’est l’évidence. La freiner par le protectionnisme comme le fait Trump, c’est le luxe des géants, c’est le germe de conflits qui pourraient être aussi meurtriers que la pire des grippes. Toutes les civilisations qui ont connu des périodes de prospérité furent ouvertes aux échanges. Aujourd’hui comme hier, c’est la dignité de l’homme de se frotter au monde plutôt que de s’enfermer au village.

Il est bien trop tôt pour dire ce qu’il adviendra de la tempête. Au fond des poumons et au fond de nos têtes. Dans les rues, sur les routes et dans les airs. En attendant, tentons d’échapper aux obsessions collectives. Il y a pour cela des livres et de bons films à voir chez soi. Et les amis, les vrais.

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