Le refuge de Tenosique

Publié le 23 avril 2019

Tenosique, Mexique. Après avoir traversé sans trop d’encombres le Guatemala en bus, les migrants honduriens arrivent dans la petite ville mexicaine de Tenosique. C’est le début d’un parcours du combattant jusqu’à la frontière américaine qui peut prendre plusieurs mois. Ici ils se retrouvent tous dans le refuge «La 72». Le nom est un hommage aux 72 migrants assassinés à San Fernando au Mexique en 2010. Ce massacre est attribué au gang mexicain des Zetas.

Depuis sa fondation par des pères franciscains en 2011, le refuge a déjà accueilli près de 100’000 personnes. Mais ces dernières années le phénomène migratoire a pris de l’ampleur: «Nous avons vu une augmentation alarmante de familles avec des enfants, de mineurs non accompagnés et de membres de la communauté LGBT (homosexuels, transsexuels). Quand ils arrivent au Mexique ils se retrouvent à nouveau dans un contexte de violence extrême et sont victimes d’agressions brutales, d’enlèvements, de violences sexuelles, de disparitions forcées et d’assassinats», explique le directeur du refuge Ramón Marquez. «Ce sont les générations perdues de l’Amérique Centrale, ajoute-t-il.» L’an dernier 13’500 personnes sont passées par le refuge, dont 85% de Honduriens. Un quart d’entre eux étaient des mineurs, souvent non accompagnés.

Assise avec des amis, une jeune Hondurienne arrivée deux jours plus tôt avec deux enfants m’explique qu’à peine sur sol mexicain, elle a été importunée par un groupe d’hommes qui ont commencé à la toucher et exiger plus. «J’étais prête à obtempérer à cause de mes enfants, m’explique-t-elle assez froidement, mais finalement des voitures se sont arrêtées et nos agresseurs se sont enfuis.» D’ailleurs, de nombreuses migrantes sont conscientes des risques du voyage et se font poser avant de partir des implants anticonceptionnels en cas de viol.

Vie quotidienne au refuge de Tenosique. © Yves Magat

Afin d’éviter des problèmes de relations dans le refuge, il y a un quartier réservé la nuit pour les mineurs non accompagnés et un autre pour la communauté LGBT, car les transsexuels sont particulièrement visés par les gangs d’Amérique Centrale. Ainsi Fernanda a reçu quatre balles dans le fémur pour n’avoir pas versé à temps la somme exigée: «En tant que transsexuelle, le seul travail possible c’est la prostitution et comme je gagnais très peu, je n’arrivais pas toujours à payer.»

Extorsions généralisées

Un homme dans la soixantaine se promène seul dans le refuge et m’aborde pour m’expliquer son histoire: «Je suis agriculteur. Je produis du maïs, des haricots et un peu de café. J’ai quelques poules. Malheureusement l’an dernier j’ai eu une mauvaise récolte. Je n’ai plus pu payer la somme que le gang me réclame depuis huit ans. J’ai dû filer.» Ailleurs, une jeune femme au regard triste est assise avec une fillette. Elle aussi raconte: «Ma fille avait deux ans. Nous étions tous à l’église. Des gens sont entrés et ont tué son papa.»

La «Bestia», le train de marchandises emprunté par les migrants au Mexique. © MSF

Dans le refuge, plus de 300 repas sont servis trois fois par jour. D’immenses casseroles chauffent sur des feux ouverts. A des heures précises tout le monde fait la queue pour chercher son assiette puis on se répartit dans la grande cour intérieure pour manger en groupe ou en famille. Tous les jours une séance d’information est organisée par Médecins sans frontières pour les nouveaux arrivants. L’ONG fournit ici aussi des soins médicaux de base, une assistance psychologique et des conseils logistiques pour le dangereux voyage par des trains de marchandises surnommés «la Bestia».

Les dangers du voyage en train

«Le Mexique, c’est très grand, explique l’assistante sociale, environ onze fois le Honduras. Vous devrez emprunter 14 à 18 trains, et à chaque fois grimper sur les wagons et prendre des risques.» L’assistante va jusqu’à expliquer comment s’attacher pour ne pas tomber du train. Elle conseille de dormir de jour et de rester éveillé la nuit car c’est le moment des agressions et des viols. Elle montre ensuite sur une carte où se trouvent d’autres foyers appuyés par Médecins sans frontières, pour se reposer et se soigner. On recommande aussi aux migrants d’être discrets sur l’existence de parents aux États-Unis. Ce serait prendre un risque d’enlèvement avec chantage téléphonique sous torture pour que le cousin américain envoie de l’argent.

Jusqu’à présent, la société et le gouvernement mexicains se sont montrés dans l’ensemble solidaires et compréhensifs à l’égard des migrants d’Amérique Centrale, mais leur nombre croissant est en train de diviser l’opinion.


A lire aussi:

Pourquoi tant de Honduriens se retrouvent au pied du mur de Donald Trump? – Yves Magat


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